Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Citation : JN c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 1716

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : J. N.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision datée du 28 juin 2016 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jean Lazure
Mode d’audience : Par écrit
Date de la décision : Le 26 octobre 2023
Numéro de dossier : GP-20-1532

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelant, J. N., n’est pas en droit de recevoir des prestations de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (SV) pendant qu’il est incarcéré. Je rejette donc sa demande portant sur la constitutionnalité de l’article 5 (3) de la Loi sur la SV. Cette décision explique pourquoi je rejette l’appel. 

Aperçu

[3] L’appelant a effectué une demande de pension de la SV le 11 août 2015Note de bas page 1. Le ministre a approuvé cette demande, avec une date de début des prestations en juin 2016.

[4] Le 5 mai 2016Note de bas page 2, le ministre a informé l’appelant que ses prestations de la SV seraient suspendues à compter de juin 2016 puisque le Service correctionnel du Canada a informé le ministre que l’appelant était incarcéréNote de bas page 3.

[5] Le 12 mai 2016Note de bas page 4, l’appelant a demandé un réexamen de cette décision. Le 28 juin 2016Note de bas page 5, dans une Lettre concernant le réexamen de la décision, le ministre a maintenu sa décision. Le 21 juillet 2016Note de bas page 6, l’appelant a fait appel de cette dernière décision à la division générale du Tribunal.

[6] Par la suite, le dossier a suivi son cours et a fait l’objet de plusieurs décisions de notre division généraleNote de bas page 7, de notre division d’appelNote de bas page 8 et même de la Cour fédéraleNote de bas page 9.

[7] Par ailleurs, le dossier a fait l’objet d’une dernière décision de notre division d’appel le 8 octobre 2020Note de bas page 10. La division d’appel a décidé que la division générale avait commis une erreur « en omettant de fournir des motifs suffisants pour justifier son rejet de l’avis de question constitutionnelle du demandeur »Note de bas page 11. Elle a donc renvoyé l’affaire à la division générale avec les directives suivantes:

  1. a) La division générale fournira au demandeur la feuille d’information sur la présentation d’un appel constitutionnel ainsi que le formulaire d’avis d’appel mettant en cause la Charte.
  2. b) La division générale accordera au demandeur un délai raisonnable pour soumettre ce formulaire ou une autre forme d’avis au titre de l’article 20(1)(a) du Règlement sur le TSS. S’il le désire, le demandeur peut également informer le Tribunal qu’il continue à s’appuyer sur un avis de question constitutionnelle antérieur.
  3. c) Si la division générale juge que le demandeur n’a toujours pas rempli les conditions énoncées à l’article 20(1)(a) du Règlement sur le TSS, la division générale exposera clairement ses préoccupations et donnera au demandeur la possibilité d’apporter les corrections nécessaires avant de rejeter à nouveau son avis de question constitutionnelle.
  4. d) Je note que le même membre de la division générale a déjà rejeté l’appel du demandeur deux fois. Pour éviter toute crainte de partialité, l’appel sera donc assigné à un autre membre de la division générale.

[8] Par la suite, le dossier a fait l’objet d’une correspondance soutenue entre le nouveau membre de la division générale et l’appelant, ainsi que quelques décisions interlocutoires sur deux points principaux :

  • les questions constitutionnelles que pourrait soulever l’appelant;
  • une demande de l’appelant qui désirait recevoir les études et avis juridiques fournis au ministre de la Justice du Canada relativement à l’adoption du projet de loi menant à la mise en vigueur de l’article 5 (3) de la Loi sur la SV.

[9] Quant à cette dernière question, je la considère comme ayant été réglée par une décision interlocutoire du Tribunal du 10 juin 2021, que je citerai ici :

« Le Tribunal informe les parties qu’il ne discutera plus, dans le futur, de la demande d’accès à l’information de l’appelant car le Tribunal n’a aucun pouvoir envers le Ministre de la justice. Le Tribunal ne peut pas forcer le Ministre de la justice à produire les documents. »Note de bas page 12

[10] Quant aux questions constitutionnelles, dans une décision interlocutoire du 26 janvier 2021Note de bas page 13, le Tribunal les a circonscrites aux suivantes :

« - Est-ce que l’article 5 (3) de la LSV est discriminatoire sur la base de l’état civil et viole les droits à l’égalité en vertu de l’article 15 (1) de la Charte?

- Est-ce que l’article 5 (3) de la LSV porte atteinte à l’un des trois intérêts protégés à l’article 7 de la Charte, à savoir la vie, la liberté ou la sécurité de sa personne? »

[11] Aussi, dans une décision interlocutoire du 28 janvier 2021, le Tribunal a déterminé que « l’appelant a soulevé une contestation constitutionnelle et qu’il a rempli les conditions énoncées à l’article 20 (1) a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale. »Note de bas page 14 Également, cette décision ordonnait à l’appelant de fournir, au plus tard le 29 mars 2021, « tous les éléments de preuve à l’appui de la contestation constitutionnelle. (y compris tout affidavit et toute preuve d’expert, s’il y a lieu); »Note de bas page 15

[12] Enfin, dans une décision interlocutoire du 6 juin 2022Note de bas page 16 que j’ai rendue, j’ai posé plusieurs questions aux parties et je leur ai demandé, entre autres, « de me fournir toute preuve pertinente quant aux prétentions de l’appelant » sur les questions constitutionnelles qu’il a soulevées. 

[13] Je posais également la question à l’appelant du mode d’audition qu’il préférait. Le 15 juin 2022Note de bas page 17, l’appelant me confirmait qu’il « demande toujours pour une procédure écrite, conformément au Règlement 21(a) sur le Tribunal de la sécurité sociale du Canada. »

[14] Ayant épuisé les questions écrites que j’aurais pour les parties dans ma décision du 15 juin 2022, je rends donc ma décision sur la foi du dossier tel que constitué.

Ce que l’appelant doit prouver

[15] Pour gagner son appel, l’appelant devra me prouver une ou des violations de ses droits garantis par la Charte. 

[16] Comme je le disais ci-haut, le 26 janvier 2021, le Tribunal a circonscrit les questions constitutionnelles soulevées par l’appelant aux suivantes :

  • Est-ce que l’article 5 (3) de la LSV porte atteinte à l’un des trois intérêts protégés à l’article 7 de la Charte, à savoir la vie, la liberté ou la sécurité de sa personne?
  • Est-ce que l’article 5 (3) de la LSV est discriminatoire sur la base de l’état civil et viole les droits à l’égalité en vertu de l’article 15 (1) de la Charte?

[17] Dans cette même lettre du 26 janvier 2021, le Tribunal a aussi informé l’appelant qu’il a le fardeau de la preuve :

« Il incombe à l’appelant de prouver que la LSV porte atteinte aux droits que lui garantit l’article 15 de la Charte (Law c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] R.C.S. 497.

(…)

Si le Tribunal décide que l’article 5(3) de la LSV viole un des droits à l’égalité, le Ministre devra à ce moment-là justifier l’atteinte aux droits en vertu de l’article 1 de la Charte.

Donc, l’appelant est celui qui doit démontrer l’atteinte à ses droits et ce n’est qu’après cette démonstration que le Ministre devra démontrer que cette atteinte est justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte. »Note de bas page 18

[18] Le fardeau de preuve est le même pour une violation de l’article 7 de la Charte. Dans tous les cas, le fardeau de preuve initial quant à une violation d’un ou plusieurs droits protégés par la Charte incombe à la personne qui allègue cette violation.

[19] C’est donc seulement après une preuve prima facie – donc, une preuve à sa face même – de la violation d’un droit garanti par la Charte que le fardeau de preuve est renversé à la partie qui veut justifier la violation en tant que raisonnable dans une société libre et démocratique.Note de bas page 19

[20] La Cour suprême confirme ce fardeau de preuve dans l’arrêt KahkewistahawNote de bas page 20 et ajoute ce qui suit :

« Je crois que l’intuition peut fort bien nous amener à la conclusion que la disposition en question produit des effets distincts sur certains groupes, mais avant d’exiger de la Première Nation de Kahkewistahaw qu’elle justifie la violation de l’art. 15 dans sa Kahkewistahaw Election Act, il doit y avoir suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’existence d’une atteinte à première vue. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de s’acquitter d’un lourd fardeau de présentation, la preuve doit comprendre davantage qu’une accumulation d’intuitions. »Note de bas page 21

[21] En conséquence, soulever la constitutionnalité d’une loi ne doit pas constituer une partie de pêche. La partie qui soulève la violation ne doit pas que l’évoquer, mais en fournir la preuve :

« Bien que, de prime abord, la question à trancher puisse se présenter exclusivement comme une question de droit, les tribunaux n’accepteront pas de rendre des décisions relatives aux Chartes « dans un vide factuel » ou en se fondant sur « des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes ». »Note de bas page 22

Motifs de ma décision

[22] Je statue que l’appelant n’est pas en droit de recevoir des prestations de la Loi sur la SV pendant qu’il est incarcéré. Je rejette donc sa demande portant sur la constitutionnalité de l’article 5 (3) de la Loi sur la SV. Voici pourquoi.

Position des parties

[23] Je résumerai donc ci-bas les positions des parties relativement à une possible violation par l’article 5 (3) de la LSV des droits garantis par les articles 7 ou 15 (1) de la Charte.

Position du ministre

[24] Quant à la question portant sur l’article 7 de la Charte, la position du ministre est à l’effet que le dossier ne me permet pas de déterminer que le paragraphe 5 (3) brime les garanties juridiques instaurées par l’article 7 :

« L’appelant n’a présenté aucun argument volant (sic) que l’article 5 (3) de la LSV enfreint ses droits garantis par l’article 7 de la Charte. Il n’a présenté aucun argument indiquant comment il y a eu une atteinte à sa vie, sa liberté ou sa (sic) sécurité de sa personne. »Note de bas page 23

[25] La position du ministre relativement à la question portant sur l’article 15 (1) de la Charte est à l’effet que le dossier soumis par l’appelant ne me permettrait pas de me prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 5 (3) de la Loi sur la SV :

« Le dossier de l’appelant est incomplet. L’appelant ne fait qu’alléguer que la Loi sur la SV porte atteinte à son droit à l’égalité prévu par la Charte, mais il n’apporte pas d’éléments factuels ou de preuve suffisante pour démontrer que le paragraphe 5 (3) de la Loi sur la SV porte atteinte à son droit à l’égalité au sens de l’article 15 de la Charte. »Note de bas page 24

[26] En tout état de cause, le ministre est d’avis que si le paragraphe 5 (3) de la LSV portait atteinte à un droit garanti par la Charte, l’atteinte est justifiée sous l’article 1 de la Charte.Note de bas page 25

Position de l’appelant

[27] Quant à une violation en vertu de l’article 7, il est à noter que l’appelant n’offre ni argumentation, ni preuve d’une violation d’un droit protégé par l’article 7 de la Charte.

[28] En effet, il y a même fort peu de mentions dans le dossier de l’article 7 de la Charte. Pour l’ensemble du dossier, l’appelant indiquera ce qui suit quant à une possible violation de l’article 7:

  • Que son appel est déposé « conformément » à une liste d’articles de la Charte, dont l’article 7Note de bas page 26;
  • Que son appel « est présenté » selon la même liste d’articles, dont l’article 7Note de bas page 27;
  • Qu’il a « invoqué dans sa demande d’appel » la même liste d’articles, dont l’article 7Note de bas page 28;
  • Qu’il a « invoqué » l’article 7 dans une liste d’articles dans son appel déposé en 2016Note de bas page 29;

[29] Constatant ce qui précède, j’ai demandé à l’appelant, dans ma décision interlocutoire du 6 juin 2022, de répondre à la question de savoir quelle est l’atteinte à l’un des trois intérêts protégés par l’article 7 de la Charte par le paragraphe 5 (3) de la LSV. L’appelant a indiqué ce qui suit :

«  Il y aura atteinte à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés dans les cas où l’imprécision ou la portée excessive d’un texte de loi viole les principes de justice fondamentale. »Note de bas page 30

[30] Quant à une violation en vertu de l’article 15 (1), soit le droit à l’égalité, il est tout d’abord à noter que la question constitutionnelle circonscrite n’allègue pas le statut de prisonnier comme motif de distinction en vertu de cet article de la Charte.

[31] La question de savoir si l’appelant invoquait ce motif était quelque peu ambigüe à la lecture de son avis d’appel initial du 21 juillet 2016, qui comportait le paragraphe suivant :

« Par cette distinction faite et prouvée, la loi C-31 sur la suspension de la SV de l’appelant qui est incarcéré démontre que cette application de suspendre les redevances qui lui sont dues contre l’appelant, c’est de cibler certains groupes de personnes incarcérées ce qui est une infraction à l’article 15 (1) (2) de la Charte canadienne des droits et libertés sur la distinction des personnes âgées et du non-respect du droit à l’égalité devant la loi et le droit à la même protection de la loi et le droit au même bénéfice de la loi. »Note de bas page 31

[32] Cependant, cette question a été tranchée tant par la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême : le statut de prisonnier n’est pas un motif de distinction analogue à ceux énumérés à l’article 15 (1) de la CharteNote de bas page 32. La Cour suprême s’exprimait ainsi dans l’arrêt Sauvé :

“ Les prisonniers ne forment pas un groupe analogue à ceux énumérés au par. 15(1), parce que l’on ne peut considérer que l’incarcération résulte de l’application stéréotypée d’une présumée caractéristique de groupe.  Le fait d’être détenu est imputable à la perpétration d’un acte criminel grave, acte que l’intéressé a perpétré lui‑même.  La caractéristique commune aux membres du groupe est l’activité criminelle antérieure.  Tel était l’avis du juge de première instance dans Jackson, précité, comme l’a fait remarquer le juge de première instance en l’espèce : la différence de traitement découle « non pas de leurs caractéristiques personnelles, mais de leur conduite antérieure » (p. 920). C’était également le point de vue du juge Strayer dans Belczowski (première instance), précité, p. 162 : « Je ne peux pas conclure que l’application d’une loi au demandeur, à son détriment, parce qu’il a commis un acte criminel et qu’il est incarcéré en vertu d’une condamnation légitime, constitue de la discrimination pour un motif analogue à ceux que spécifie le paragraphe 15(1) ».Note de bas page 33

[33] En conséquence, la question constitutionnelle circonscrite quant à une possible violation de l’article 15 (1) est claire et le motif de distinction est l’état civil de l’appelant, soit célibataire.

[34] L’appelant prétend essentiellement que le conjoint d’une personne incarcérée peut faire une demande pour obtenir sa pension pendant que celui-ci est incarcéré et que sa pension ne lui est pas versée en vertu du paragraphe 5 (3) de la Loi sur la SVNote de bas page 34, que « les conjoints de fait peuvent demander de recevoir « la base de la pension de la SV du conjoint incarcéré » »Note de bas page 35  L’appelant s’exprime comme suit :

« L’appelant rappelle encore au TSS et au Ministre que le règlement utilisé paragraphe 5 (3), de la pension du Canada, que l’appelant est touché et ciblé plus particulièrement puisqu’il est célibataire donc il ne peut remettre sa pension à sa conjointe ou conjoint dans certains cas, ce qui fait que l’appelant est ostracisé encore plus et l’article de la Charte 15 (1) (2) s’applique et rentre dans l’énoncé faite (sic) dans la Charte canadienne des droits et libertés de 1982. »Note de bas page 36

[35] L’appelant indiquait également ce qui suit quant à sa prétention d’une discrimination sur la base de son état civil célibataire :

« L’appelant se voit restreindre ses droits et déposséder de ses avoirs dû de la SV, pour la seule raison qu’il est orphelin et célibataire incarcéré, qui sont des raisons et motifs justifiables utilisés par l’intimé (le Ministre) de ne pas reconnaître les droits reconnus à l’appelant par la Charte canadienne des droits et libertés et de la constitution du Canada et de l’universalité des lois et des droits applicables à tous les canadiens sans exception. »Note de bas page 37

[36] Enfin, je ne peux passer sous silence que, dans ses argumentaires, l’appelant consacre une bonne proportion de ses arguments à l’article 1 de la Charte. L’appelant s’y attarde à plusieurs reprises, cite souvent l’arrêt OakesNote de bas page 38 de la Cour suprême et rappelle longuement le fardeau de preuve qui incombe à la partie qui veut justifier une violation d’un droit protégé par la Charte. Ainsi, l’appelant s’exprimait ainsi dès le 18 janvier 2018 :

« Motifs clairs, et convainquant (sic), justifiant de nous priver de droits que la Charte di (sic) fondamentaux. En vertu de l’article 1, c’est à la partie qui vise à restreindre un droit ou une liberté qu’il appartient de démontrer que cette restriction est justifiée. Le fardeau de justifier une telle restriction ne naît qu’une fois qu’il est reconnu qu’un droit ou une liberté enchâssé dans la Charte est brimé. »Note de bas page 39

[37] L’intimé y reviendra dans son argumentaire du 16 octobre 2018Note de bas page 40, ainsi que dans ses soumissions du 20 décembre 2020, où il s’exprime comme suit :

« Selon l’article 1, le fardeau de la préparer et de la présenter est sans conteste celui du Procureur général ou de celui qui veut valider la violation de la Charte. La preuve requise selon l’article 1 est une preuve convaincante. »Note de bas page 41

[38] Je reviendrai à ceci dans mon analyse ci-bas.

Analyse

[39] Le ministre m’indique que le dossier ne me permet pas de conclure à la violation d’un droit garanti par la Charte. Il a raison.

Il y a peu ou pas d’arguments et il n’y a pas de preuve quant à une violation de l’article 7 de la Charte

[40] Dans un premier temps, je constate qu’il y a une absence à peu près totale d’arguments de la part de l’appelant quant à une violation de l’article 7 de la Charte.

[41] Il y a, je dirais même plus, une absence tout à fait totale de preuve de la part de l’appelant quant à une telle violation.

[42] Il ne m’est pas possible de pallier de telles absences. En aucun temps l’appelant n’a-t-il indiqué comment le paragraphe 5 (3) de la LSV viole son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne. Encore moins n’a-t-il prouvé une telle violation.

[43] L’appelant ne peut simplement faire mention d’un article de la Charte pour espérer que le Tribunal prenne la balle au bond. Je rappelais ci-haut le fardeau de preuve qui incombe à l’appelant et il est le sien : il doit faire la preuve d’une violation prime facie – donc, à sa face même, à première vue – d’un droit garanti par la Charte.

[44] Quant à l’article 7 de la Charte, l’appelant ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve et je dois donc rejeter cet argument.

La loi et la preuve n’appuient pas la prétention de l’appelant quant à une distinction sur la base de son état civil célibataire

[45] L’appelant prétend qu’un(e) conjoint(e) de fait ou un(e) époux(se) (ci-après nommé « conjoint(e) » pour rendre la lecture plus facile) peut recevoir la pension de la SV de sa ou son conjoint(e) si celui-ci ou celle-ci est incarcéré(e), et que cela viole son droit à l’égalité en tant que personne dont l’état civil est célibataire.

[46] Il explique cette prétention dans son argumentaire du 8 juillet 2022Note de bas page 42 et en fournit même la mécanique, selon lui :

« Un conjoint de fait se rend à un bureau de Service Canada et déclare que son conjoint pensionné est incarcéré et fait une demande pour recevoir « la base de la pension du conjoint incarcéré » « maintenant c’est demander une allocation qui est l’équivalent de la base de la pension mentionnée par l’appelant et le montant est le même soit de 648.28$ pour continuer à subvenir à ses besoins, à payer le loyer ou l’hypothèque et autres factures que seule elle ne peut survive (sic) sans la pension du pensionné incarcéré. »Note de bas page 43

[47] Au paragraphe 15 de cet argumentaire, l’appelant cite l’article 19 de la Loi sur la SV. Et, au paragraphe 14 du même argumentaire, l’appelant est d’avis que le mot « allocation » constitue la pension de la SV du/de la conjoint(e) incarcéré(e).

[48] Or, je ne crois pas que la preuve et la loi soutiennent les prétentions de l’appelant.

[49] L’Allocation prévue par l’article 19 de la Loi sur la SV n’est pas un substitut à la pension de la SV d’un(e) conjoint(e) incarcéré(e). Cette Allocation est disponible à toute personne d’au moins 60 ans mais n’ayant pas atteint 65 ansNote de bas page 44 qui remplit les autres critères de l’article 19, dont essentiellement être le/la conjoint(e) d’un(e) pensionné(e).

[50] Pour l’Allocation de l’article 19, voici ce qui s’applique pour un(e) conjoint(e) d’un(e) pensionné(e) qui serait incarcéré(e) :

  • L’incarcération n’en fait pas d’anciens conjoints de fait et ils sont réputés ne pas vivre séparémentNote de bas page 45, donc le/la conjoint(e) continue de bénéficier de l’Allocation;
  • Une demande annuelle doit être faite par les deux conjoints, et une demande est réputée faite par les deux si l’un des conjoints est incarcéréNote de bas page 46;
  • Cette Allocation n’est pas versée au/à la conjoint(e) si celui/celle-ci est lui-même ou elle-même incarcéré(e)Note de bas page 47;
  • Aussi, il est prévu que les revenus d’un(e) conjoint(e) incarcéré(e) sont comptabilisés pour le revenu conjoint mensuel en vertu de l’article 22Note de bas page 48;

[51] Cette Allocation peut tout à fait être payable au/à la conjoint(e) d’un(e) pensionné(e) qui n’est pas incarcéré(e). Elle demeure ou est également payable, par le mécanisme des articles 19 (1.1) et (1.2), au/à la conjoint(e) d’un(e) pensionné(e) qui est incarcéré(e). Ce qui change ici n’est pas l’état civil, mais bien l’état d’incarcération.

[52] Je suis d’avis que la loi ne contient aucun mécanisme qui fait que la pension de la SV d’une personne incarcérée devient payable à sa/son conjoint(e). En fait, comme me le souligne le ministre, l’article 36 de la Loi sur la SV dit tout la fait le contraire :

« Incessibilité

36 (1) Les prestations sont incessibles et insaisissables et ne peuvent être ni grevées ni données pour sûreté; il est également interdit d’en disposer par avance. Toute opération contraire à la présente disposition est nulle. »

[53] L’appelant a évoqué les discussions entre les parlementaires sur les modifications législatives qui ont mené à l’adoption de l’article 5 (3) de la Loi sur la SV. J’en ai compris que si les parlementaires ont discuté de personnes incarcérées, c’est qu’ils voulaient que les conjoint(e)s de celles-ci ne soient pas pénalisées par l’incarcération de ces personnes. Je n’y vois là aucun appui à la position de l’appelant.

[54] L’appelant ne m’a pas fait la preuve que la Loi sur la SV porte atteinte à son droit à l’égalité en tant que personne au statut civil célibataire. Je crois que, inévitablement, on en vient toujours au statut de personne incarcérée qui fait en sorte que l’appelant ne reçoit pas sa pension de la SV, plutôt qu’au statut civil. Or, le statut d’incarcéré, comme je l’ai dit plus haut, ne constitue pas un motif de discrimination.

[55] Quant aux arguments de l’appelant selon l’article 1 de la Charte, comme je l’ai dit plus haut, l’appelant doit prouver une violation préalable de ses droits protégés par la Charte avant qu’il ne s’opère un renversement du fardeau de preuve, où une partie devra tenter de justifier la violation. Cette analyse en vertu de l’article 1 n’est pas nécessaire dans le cadre du présent appel puisque l’appelant n’a pas fait la preuve d’une violation de l’un de ses droits garantis par la Charte.

Conclusion

[56] Je conclus que l’appelant n’est pas en droit de recevoir des prestations de la Loi sur la SV pendant qu’il est incarcéré. Je rejette également la demande de l’appelant portant sur la constitutionnalité de l’article 5 (3) de la Loi sur la SV.

[57] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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