Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Contenu de la décision

Citation : Succession de LB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 397

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : Succession de L. B.
Représentante ou représentant : Elliot Berlin
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 7 février 2018 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : George Tsakalis
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 23 novembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Représentant de la partie appelante
Représentant de la partie intimée
Date de la décision : Le 23 mars 2023
Numéro de dossier : GP-18-1079

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli en partie.

[2] L’appelante, à savoir la succession de L. B., est admissible à une pension de la Sécurité de la vieillesse, payable de juillet 2014 à septembre 2016.

[3] L’appelante n’est toutefois pas admissible au Supplément de revenu garanti.

[4] La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel en partie.

Aperçu

[5] L. B., le cotisant défunt, est né en juin 1949. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a reçu sa demande de pension de la Sécurité de la vieillesse en juin 2016.

[6] Le cotisant est ensuite décédé en septembre 2016.

[7] En octobre 2016, le ministre a approuvé sa demande de pension de la Sécurité de la vieillesse, pour des versements commençant en juillet 2015.

[8] En octobre 2016, le ministre a reçu une demande de Supplément de revenu garanti sans signature du défunt.

[9] Le ministre a décidé de ne pas accorder le Supplément de revenu garanti à l’appelante. En effet, la Loi sur la sécurité de la vieillesse ne permet pas l’approbation d’une demande de Supplément de revenu garanti après le décèsNote de bas page 1.

[10] L’appelante a porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[11] Le ministre a demandé au Tribunal de rejeter l’appel de façon sommaireNote de bas page 2. J’ai rejeté cette requête du ministre.

[12] J’ai dû mettre le présent appel en suspens puisqu’une autre question a fait surface, outre l’admissibilité de l’appelante au Supplément de revenu garanti. En effet, l’appelante prétend que le défunt avait été atteint d’une incapacité, ce qui l’aurait empêché de présenter plus tôt sa demande de pension de la Sécurité de la vieillesse. L’appelante essayait de recueillir des éléments de preuve concernant l’incapacité du défunt, cherchant notamment à obtenir une déclaration d’incapacité de la part d’un médecin. Le ministre a fait valoir que je n’avais pas la compétence nécessaire pour trancher la question de l’incapacité à ce stade, comme il n’avait pas lui-même rendu une décision sur l’incapacité du défuntNote de bas page 3. Le ministre a fini par convenir que je pourrais me prononcer sur la question de l’incapacité une fois qu’il se serait prononcé sur cette questionNote de bas page 4.

[13] Il a fallu beaucoup de temps au représentant légal de l’appelante pour obtenir des éléments de preuve du centre de soins de longue durée où le défunt avait résidé. Le représentant a fini par soumettre un dossier médical volumineuxNote de bas page 5. Il a aussi fallu beaucoup de temps au ministre pour rendre sa décision sur l’incapacité.

[14] Ultimement, le ministre a décidé que le défunt n’était pas atteint d’une incapacité au sens de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, et qu’il n’était donc pas admissible à une pension de la Sécurité de la vieillesse avant juillet 2015. Le ministre a maintenu sa position voulant que l’appelante était inadmissible au Supplément de revenu garanti du fait qu’il avait reçu la demande à cet effet seulement après le décèsNote de bas page 6.

[15] Selon l’appelante, la preuve démontre que le défunt avait été frappé d’incapacité et qu’il est donc admissible au maximum de rétroactivité possible pour sa pension de la Sécurité de la vieillesse. Il y serait donc admissible dès juillet 2014, soit le mois ayant suivi celui de son 65e anniversaire. Toujours selon l’appelante, compte tenu de cette incapacité, le défunt devrait être réputé avoir présenté une demande de Supplément de revenu garanti, et ainsi la rendre admissible au Supplément de revenu garanti.

Questions que je dois trancher

[16] L’appelante est-elle admissible à une pension de la Sécurité de la vieillesse avant juillet 2015?

[17] L’appelante est-elle admissible au Supplément de revenu garanti?

Motifs de ma décision

[18] J’ai décidé que l’appelante peut recevoir une pension de la Sécurité de la vieillesse à compter de juillet 2014, car elle a prouvé qu'il y avait eu incapacité chez le défunt au sens de la Loi sur la sécurité de la vieillesse.

[19] J’ai cependant décidé que l’appelante ne peut pas recevoir le Supplément de revenu garanti. En effet, il est précisé dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse que le ministre ne peut pas accorder le Supplément de revenu garanti s’il en reçoit la demande après le décès du cotisant.

La disposition sur l’incapacité s’applique ici

[20] Le ministre peut commencer à verser une pension de la Sécurité de la vieillesse au maximum 11 mois avant d'avoir reçu une demandeNote de bas page 7.

[21] Il existe une exception à la règle des 11 mois. C’est ce qu’on appelle la disposition sur l’incapacité. Lorsqu’elle s’applique, une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse peut être considérée comme ayant faite plus tôt qu’elle ne l’a réellement été.

[22] Pour se prévaloir de la disposition sur l’incapacité, l’appelante doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable que le défunt avait été continuellement incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant juin 2016Note de bas page 8.

[23] L’incapacité n’est pas simple à prouver. Il est sans importance de savoir si le défunt ignorait qu’il devait présenter une demande ou s’il ne pouvait pas remplir le formulaire de demande. L’alphabétisation n’est pas non plus un facteur. Il faut plutôt qu’il ait été incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Cette capacité n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement à d’autres possibilités pertinentes dans sa vieNote de bas page 9.

[24] C’est l’appelante qui est responsable de démontrer qu’il y avait incapacitéNote de bas page 10.

[25] Pour décider si le défunt satisfait au critère d’incapacité, je dois examiner les facteurs suivants :

  • Le témoignage quant à la nature et à l’étendue des limitations physiques et mentales du défunt;
  • Toute preuve médicale, psychologique ou autre présentée à l’appui de la demande d’incapacité;
  • La preuve d’autres activités auxquelles le défunt a pu se livrer durant la période concernée;
  • La mesure dans laquelle ces autres activités jettent un éclairage sur la capacité du défunt à former ou à exprimer une intention de demander des prestations pendant cette périodeNote de bas page 11.

[26] Si je conclus que le défunt était incapable de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension de la Sécurité de la vieillesse pour une période antérieure à la présentation de la demande en juin 2016, je peux considérer que la demande a été présentée le mois précédant le premier mois au cours duquel la pension aurait pu commencer à être versée.Note de bas page 12

Le témoignage de l’appelante appuie une conclusion d’incapacité au sens de la Loi sur la Sécurité de la vieillesse

[27] La fille du défunt représente sa succession comme appelante. Elle a témoigné en son nom. Avant l’audience, elle a fourni au Tribunal une déclaration solennelle précisant que le défunt était atteint d’une incapacité au moment où a été présentée sa demande de pension de la Sécurité de la vieillesse ou l’année précédant sa présentation. Elle a dit que l’état de santé du défunt s’était détérioré en 2002. Il avait été admis dans un centre de soins de longue durée en septembre 2006.

[28] D’après la déclaration solennelle, les problèmes de santé du défunt étaient nombreux et incluaient les suivants :

  • insuffisance cardiaque congestive;
  • acrosyndrome;
  • accident vasculaire cérébral;
  • insuffisance rénale chronique;
  • problèmes gastro-intestinaux;
  • diabète sucré avec ulcère du pied;
  • hypertrophie de la prostate;
  • douleurs chroniques rebelles;
  • anémieNote de bas page 13.

[29] La déclaration solennelle expliquait que le défunt avait le diabète de type 1. Il avait eu de nombreux accidents ischémiques transitoires, et deux accidents vasculaires cérébraux débilitants qui l’avaient rendu incapable de s’occuper de lui-même. Il était immobile. Il avait besoin d’une aide considérable de sa famille. Le défunt avait aussi dû être hospitalisé et intubé à maintes reprises après des incidents d'aspirationNote de bas page 14.

[30] La déclaration solennelle explique que la santé physique et mentale du défunt s’était détériorée au point où il avait dû être admis dans un centre de soins de longue durée en septembre 2006. Dans ce centre, il était incapable d’être autonome sur le plan physique. Il avait besoin du personnel pour ses besoins quotidiens. Il dépendait entièrement des autres pour toutes les exigences physiques et mentales de la vie quotidienneNote de bas page 15.

[31] La déclaration solennelle disait que le défunt pouvait seulement communiquer des besoins simples et immédiats. Il n’avait aucun intérêt à participer à des activités sociales. Il ne suivait pas bien ses traitements, ce qui nuisait non seulement à sa santé physique, mais aussi à sa santé mentaleNote de bas page 16.

[32] La déclaration solennelle expliquait que le défunt était seulement capable de communiquer des besoins et des désirs primaires. Il n’avait ni le désir ni la capacité de faire des choix convenables pour lui-même. Il n’était aucunement capable d’assumer la responsabilité de ses propres soins ou de ses besoins futurs et de leur planificationNote de bas page 17.

[33] Toujours selon la déclaration solennelle, le défunt souffrait de troubles de la parole et du langage liés à ses accidents vasculaires cérébraux. Il avait aussi développé des troubles de lecture et d’écriture. Il n’avait pas accès au monde extérieur. Il n’avait aucunement la capacité de demander des prestations. Il adoptait aussi fréquemment des comportements d’opposition et de non-conformité dans son centre de soins de longue durée, comme les suivants :

  • Il ne respectait pas son régime alimentaire pour diabétiques;
  • Il refusait de suivre un régime alimentaire mou, même après de multiples séjours en soins intensifs pour des incidents d’aspiration;
  • Il devait recourir à un tube d’alimentation parce qu’il ne respectait pas un régime alimentaire composé de liquides épaissis;
  • Il refusait de se changer et de prendre une douche;
  • Il avait de la difficulté à aller à la selle et refusait fréquemment de subir un lavement rectal;
  • Il sautait fréquemment des repas;
  • Il refusait d’aller à ses rendez-vous médicaux à l’extérieur du centre de soins de longue duréeNote de bas page 18.

[34] La déclaration solennelle expliquait que le défunt n’était pas autorisé à quitter le centre de soins pour aller à des rendez-vous sans surveillance immédiate. Seuls sa fille ou le personnel s’occupaient de prendre les dispositions nécessaires pour le transport, mais il refusait souvent de quitter le centreNote de bas page 19.

[35] La fille du défunt a déclaré qu’elle n’avait jamais été officiellement nommée mandataire du défunt. Cependant, elle était le point de contact au centre de soins de longue durée. Elle a dit qu’elle était devenue responsable du bien-être du défunt. L’épouse du défunt est décédée en 1989. Il ne pouvait pas vivre seul et il est entré au centre de soins de longue durée en 2006. Elle a dit que le défunt avait toujours besoin d’aide dans le centre de soins. Il ne pouvait pas se lever seul pour aller aux toilettes. Il parvenait à se faire comprendre par le personnel pour des besoins de base, comme s’il voulait aller fumer. Cependant, il ignorait les instructions. Le centre l’appelait à cause du comportement du défunt. Elle a dit qu’il se comportait désormais comme un enfant. Il ne voulait pas se doucher ou se changer. Il n’écoutait pas la diététiste. Elle a dit que les seules décisions que le défunt prenait consistaient à exprimer ses besoins de base. Il ne pouvait pas quitter le centre de soins de longue durée sans être accompagné. Il ne pouvait pas prendre lui-même les dispositions nécessaires pour quitter le centre. Il fallait qu’elle ou le personnel s’en occupe.

[36] La fille du défunt a affirmé qu’il n’avait pas la capacité de former l’intention de faire une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse. Elle a dit que le défunt n’avait aucune pièce d’identité valide à son entrée au centre de soins de longue durée. Le défunt avait bénéficié de prestations provinciales pour personnes handicapées. Elle n’était pas certaine de la date à laquelle il avait commencé à toucher ces prestations. Le gouvernement provincial reconnaissait toutefois qu’il ne pouvait pas travailler. Ces prestations provinciales pour personnes handicapées avaient pris fin en 2014, quand il avait eu 65 ans. Elle a dit que la personne responsable de son dossier au provincial avait envoyé de nombreuses lettres au centre de soins de longue duréeNote de bas page 20, dans le but de le rencontrer pour qu’il demande une pension de Sécurité de la vieillesse. Elle a dit que le défunt avait jeté ces lettres ou qu’il ne les avait pas ouvertes.

[37] La fille du défunt a dit que la personne responsable de son dossier de prestations provinciales avait approfondi l’affaire du fait qu’il ne répondait pas à ses lettres et à ses appels. La fille du défunt avait participé au processus de demande pour sa pension de la Sécurité de la vieillesse. Elle avait dû réunir suffisamment de pièces d’identité gouvernementales pour que sa demande soit approuvée. Le défunt n’avait pas aidé à remplir la demande. Elle avait dû lui dire de la signer. Elle avait assisté à la signature puisque la personne responsable de son dossier de prestations provinciales lui avait demandé d’être présente. Elle a dit que le défunt avait de la difficulté à écrire. Il avait néanmoins réussi à inscrire son nom dans la demande. Elle a dit que le défunt n’avait aucune idée du type de prestations pour lesquelles la demande était faite en son nom.

[38] La fille du défunt a dit avoir coché une case dans le formulaire de demande pour demander le Supplément de revenu garanti si une pension de la Sécurité de la vieillesse était accordée. Elle a dit qu’elle avait suivi les conseils de la personne qui s’était occupée du dossier du défunt au provincial. Elle a dit avoir présenté une demande de Supplément de revenu garanti après le décès du défunt. Elle avait seulement reçu un accusé de réception de cette demande en octobre 2016, soit environ un mois après le décès du défunt.

[39] La fille du défunt a dit que celui-ci ne pouvait pas présenter une demande pour une pension de la Sécurité de la vieillesse ou le Supplément de revenu garanti. Elle a dit qu’elle avait assumé le rôle de parent et qu’il était le bébé durant les 10 dernières années de sa vie. Il restait assis dans sa couche et refusait de se changer. Il avait perdu la capacité de se lever. Il avait besoin d’un fauteuil roulant. Il avait besoin de quelqu’un pour s’habiller et se doucher. Il pouvait répondre à des questions simples, mais était généralement taciturne. Elle a dit qu’il était frappé d’incapacité depuis son dernier accident vasculaire cérébral, en avril 2002.

[40] La fille du défunt a dit qu’elle le voyait une fois par semaine. Il perdait la mémoire. Il avait de la difficulté à se concentrer. En hiver, il allait dehors sans être habillé convenablement. Il sucrait très fortement son café malgré son diabète. Le défunt avait de la difficulté à comprendre ses médecins. Ses interactions sociales étaient limitées. C’est elle qui a dû donner son accord pour que le défunt aille à l’hôpital.

[41] La fille du défunt a dit que les prestations pour personnes handicapées étaient déposées dans le compte du défunt. Les parents du défunt payaient les frais du centre de soins. Elle s’occupait de payer ses factures. Elle a dit que le défunt pouvait prendre des décisions concernant ses besoins primaires, comme lorsqu’il avait faim et voulait manger. Cependant, il n’avait certainement pas la capacité de décider de demander des prestations. Il était évident pour elle que le défunt avait des lésions cérébrales et des déficiences cognitives importantes.

La preuve médicale appuie une conclusion d’incapacité chez le défunt

[42] La preuve médicale provenant du centre de soins de longue durée montre que le défunt avait été continuellement incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande depuis au moins janvier 2010.

[43] Le dossier du Tribunal contient une lettre rédigée par la directrice adjointe de l’établissement en date du 29 janvier 2021. Elle y confirme que le défunt pouvait lui-même prendre des décisions du quotidien. Cependant, il avait besoin d’aide pour les questions d’ordre financier. À son avis, le défunt n’avait pas la capacité de comprendre de telles questions durant plus ou moins les trois dernières années de sa vie. Elle a confirmé que la capacité du défunt n’avait jamais été évaluée de façon formelle pendant son séjour dans l’établissementNote de bas page 21.

[44] La preuve médicale du centre de soins de longue durée montre qu’en 2010, le défunt :

  • refusait de garder son appareil d’oxygénothérapie, même si les bienfaits de l’oxygène lui avaient été expliquésNote de bas page 22;
  • refusait de se laver et de se doucherNote de bas page 23;
  • refusait l’insertion d’un tube gastrique pour s’alimenterNote de bas page 24;
  • ne respectait pas son régime alimentaire, par exemple, en achetant énormément de barres chocolatées et en sautant des repas, alors qu’il était diabétiqueNote de bas page 25;
  • adoptait des comportements inappropriés, comme crier, ou pointer du doigt une infirmièreNote de bas page 26.

[45] Ses problèmes de santé ont continué en 2011, alors que le défunt :

  • a refusé de se rendre à l’hôpital pour une évaluationNote de bas page 27;
  • refusait de manger de la soupe en purée, même après avoir été averti des risques de ne pas s’alimenter ainsiNote de bas page 28;
  • s’adonnait à des activités dangereuses, comme fumer dans sa chambreNote de bas page 29.

[46] La preuve, toujours du centre de soins de longue durée, montrait que l’incapacité persistait en 2012 :

  • Il refusait de se doucher et de se laverNote de bas page 30;
  • Il ne respectait pas les recommandations nutritionnelles relatives aux liquides épaissisNote de bas page 31;
  • Il avait de la difficulté à expliquer ses problèmes de santé au personnelNote de bas page 32;
  • Sa fille avait pris des dispositions pour qu’il puisse manger à l’extérieur du centre de soins de longue duréeNote de bas page 33.

[47] La preuve médicale montre que le défunt avait refusé de se soumettre à des évaluations médicales en 2013Note de bas page 34.

[48] La preuve médicale datant de 2014 montre ce qui suit :

  • Le défunt avait de la difficulté à communiquer en raison d’une déficience auditiveNote de bas page 35;
  • Le défunt refusait de subir des examens médicauxNote de bas page 36;
  • Le défunt refusait parfois de manger et ne suivait pas son régime alimentaire pour diabétiques. Il contrôlait mal sa glycémie. Il avait refusé de respecter des interventions visant à stabiliser sa glycémieNote de bas page 37;
  • La fille du défunt avait laissé un message à l’établissement pour demander à un médecin d’évaluer une éruption cutanée sur les bras de son pèreNote de bas page 38;
  • Le défunt n’avait aucun intérêt pour les programmes organisés. Il passait son temps à regarder la télévision et à boire du caféNote de bas page 39;
  • Le défunt refusait que le personnel de soutien à la personne lui fasse sa toilette. Il avait aussi refusé un lavement rectalNote de bas page 40;
  • Le défunt refusait des injections d’insuline régulièresNote de bas page 41;
  • Le défunt refusait de se raserNote de bas page 42;
  • Le défunt utilisait son fauteuil roulant motorisé de façon non sécuritaire. Il n’arrivait pas à l’arrêter à temps et percutait des portes et des murs. Une ergothérapeute a dit que la vigilance du défunt était affectée par son taux de glycémieNote de bas page 43.

[49] La preuve médicale de 2015 montre que le défunt :

  • continuait d’utiliser son fauteuil roulant de façon dangereuseNote de bas page 44;
  • avait été congédié d’un programme de physiothérapie parce qu’il refusait le traitementNote de bas page 45;
  • avait été surpris en train de fumer à l’intérieur du centre de soins de longue duréeNote de bas page 46;
  • continuait de consommer énormément de sucre, même si sa glycémie était élevée. Il ne suivait pas le régime alimentaire qui lui était prescritNote de bas page 47.

[50] La preuve médicale pour 2016 ne montrait aucunement que l’état de santé ou la capacité décisionnelle du défunt se seraient améliorés. Il est décédé d’un arrêt cardiaque en septembre 2016Note de bas page 48.

Je ne suis pas d’accord avec l’argument du ministre voulant que le défunt n’était pas frappé d’incapacité

[51] À plusieurs reprises, le ministre a invoqué les dossiers du centre de soins de longue durée qui indiquaient que le défunt était capable de prendre ses propres décisions. En effet, il avait obtenu un zéro à un test de performance cognitive. D’après le ministre, ce résultat démontrait une fonction cognitive intacte et sa capacité à prendre ses propres décisionsNote de bas page 49.

[52] Je suis d’accord avec le ministre sur le fait que certains commentaires dans les dossiers médicaux expliquent que le défunt avait une capacité décisionnelle compte tenu de son résultat de zéro au test de performance cognitiveNote de bas page 50.

[53] Cependant, je n’accorde pas beaucoup d’importance aux résultats de ce test. Le centre de soins de longue durée n’avait pas officiellement évalué la capacité du défunt. Je souligne, comme l’a fait le représentant légal de l’appelante, que le test de performance cognitive avait été fait par des diététistes. Cette équipe évaluait la capacité du défunt à décider s’il voulait manger ou non. Le fait que le défunt avait la capacité de décider de manger ne signifie pas qu’il avait la capacité de former l’intention de demander une pension de la Sécurité de la vieillesse. Je ne crois pas non plus qu’une note de zéro au test de performance cognitive prouve une capacité au sens de la Loi sur la sécurité de la vieillesse.

[54] Le ministre a signalé que certains éléments de preuve médicale ne corroboraient pas une incapacité. Je conviens qu’il est arrivé au défunt de conduire son fauteuil roulant motorisé en toute sécurité. Je conviens aussi qu’il avait été capable d’acheter des articles au comptoir de provisions du centre de soins de longue durée.

[55] Cependant, je suis convaincu que la preuve démontrait que le défunt avait de graves limitations physiques et mentales. Sa mobilité était réduite. Il était restreint dans ses activités quotidiennes. Il dépendait des autres pour se laver, se raser et faire sa toilette. Il se fiait aux autres personnes pour prendre ses médicaments. Sa capacité décisionnelle était aussi gravement altérée. Rien ne me permet de douter du témoignage de sa fille voulant que le défunt avait reçu de l’aide et des consignes pour signer sa demande de pension de la Sécurité de la vieillesse.

[56] Je suis d’accord avec le représentant légal de l’appelante pour dire que le défunt était frappé d’une incapacité au sens de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Le défunt ne pouvait pas s’occuper de ses propres soins de santé. Il ne pouvait pas non plus s’occuper de son hygiène personnelle. Il ne pouvait pas veiller à bien se nourrir. Il ne pouvait pas veiller à sa propre sécurité. Le centre de soins de longue durée s’en remettait à sa fille pour prendre des décisions en son nom.

[57] Je suis d’accord avec le représentant légal de l’appelante pour dire que le défunt n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension de la Sécurité de la vieillesse du simple fait qu’il arrivait à faire certaines activitésNote de bas page 51. Le défunt parvenait à communiquer des besoins de base, comme le souhait de manger. Cela ne traduit toutefois pas la capacité décrite par la Loi sur la sécurité de la vieillesse. La preuve a clairement montré que le défunt avait de graves problèmes de santé, à cause desquels il avait été admis dans un centre de soins de longue durée, ainsi que sa dépendance aux autres pour subvenir à ses besoins fondamentaux.

[58] Je conviens également que l’incapacité du défunt avait été continue depuis au moins janvier 2010. Je n’ai vu aucune amélioration de son état de santé, ni de sa capacité à faire des activités du quotidien, ni de sa capacité à prendre des décisions.

Début du versement de la pension de la Sécurité de la vieillesse

[59] J’ai conclu que le défunt était atteint d’une incapacité au sens de la Loi sur la sécurité de la vieillesse depuis au moins janvier 2010. Par conséquent, je peux considérer sa demande de pension de la Sécurité de la vieillesse comme ayant été présentée le mois précédant le premier mois où le versement de la pension aurait pu commencer.

[60] Je considère ainsi que sa demande de pension de la Sécurité de la vieillesse a été présentée en juin 2014, soit le mois précédant celui à partir duquel sa pension aurait pu commencer. Sa pension de la Sécurité de la vieillesse aurait pu commencer à être versée en juillet 2014, soit le mois suivant celui où le défunt a eu 65 ans.

[61] Par conséquent, l’appelante est admissible à une pension de la Sécurité de la vieillesse à compter de juillet 2014, soit le mois suivant le 65e anniversaire du défunt. Le versement de cette pension prend fin le mois du décèsNote de bas page 52, soit en septembre 2016.

L’appelante n’est pas admissible au Supplément de revenu garanti

[62] L’appelante n’est pas admissible au Supplément de revenu garanti. En effet, conformément à la Loi sur la sécurité de la vieillesse, le ministre ne peut pas accorder le Supplément de revenu garanti s’il reçoit une demande à cet effet après le décès du cotisant.

[63] Selon le représentant légal de l’appelante, si je conclus que le défunt était incapable de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension de la Sécurité de la vieillesse, je devrais forcément conclure qu’il était aussi incapable de former l’intention de demander le Supplément de revenu garanti, et réputer sa demande pour ce supplément comme ayant été faite plus tôt, comme pour sa pension de la Sécurité de la vieillesse.

[64] Je ne souscris pas à cet argument.

[65] Lorsque j’interprète la Loi sur la sécurité de la vieillesse, je dois appliquer le « principe moderne » de l’interprétation législative. Les mots d’une loi doivent être lus « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateurNote de bas page 53. »

[66] L’article 29 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse permet au ministre d’accorder une pension de la Sécurité de la vieillesse si une demande est reçue dans l’année suivant le décès. L’article 29 de la Loi a été modifié en 2007, et « pension » a alors remplacé « prestation ». La définition du mot « pension » à l’article 2 se limite à une pension, tandis que celle du mot « prestation » comprend le supplément.

[67] Il est clair à l’article 29 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse que le pouvoir du ministre se limite à l’octroi d’une pension de la Sécurité de la vieillesse dans le cas d’une demande reçue après le décès.

[68] Même lorsque le libellé d’une loi semble clair, je dois quand même tenir compte du contexte global de l’article de loi que j’interprète.Note de bas page 54 Je dois tenter d’interpréter l’article 29 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse de la manière qui correspond le mieux à l’objectif premier de cette loiNote de bas page 55.

[69] Lorsque j’examine l’objet d’une loi, je suis en droit de présumer que toutes les lois ont un objet. Dans la mesure où le libellé de la loi le permet, je dois adopter une interprétation qui est conforme à l’objet de la loi ou qui en favorise l’application, tout en évitant les interprétations qui vont à l’encontre de l’objet de la loi ou qui le minentNote de bas page 56.

[70] L’objet de la Loi sur la sécurité de la vieillesse est de fournir un soutien du revenu aux personnes âgéesNote de bas page 57. Elle ne doit pas servir à l’accumulation d’actifs ou à l’amélioration du patrimoineNote de bas page 58. Dans le passé, le Tribunal a jugé que les dispositions de la Loi sur la sécurité de la vieillesse en matière d’incapacité ne s’appliquent pas aux demandes de Supplément de revenu garanti présentées après le décèsNote de bas page 59.

[71] Il est clair que l’article 29 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse n’autorise pas les demandes de Supplément de revenu garanti après le décès. La disposition sur l’incapacité de l’article 28.1 de la Loi peut seulement intervenir dans le cas d’une demande qui se trouve bel et bien présentée.

[72] L’interprétation qu’a proposée le représentant légal de l’appelante contredit le libellé clair de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Cette interprétation ne sert pas non plus son objectif de fournir un soutien du revenu aux personnes âgées, plutôt que d’aider une succession.

[73] De plus, l’historique d’un texte peut m’aider dans son interprétationNote de bas page 60. J’estime que le législateur a délibérément choisi, lorsqu’il a modifié en 2007 l’article 29 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, d’exclure les demandes de Supplément de revenu garanti présentées après le décès.

[74] Aucune preuve ne montre que le ministre aurait reçu la demande de Supplément de revenu garanti avant le décès du cotisant. Sa fille a admis que la demande avait été envoyée après son décès.

[75] Dans sa demande de pension de la Sécurité de la vieillesse, le défunt précisait qu’il voulait demander le Supplément de revenu garanti si sa demande de pension était approuvée. Selon moi, cette requête ne peut être jugée équivalente à la présentation d’une véritable demande de Supplément de revenu garanti. En effet, la Loi sur la sécurité de la vieillesse prévoit que le supplément n’est versé que sur demandeNote de bas page 61. Le Règlement sur la sécurité de la vieillesse précise que « la demande de prestation doit être présentée sur une formule de demandeNote de bas page 62. » Il y est aussi précisé que la « demande n’est réputée présentée que si une formule de demande […] est reçue par le ministreNote de bas page 63. » Le Règlement sur la sécurité de la vieillesse explique également qu’une « formule de demande » désigne la formule de demande requise par le ministreNote de bas page 64.

[76] Le ministre a seulement reçu la formule de demande de Supplément de revenu garanti après le décès du défunt.

[77] Malgré les bons arguments du représentant légal de l’appelante, je ne peux pas accorder le Supplément de revenu garanti à la succession sur la base des dispositions relatives à l’incapacité.

Conclusion

[78] L’appelante est admissible à une pension de la Sécurité de la vieillesse, payable de juillet 2014 et à septembre 2016.

[79] L’appelante n’est pas admissible au Supplément de revenu garanti.

[80] Par conséquent, l’appel est accueilli en partie.

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