Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Citation : TA c Ministre de l’Emploi et du Développement social et LA, 2023 TSS 1089

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : T. A.
Représentante ou représentant : Etienne Rolland
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Partie mise en cause : L. A.

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision datée du 17 juin 2022 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jean Lazure
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 23 février 2023

Personnes présentes à l’audience :

Appelant
Représentant de l’appelant
Représentante de l’intimé

Date de la décision : Le 22 mai 2023
Numéro de dossier : GP-22-1180

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelant, T. A., a été résident du Canada entre août 2000 et le 10 novembre 2014. Il a donc été résident du Canada de son arrivée en novembre 1987 jusqu’à son départ pour Haïti le 10 novembre 2014.

[3] Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[4] L’appelant était un homme âgé de 80 ans en date de l’audience.

[5] Le 27 février 2007, le Ministre a reçu la demande de l’appelant pour une pension de la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 1. Le 27 novembre 2007, le Ministre a approuvé sa demandeNote de bas de page 2 et a établi que l’appelant avait droit à une pension partielle de 20/40e à compter de janvier 2008 et qu’il avait aussi droit au Supplément de revenu garanti (SRG).

[6] Le 10 août 2015, le Ministre a communiqué avec l’appelant afin de lui faire remplir un questionnaire et de lui fournir des informations sur ses voyages à l’extérieur du CanadaNote de bas de page 3. Le versement des prestations du SRG a été suspendu le 12 août 2015Note de bas de page 4 et le versement des prestations de la SV a été suspendu en septembre 2015Note de bas de page 5.

[7] De septembre 2015 à février 2018, l’enquête a suivi son cours. Le 14 février 2018, le Ministre a fait parvenir une lettre à l’appelant dans laquelle on lui réclame un trop-perçu en prestations de la SV et du SRG de 78 526,40$Note de bas de page 6. Le 25 avril 2018, l’appelant a présenté une demande de réexamen de cette décisionNote de bas de page 7. Le 8 février 2019, le Ministre a émis une Lettre considérant le réexamen de la décisionNote de bas de page 8, qui maintenait la décision initiale.

[8] Le 1er mai 2019, l’appelant a fait appel de cette dernière décision devant notre TribunalNote de bas de page 9.

[9] Le 25 octobre 2021, j’ai accueilli l’appel de l’appelant, au motif que le Ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer sa décision du 27 novembre 2007. J’ai statué également que l’appelant a cessé d’être résident du Canada le 10 novembre 2014.

[10] L’intimé a fait appel de ma décision devant notre Division d’appel. Le 15 juin 2022, mon collègue Jude Samson a accueilli l’appel de l’intimé, annulé ma décision et renvoyé l’affaire à notre Division générale avec certaines directives, dont l’assignation de cette affaire à moi-même, si possible.

Question en litige

[11] L’intimé admet que l’appelant a été résident du Canada entre novembre 1987 et juillet 2000.

[12] L’appelant admet quant à lui avoir quitté définitivement le Canada le 10 novembre 2014.

[13] Vu ce qui précède, la question en litige est donc celle de la résidence de l’appelant entre août 2000 et novembre 2014.

Motifs de ma décision

[14] Je statue que l’appelant a été résident du Canada jusqu’à son départ définitif pour Haïti le 10 novembre 2014. Voici pourquoi.

L’appelant a été résident du Canada entre août 2000 et le 10 novembre 2014

[15] Je vais tout d’abord résumer les arguments des parties.

Arguments de l’appelant

[16] L’appelant fait valoir qu’il est arrivé au Canada en novembre 1987 et n’a cessé d’être résident canadien que le 10 novembre 2014. Il indique qu’il a été résident du Canada de façon continue pendant ce temps. Il n’a fait aucun voyage en Haïti avant 2007 et a effectué seulement certains voyages d’une durée limitée entre 2007 et 2014, avant son départ définitif du Canada en novembre 2014.

Arguments de l’intimé

[17] L’intimé est d’avis que l’appelant a cessé de résider au Canada en août 2000Note de bas de page 10. L’intimé est d’avis que l’appelant a utilisé très peu les services médicaux du Canada depuis l’an 2000 et n’a pas toujours renouvelé sa carte de la RAMQ. L’intimé plaide également que « Les nombreuses activités de T. A. en Haïti montrent qu’il a maintenu des liens de résidence significatifs avec ce pays. »Note de bas de page 11

Le droit

[18] Les facteurs que je dois soupeser afin de déterminer si l’appelant a accumulé des périodes de résidence au Canada ont été précisés par la Cour fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement et des Ressources humaines) c DingNote de bas de page 12 :

  • Liens prenant la forme de biens mobiliers;
  • Liens sociaux au Canada;
  • Autres liens au Canada (assurance-maladie, permis de conduire, bail de location, dossiers fiscaux, etc.);
  • Liens dans un autre pays;
  • Régularité et durée du séjour au Canada, ainsi que fréquence et durée des absences du Canada;
  • Mode de vie de l'intéressé, ou la question de savoir si l'intéressé vivant au Canada y est suffisamment enraciné et établi.

[19] Le fardeau de preuve incombe à l’appelant quant aux périodes de résidence au Canada.Note de bas de page 13

La preuve et l’analyse

[20] Je crois que si l’intimé a pu admettre que l’appelant a été résident du Canada de novembre 1987 à juillet 2000, c’est parce qu’une preuve documentaire importante a été déposée au dossier par les parties. J’en reproduirai ici les rubriques principales, avec parfois certains commentaires de ma part au passage :

  • Un document d’Immigration Canada attestant de l’arrivée au Canada de l’appelant se trouve à la page GD2-29;
  • Des documents de l’Agence du Revenu du Canada apparaissent aux pages GD2-42 à GD2-106. L’appelant n’aurait pas fait de déclarations d’impôt pour les années 1988 à 1997Note de bas de page 14. Il aurait fait des déclarations pour les années 1998 à 2010Note de bas de page 15;
  • Des renseignements de l’Agence des services frontaliers du Canada sont aux pages GD2-108 et 109. Il est difficile d’en tirer des conclusions puisque les entrées et sorties ne sont pas indiquées clairement;
  • Des relevés de compte bancaire de la Banque Scotia apparaissent aux pages GD2-110 à GD2-243, ainsi que des pages GD2-311 à GD2-320. On y note des entrées pour les années 2009 à 2016. Il semble que ce compte ait été ouvert le 7 novembre 1989Note de bas de page 16;
  • L’historique médical de l’appelant selon la Régie de l’assurance maladie du Québec se trouve aux pages GD2-253 à GD2-256. On y remarque quand même une utilisation peu fréquente du système de santé de la part de l’appelant, notamment un « trou » entre juillet 2000 et décembre 2006, sauf pour deux visites en octobre-novembre 2001. Entre 1989 et 2000, soit 11 ans, on note seulement 17 visites. Entre 2006 et mars 2015, on note 16 visites, soit à peine davantage qu’auparavant;
  • Les relevés de la Régie des rentes du Québec de l’Appelant sont aux pages GD2-257 à GD2-260. À noter que l’appelant n’a eu aucun revenu de travail admissible pendant toutes ses années au Canada;
  • Les demandes de passeports de l’appelant sont aux pages GD2-262 à GD2-276. On en note en 2000, 2003, 2008 et 2012;
  • Les renseignements du Registraire des entreprises du Québec sur les entreprises de l’appelant apparaissent aux pages GD2-187 à GD2-287. Une maison d’édition a existé de février 2003 à août 2014, avec des déclarations annuelles déposées, si parfois en retard. Une autre a existé de septembre 1998 à septembre 2001;
  • Des factures d’achats de livres de la part de l’appelant en 2009 et 2011 sont produites aux pages GD2-321 et GD2-322, comportant l’adresse montréalaise de l’appelant montréalaise de l’époque ainsi que l’adresse de son entreprise de lave-auto;
  • La carte de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois de l’appelant pour 2011-2012 apparaît aux pages GD2-323 et GD2-324;
  • Des factures aux X pour mars et avril 2004, comportant l’adresse montréalaise de l’appelant de l’époque, apparaissent aux pages GD2-328 à GD2-330;
  • Des sommaires exécutifs des déclarations d’impôts des sociétés de l’appelant pour les années 2004 à 2014, que ce soit pour sa maison d’édition ou son lave-auto, apparaissent des pages GD2-331 à GD2-344. Des pertes ont toujours été encourues pour les deux entreprises, pour toutes les années;
  • Les renseignements d’Industrie Canada sur les sociétés de l’appelant apparaissent aux pages GD2-345 à GD2-350. La société opérant le lave-auto a été incorporée de mai 2008 jusqu’en avril 2012, tandis que la maison d’édition l’a été de février 2003 à août 2014;
  • Des factures mensuelles Vidéotron pour services télévision et internet pour décembre 2011 à novembre 2014 apparaissent aux pages GD2-351 à GD2-425;
  • Une lettre d’un assureur à la page GD2-426 confirme que la résidence montréalaise de l’appelant a été assurée pour la période de 2002 au 4 décembre 2014;
  • Des documents d’Hydro-Québec aux pages GD2-427 à GD2-520 attestent d’une facturation à l’appelant de novembre 1997 à novembre 2014;
  • L’acte d’achat de la résidence montréalaise de l’appelant le 15 juillet 1988 est déposé aux pages GD4-25 à 28 (une version non caviardée se trouve aux pages GD7-6 à GD7-10), alors que l’acte de vente de la même résidence le 4 décembre 2014 est déposé aux pages GD4-29 à GD4-35;
  • La convention de contre-lettre attestant de la véritable propriété de la résidence montréalaise de l’appelant a été déposée aux pages GD6-3 à GD6-5;
  • Des jugements émanant d’Haïti en 2007 et 2012 ont été déposés aux pages GD6-6 à GD6-12;
  • Des articles de blogues attestant du retour de l’appelant en Haïti en juin 2007 ont été déposés aux pages GD6-13 à GD6-15;
  • Un relevé d’assurance automobile pour l’appelant pour la période de juillet 2012 à mai 2014 a été déposé aux pages GD6-16 et GD6-17, un relevé du renouvellement de l’immatriculation du véhicule de T. A. en date du 31 janvier 2012 a été déposé à la page GD6-18, et le permis de conduire québécois de l’appelant valide de 2014 à 2022 apparaît à la page GD6-19;
  • Une déclaration solennelle de l’appelant et de son épouse relativement à leur départ du Canada apparaît à la page GD6-20;
  • Des documents relatifs au déménagement des meubles de l’appelant du Canada à Haïti le 19 novembre 2014 apparaissent aux pages GD6-21 à GD6-34;
  • Les diplômes de l’appelant de 1994 à l’Université de Montréal, de 1996 à l’Université du Québec à Montréal et de 1997 à l’Université de Montréal apparaissent aux pages GD6-35 à GD6-37;
  • Des références de 2007 au livre sur la double nationalité écrit par l’appelant apparaissent aux pages GD6-38 à GD6-41;
  • D’autres factures à la maison d’édition X, pour les années 2004 à 2010, apparaissent de la page GD6-42 à GD6-52;
  • Un contrat de prestation de services avec l’Office national de l’aviation civile en Haïti, daté du 11 septembre 2015, apparaît aux pages GD6-53 à GD6-56, et des lettres de l’OFNAC se trouvent aux pages GD6-57 à GD6-59;
  • Un certificat de l’Ordre des avocats de Port-au Prince de septembre 2019 apparaît à la page GD7-4. Il indique « Ayant vécu à l’étranger de 1987 à 2011, T. A. n’était plus un membre actif du Barreau. » Il indique qu’il est membre depuis 2012.

[21] Effectivement, l’intimé a admis la résidence canadienne de l’appelant de novembre 1987 à juillet 2000. Je dirai que la documentation ci-haut fait la preuve de la résidence de l’appelant de manière étoffée. Il existe d’innombrables dossiers où la preuve n’est pas aussi importante.

[22] Et, à l’instar du procureur de l’appelant, je trouve que la preuve démontrant la cessation de la résidence canadienne de l’appelant à compter d’août 2000 est très faible. À l’audience, la représentante de l’intimé a peiné à expliquer cette date de juillet 2000 comme dernière date de résidence de l’appelant, indiquant à quelques reprises que la date avait été déterminée en raison « de l’ensemble du dossier ».

[23] Or, j’ai moi-même peiné à trouver comment on a pu établir cette date. Un seul indice m’y mène, soit le « trou » dans le rapport de la RAMQ entre juillet 2000 et décembre 2006. Cependant, plusieurs éléments de la preuve documentaire au dossier semblent attester d’une résidence continue entre 2000 et 2014, soit ce qui suit :

  • L’appelant a été propriétaire de sa résidence montréalaise de juillet 1988 à décembre 2014. Cette résidence a été assurée de 2002 à 2014. Il y a des factures d’Hydro-Québec pour cette résidence pour 1997 à 2014. Il y a des factures Vidéotron pour 2011 à 2014.
  • Des déclarations d’impôt pour les années 2000 à 2010;
  • Des relevés de compte bancaire de 2009 à 2016, pour un compte ouvert en novembre 1989;
  • Des demandes de renouvellement de passeport de l’appelant en 2000, 2003, 2008 et 2012;
  • Des entreprises de l’appelant qui ont existé de février 2003 à août 2014. Ces entreprises ont fait des déclarations d’impôt de 2004 à 2014. Ses entreprises ont toujours fait des pertes, mais à nouveau, il n’est pas nécessaire d’avoir une entreprise qui fait des profits pour être résident;
  • Quelques factures d’achat de livres aux nom et adresse de l’appelant pour cette période, et une carte de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois de l’appelant pour 2011-2012;

[24] Quant à l’historique médical, il existe bel et bien un trou de six ans entre 2000 et 2006. Cependant, compte tenu des visites peu fréquentes de l’appelant tant avant qu’après cette période, il m’est difficile d’en tirer une conclusion défavorable à l’appelant. L’historique médical peut être un élément utile pour tenter d’établir la résidence d’une personne, mais je rappellerai une évidence : il n’est pas nécessaire d’être malade ou d’utiliser le système de santé pour être résident.

[25] De plus, j’ai pu entendre le témoignage de l’appelant et de son gendre relativement aux voyages de l’appelant en Haïti, supposément fréquents à compter de l’an 2000. Il n’en existe aucune preuve avant 2007.

[26] L’appelant a indiqué qu’il poursuivait le gouvernement haïtien et qu’il a dû effectuer certains voyages au motif de cette poursuite. Le jugement haïtien de 2007 et les articles de blogues déposés en preuve viennent corroborer le témoignage de l’appelant sur le fait que ses voyages de 2007 en Haïti étaient ses premiers depuis sa venue au Canada en 1987.

[27] L’appelant a donc témoigné avoir fait quelques voyages en Haïti, en France et aux États-Unis entre 2000 et 2014, mais pour de courtes périodes.

[28] Il m’est très difficile de réconcilier ce qui précède avec la prétention de l’intimé à l’effet que l’appelant avait de « nombreux voyages » dès 2000 et que les « activités hors-pays » de l’appelant étoffent l’ensemble du dossier, qui a justifié la décision de retenir juillet 2000 comme date de fin de résidence.

[29] L’appelant a témoigné avoir été résident canadien de façon continue depuis son arrivée au Canada en novembre 1987 jusqu’en novembre 2014. Il a témoigné avoir tous ses liens ici de 1987 à 2014 - famille, amis, entreprises, maison, biens – et peu ou pas de liens avec Haïti pendant cette période, sinon qu’en préparation de son départ en 2014.

[30] J’ai cru l’appelant. J’ai trouvé que l’appelant a témoigné de façon crédible et spontanée. Il admettait quand il ne se rappelait pas quelque chose. J’ai cru qu’il me disait la vérité. Son témoignage est corroboré par des éléments de preuve et est vraisemblable vu la preuve dans son ensemble.

[31] La preuve démontre d’ailleurs qu’une importante cargaison a été acheminée du Canada à Haïti en décembre 2014. Le document d’AMJ Campbell International parle de 308 pièces pour un poids total de 10 350 livres. L’appelant a témoigné qu’il déménageait alors tous ses meubles de sa résidence montréalaise, qu’il a vendu en décembre 2014, afin de quitter le Canada de façon définitive.

[32] Je ne peux donc retenir les prétentions de l’intimé à l’effet que la résidence de l’appelant a cessé après juillet 2000. La preuve est largement prépondérante à l’effet contraire. L’appelant s’est acquitté de son fardeau de preuve.

Conclusion

[33] Je suis d’avis que l’appelant, T. A., a été résident du Canada entre août 2000 et le 10 novembre 2014. Il a donc été résident du Canada de son arrivée en novembre 1987 jusqu’à son départ en pour Haïti le 10 novembre 2014.

[34] L’appel est donc accueilli.

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