Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : WT c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1317

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale — Section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : W. T.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision datée du
11 mai 2021 rendue par le ministre de l’Emploi et du
Développement social (communiquée par Service
Canada)

Membre du Tribunal : Wayne van der Meide
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 15 novembre 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 29 novembre 2022
Numéro de dossier : GP-21-1366

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] W. T. est l’appelante dans cette affaire. Le versement de l’allocation au survivant de l’appelante ne peut pas commencer avant juillet 2018. Cette décision explique pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante souffre d’anorexie, de dépression grave et d’insomnie depuis de nombreuses années. Dans sa vingtaine, elle a suivi un traitement contre l’anorexie à la Clarke Institute pendant un an. Elle a subi des traitements psychiatriques pendant la majeure partie de sa vie.

[4] Pendant de nombreuses années, elle vivait avec sa mère, alors qu’elle était adulte, et sa mère s’occupait d’elle.Note de bas de page 1 Malheureusement, sa mère est tombée malade aux alentours de 2015 et a emménagé dans un établissement de soins palliatifs.Note de bas de page 2 Sans les soins de sa mère, la santé mentale et physique de l’appelante s’est détériorée. Elle a passé les trois prochaines années en hospitalisation ou dans des foyers collectifs pour personnes ayant des problèmes de santé mentale.

[5] L’appelante a eu 60 ans le 3 juin 2016.Note de bas de page 3 Elle a présenté une demande d’allocation au survivant le 10 juin 2019. La demande était liée à son mari qui est décédé en août 1995.Note de bas de page 4 Le ministre de l’Emploi et du Développement social a accueilli sa demande.Note de bas de page 5 Le ministre lui a versé l’allocation rétroactivement jusqu’en juillet 2018, soit le maximum permis.Note de bas de page 6

[6] L’appelante a demandé au ministre de réviser sa décision.Note de bas de page 7

[7] Elle dit que ses versements d’allocation au survivant devraient commencer au moment où elle a eu 60 ans parce qu’elle n’avait pas la capacité de présenter une demande plus tôt.

[8] Le ministre affirme que l’appelante n’a réussi à prouver qu’elle n’avait pas la capacité de présenter une demande plus tôt.

[9] Le ministre a maintenu sa décision initiale.Note de bas de page 8

Ce que l’appelante doit prouver

[10] Pour avoir gain de cause, l’appelante doit prouver qu’elle a présenté sa demande le 10 juin 2019 parce qu’elle était incapable de le faire plus tôt.Note de bas de page 9

[11] L’incapacité signifie qu’une personne était incapable d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle sa demande a été présentée.

[12] L’appelante doit démontrer qu’elle était continuellement incapable d’exprimer l’intention de faire sa demande pendant toute la période où elle prétend être atteinte d’une incapacité. Note de bas de page 10

[13] Le critère ne consiste pas à savoir si l’appelante pouvait vraiment présenter ou remplir une demande de prestations. Elle pourrait avoir la capacité d’exprimer l’intention de présenter une demande même si elle n’est pas en mesure de remplir le formulaire de demande ni de suivre le processus. Note de bas de page 11

[14] Le fait qu’elle n’était peut-être pas au courant des prestations à ce moment-là ne démontre pas qu’elle était atteinte d’incapacité. Le fait de savoir ou non qu’une prestation existe n’est pas la question. La question est de savoir si l’appelante pouvait former ou exprimer une intention. Note de bas de page 12

[15] Il incombe à l’appelante de prouver qu’elle était atteinte d’une incapacité. Note de bas de page 13

[16] Pour décider si l’appelante satisfaisait au critère d’incapacité, je dois examiner les facteurs suivants :

  • la preuve de l’appelante sur la nature et l’étendue de ses limitations physiques et mentales;
  • tout élément de preuve médicale, psychologique ou autre pouvant appuyer sa prétendue incapacité;
  • la preuve des activités que l’appelante a menées au cours de la période en question;
  • la mesure dans laquelle ces autres activités mettent en lumière sa capacité d’exprimer l’intention de demander des prestations d’invalidité pendant cette période.Note de bas de page 14

Motifs de ma décision

L’appelante ne satisfaisait pas au critère d’incapacité

[17] L’appelante n’était pas en bonne santé mentale et physique les trois ans précédant sa demande d’allocation au survivant. Cependant, elle n’a pas prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’elle était continuellement incapable d’exprimer l’intention de demander des prestations.

[18] Je vais maintenant expliquer pourquoi j’ai tiré cette conclusion.

La preuve médicale

[19] L’appelante m’a dit que la Dre Pek est devenue son médecin de famille en août 2017. En octobre 2020, la Dre Pek a rempli une déclaration d’incapacité indiquant que l’appelante était atteinte d’une invalidité du 30 novembre 2015 au 16 janvier 2016.Note de bas de page 15 Cette déclaration a été remplie après que l’appelante a demandé des prestations en juin 2019.

[20] Comme cette déclaration a été remplie par un médecin qui ne la traitait pas pendant la période en question, je suis d’accord avec l’appelante pour dire que l’importance de cette déclaration est limitée.

[21] L’appelante a été admise à l’hôpital à deux reprises au cours de la période en question. Elle était à l’hôpital Grand River de Kitchener du 15 novembre au 21 décembre 2015.Note de bas de page 16 Elle était à l’hôpital général de St. Catharines du 29 mars 2017 au 24 août 2017.Note de bas de page 17

[22] Les rapports médicaux de ces périodes à l’hôpital montrent que, pour les deux séjours, elle souffrait de dépression, d’anxiété, d’insomnie et qu’on lui a prescrit trop de benzodiazépines.Note de bas de page 18 Un médecin a également exprimé la crainte qu’elle ait une déficience cognitive.Note de bas de page 19 Elle avait aussi des antécédents d’alcoolisme.Note de bas de page 20 Toutefois, ces problèmes de santé ne l’ont pas empêchée d’exprimer l’intention de demander des prestations.

[23] Voici quelques commentaires qui figurent dans les rapports médicaux de l’appelante, lesquels datent de ses séjours à l’hôpital :

[traduction]

  • « À sa sortie [l’appelante] ressemblait à [une personne] qui a un processus de pensée logique [et elle] a décrit son humeur comme étant "très bonne" [...]. Elle avait des objectifs et songeait à son avenir [...]. »Note de bas de page 21
  • « [L’appelante] est assez lucide et son jugement est juste. »Note de bas de page 22
  • « Aucune preuve de trouble psychotique. »Note de bas de page 23

[24] Ces rapports démontrent également que l’appelante était en mesure de s’exprimer. Voici quelques exemples [traduction] :

  • « [L’appelante] a préféré vivre dans [un] centre d’aide à la vie autonome pendant cette période de transition le temps de décider si elle veut vivre de façon indépendante à l’avenir. »
  • « Pendant [son] hospitalisation [...], [la] patiente a participé à de nombreux groupes, y compris le CBD pour l’anxiété et la dépression, les habiletés d’adaptation et la relaxation. »
  • « La patiente prévoyait de continuer à participer aux réunions locales du groupe des AA. »
  • « La patiente a assisté à des réunions de groupe des AA pendant qu’elle était à l’hôpital... »
  • « Il a été noté que les symptômes de la patiente s’étaient considérablement améliorés et qu’elle avait décidé d’être transférée dans un autre foyer pour un cas spécial à Hamilton afin d’être plus près de sa fille. »
  • « Elle vit dans un foyer collectif à St. Catharines, mais cela ne lui plaît pas et elle fait des démarches pour trouver un autre foyer collectif à Hamilton. »

[25] Ces rapports médicaux ont été rédigés par plusieurs médecins dans deux hôpitaux différents. Le fait que les rapports sont cohérents me porte à croire qu’il s’agit probablement de descriptions exactes des problèmes de santé de l’appelante et de la façon dont ils ont pu l’affecter.

Preuve de l’appelante concernant ses limitations

[26] Dans ses observations et lors de l’audience, l’appelante a nié qu’elle pouvait s’exprimer durant cette période. Par exemple, à l’audience, elle a dit que pendant cette période, elle était [traduction] « dépassée » par ce qui se passait.

[27] Je crois et j’accepte une partie de ce que dit l’appelante. Par exemple, je ne suis pas d’accord avec la suggestion du ministre selon laquelle l’appelante s’est admise de son propre chef à l’hôpital (ni la première fois ni la deuxième fois).

[28] Dans le cas de son premier séjour à l’hôpital Grand River, j’accepte que sa fille et son gendre aient appelé une ambulance ou qu’ils l’aient emmenée à l’urgence.Note de bas de page 24 À l’audience, l’appelante a dit qu’elle ne se souvenait pas comment elle était arrivée à l’hôpital. Je la crois.

[29] L’appelante a déclaré lors de l’audience que c’est une travailleuse sociale qui l’a conduite à l’hôpital dans le cas du deuxième séjour à l’Hôpital général de St. Catharines. Je la crois.

[30] D’autre part, je ne suis pas convaincu que l’appelante n’ait pas participé à l’organisation de ses traitements pendant l’hospitalisation. Je ne suis pas convaincu non plus qu’elle n’ait pas eu son mot à dire au sujet de l’endroit et de la façon dont elle a vécu entre ses séjours à l’hôpital.

[31] Comme je l’ai mentionné plus haut, plusieurs médecins de différents hôpitaux décrivent l’appelante comme une personne qui a participé aux décisions de traitement et à des cours de traitement qui impliquaient la communication.Note de bas de page 25

[32] Dans ses observations et lors de l’audience, l’appelante a souligné que d’autres personnes (sa fille, des médecins, des professionnels de la santé et des travailleurs sociaux) ont pris la décision de l’admettre à l’hôpital ou de la placer dans des foyers pour personnes ayant des problèmes de santé mentale entre les deux hospitalisations.Note de bas de page 26

[33] D’autres personnes ont finalement pris des décisions concernant son traitement et l’endroit où elle devait vivre. La fille de l’appelante a une procuration concernant sa mère depuis 2016.Note de bas de page 27

[34] Toutefois, le fait que d’autres ont pris des décisions concernant son traitement et ses conditions de vie ne signifie pas qu’elle ne s’est pas exprimée et qu’elle n’a pas participé à certaines de ces décisions.Note de bas de page 28 Comme je l’ai mentionné, la preuve montre qu’elle a bel et bien participé à l’organisation de ses traitements. Elle a également exprimé des souhaits concernant son avenir, comme son désir de poursuivre des séances de consultation psychologique et d’assister à différents groupes de soutien.Note de bas de page 29

[35] Un rapport indique qu’elle a [traduction] « pris la décision » de changer de foyer collectif pour se rapprocher de sa fille.Note de bas de page 30 Je ne pense pas qu’elle ait « pris une décision » en tant que telle. Lorsque je lui ai posé des questions à ce sujet, l’appelante a dit que même si elle ne voulait pas se rendre dans un autre foyer collectif, [traduction] « ils m’ont convaincue » de le faire. Cela m’indique qu’elle a participé à une discussion sur son avenir et qu’elle a pu exprimer ses souhaits.

[36] Elle a également pu, pendant les hospitalisations, décrire ses antécédents médicaux, comme l’anorexie et l’alcoolisme. Elle a également été en mesure de cerner les causes potentielles de ses troubles, comme la surmédication.Note de bas de page 31

[37] Tout cela m’indique qu’elle avait la capacité d’exprimer son intention de demander des prestations.

L’appelante était très malade et incapable de prendre soin d’elle-même et de vivre de façon autonome

[38] Je compatis avec l’appelante. La preuve montre qu’elle était très malade, physiquement et mentalement, pendant la majeure partie, sinon la totalité, des trois années précédant sa demande d’allocation au survivant. De toute évidence, l’anorexie avait depuis longtemps une emprise sur sa vie. La maladie et le décès de sa mère ont aggravé ses problèmes de santé.

[39] De toute évidence, elle était incapable de prendre soin d’elle-même sans aide. C’est pourquoi elle était soit à l’hôpital, soit dans des foyers pour personnes ayant des problèmes de santé mentale.

[40] J’admets également qu’elle n’a pas été guérie pendant l’un ou l’autre de ses séjours à l’hôpital au cours de la période en question. En fait, lors de l’audience, l’appelante a dit que son état de santé ne s’était même pas [traduction] « amélioré » durant ces séjours à l’hôpital. Je la crois. C’est pourquoi, même après avoir présenté sa demande de prestations, elle a été de nouveau admise à l’hôpital en janvier 2020.

[41] Je peux même accepter que, comme elle l’a expliqué lors de l’audience, elle n’ait pas reçu les traitements ou les soins dont elle avait besoin ni à l’hôpital ni dans les foyers collectifs. Par exemple, elle a dit à l’audience qu’un médecin avait simplement remplacé les benzodiazépines par d’autres somnifères puissants. Elle a aussi dit qu’un autre médecin avait arrêté ses somnifères brusquement, ce qui a entraîné un sevrage. Elle a dit qu’il y avait très peu de thérapie, seulement des visites rapides avec des médecins.

[42] Il se peut que des problèmes de santé mentale importants, même ceux qui ne sont pas traités adéquatement, ne soient pas suffisants pour satisfaire au critère d’incapacité décrit à l’article 28.1 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Malgré sa maladie, l’appelante n’était pas incapable d’exprimer l’intention de demander des prestations.

[43] Je tiens à signaler également qu’une personne doit être continuellement incapable avant de présenter une demande de prestations. En 2017, l’appelante a affirmé ce qui suit : [traduction] « ma santé allait vraiment mieux [...] la dépression s’est beaucoup améliorée [...] j’avais pris du poids, etc. [...] et j’ai été sevré d’un grand nombre de médicaments sur ordonnance, alors je ne pense pas que je puisse être admissible au remboursement rétroactif cette année ».Note de bas de page 32

Ne pas pouvoir présenter une demande ne signifie pas qu’une personne en était incapable

[44] Le fait qu’une personne ne soit pas au courant de l’existence de prestations ou qu’elle ne soit pas en mesure de présenter une demande de prestations ne signifie pas qu’elle est incapable d’exprimer l’intention de présenter une demande, ce qui correspond au critère.Note de bas de page 33

[45] Je pense qu’il est important de le répéter parce que l’appelante a dit qu’elle ne s’y connaît pas en informatique et qu’elle n’avait pas accès à un ordinateur pendant la période en question. Elle a également dit que dans certains foyers collectifs, elle était assez isolée et ses déplacements étaient limités. À l’audience, elle a dit qu’elle a présenté sa demande seulement lorsque sa travailleuse sociale lui a apporté le formulaire et l’a aidée à le remplir. Aucun de ces faits ne démontre qu’elle était incapable d’exprimer l’intention de présenter une demande.Note de bas de page 34

Conclusion

[46] Je conclus que l’appelante n’est pas admissible à l’allocation au survivant avant juillet 2018.

[47] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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