Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Succession de MK c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 193

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Succession de M. K.
Partie intimée :

B. K.

Partie intimée :

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Représentante ou représentant :

Yanick Bélanger


Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 5 avril 2023
(GP-22-662)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 7 février 2024
Personnes présentes à l’audience : Représentant de l’appelante
Représentant de l’intimé
Date de la décision : Le 29 février 2024
Numéro de dossier : AD-23-671

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel. La succession de la défunte M. K. n’a pas droit à des versements rétroactifs supplémentaires du Supplément de revenu garanti. M. K. (que j’appellerai « la défunte ») n’était pas incapable de présenter une demande de Supplément de revenu garanti avant septembre 2018.

Aperçu

[2] La défunte a vécu à Malton pendant de nombreuses années. Après le décès de son époux en juillet 2009, elle a déménagé à North Bay pour vivre avec ses enfants adultes. Elle est décédée en avril 2021 à l’âge de 88 ans.

[3] En septembre 2018, B. K., le fils de la défunte et détenteur d’une procuration relative aux biens, a demandé le SupplémentNote de bas de page 1. La défunte avait déjà reçu le Supplément de revenu garanti, mais n’en avait pas fait la demande depuis 2009.

[4] Service Canada, l’organisme public du ministre, a approuvé la demande à compter d’octobre 2017, ce qui, selon lui, était la date de versement la plus rapprochée permise par la loiNote de bas de page 2. B. K. pensait que sa mère aurait dû recevoir des versements rétroactifs supplémentaires de Supplément de revenu garanti. Il a affirmé qu’elle était frappée d’incapacité depuis des années et incapable de gérer ses affaires. Il a fait appel de la décision du ministre concernant la date du versement du supplément à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] La division générale a tenu une audience par téléconférence et a rejeté l’appel. Elle a conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que la défunte était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant septembre 2018. Entre autres choses, la division générale a souligné que la défunte avait démontré sa capacité en donnant une procuration à son fils le mois précédent.

[6] Agissant en sa qualité de représentant de la succession de sa mère, B. K. a ensuite demandé la permission de faire appel à la division d’appel. En juillet dernier, un de mes collègues de la division d’appel a accordé à la succession la permission de faire appel. Plus tôt ce mois-ci, j’ai tenu une audience pour discuter en détail de la demande de prestations d’incapacité de la successionNote de bas de page 3.

Question en litige

[7] Dans le présent appel, je devais décider si le défunt était incapable de demander le supplément avant septembre 2018.

Analyse

[8] J’ai appliqué la loi aux éléments de preuve disponibles et j’ai conclu que la défunte n’était pas frappée d’incapacité avant septembre 2018. Je n’ai aucun doute qu’elle a eu des problèmes de santé importants au cours de ses dernières années, mais je n’ai pas trouvé assez d’éléments de preuve montrant qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande plus tôt.

Le critère de détermination de la capacité est strict

[9] Une personne qui déclare l’incapacité doit prouver qu’elle n’était pas en mesure de former ou d’exprimer l’intention de demander des prestations de la Sécurité de la vieillesse comme le Supplément de revenu garantiNote de bas de page 4. Cette incapacité doit être continue à partir de la date à laquelle elle prétend être devenue frappée d’incapacité jusqu’à la date à laquelle elle a présenté une demandeNote de bas de page 5.

[10] La disposition sur l’incapacité est précise et ciblée. Il n’exige pas de prendre en considération la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations, mais seulement la capacité de prendre ou de communiquer une décision en ce sensNote de bas de page 6. La capacité doit être considérée à la lumière du sens ordinaire du terme et établie en fonction de la preuve médicale et des activités du requérant. Cette capacité est semblable à la capacité de former ou d’exprimer une intention relativement à d’autres choix de vieNote de bas de page 7.

[11] C’est également le cas dans la présente affaire. La succession a produit des éléments de preuve montrant que la défunte avait de la difficulté à prendre soin d’elle-même, mais ils ne montrent pas qu’elle n’avait pas la capacité, lorsqu’on lui présentait des options précises, de faire des choix de vie éclairés pendant la période pertinente. Comme nous le verrons, la défunte a peut-être manqué de volonté ou d’initiative pour gérer ses affaires, mais il ne s’agit pas de la même chose qu’un manque de capacité.

[12] Les éléments de preuve écrits et oraux donnent à penser que la défunte était capable de faire des activités quotidiennes et de faire des choix de vie qui s’apparentent à former l’intention de présenter une demande de prestations.

Le fils de la défunte avait peu de contacts avec sa mère

[13] B. K. a témoigné au sujet de l’état de santé de sa mère au cours des années précédant la prise de contrôle de ses affaires financières. Toutefois, il avait peu de connaissance directe des capacités de sa mère au cours de la période pertinente. Et le peu dont il se souvenait a miné sa cause.

[14] B. K. a dit que son père avait exploité une entreprise d’équipement lourd à Malton pendant de nombreuses années. La défunte a aidé son époux à exploiter l’entreprise jusqu’à sa retraite en 1995. Lorsqu’il est décédé en 2009, sa mère a emménagé dans la propriété familiale de North Bay, où sa fille, S. K. (la sœur de B. K.), vivait déjà. Ses deux fils aînés, qui n’avaient jamais quitté la maison, les ont rejoints.

[15] À l’époque, B. K. et son épouse vivaient à Caledon, à plus de trois heures de route de North Bay. Après quelques années, il a rendu visite à sa mère et à ses frères et sœurs et a été choqué de les voir tous vivre dans la misère. Il se souvient d’être entré dans la maison et d’avoir été frappé par une odeur nauséabonde. Cela l’a inquiété de trouver sa mère dans un tel environnement et c’est à ce moment qu’il s’est rendu compte qu’elle ne pouvait plus prendre soin d’elle-même. En raison de leurs divers problèmes personnels, ses frères et sœurs ne pouvaient pas non plus s’occuper d’elle.

[16] B. K. a dit qu’il voulait sortir sa mère de cet endroit. Cependant, lorsqu’il l’a incitée à partir, elle a haussé les épaules. Elle lui a demandé : [traduction] « Comment puis-je quitter ma propre maison? » Il se souvient qu’elle a commencé à faire bouillir des pommes sur la cuisinière pour masquer l’odeur ambiante.

[17] Il n’a pas revu sa mère avant 2013. À cette occasion, il ne se souvenait pas qu’elle ait dit grand-chose. Il l’a revue en 2014 et en 2015 pour de brèves visites où il est resté coucher. Il ne se souvenait pas non plus beaucoup de ces visites, sauf de la quantité d’ordures qu’il avait vu traîner.

[18] En 2015, la défunte a été admise à l’hôpital avec une infection grave aux deux jambes. B. K. n’a pas été témoin de cette crise, mais il croit que cela s’est produit parce que sa sœur et son frère ne s’occupaient pas adéquatement de leur mère. Lorsque celle-ci a obtenu son congé, elle a emménagé avec son autre fille, K. K., qui vivait près de North Bay dans un appartement au-dessus d’un restaurant.

[19] Selon ce que B. K. comprend, aucune de ses sœurs ne pouvait s’occuper des soins de leur mère. Elles ne pouvaient pas faire ses repas ni trier ses médicaments. En 2017, il a découvert que sa mère avait été brièvement prise en charge lorsque les autorités se sont inquiétées qu’elle faisait l’objet de négligence. Il a offert d’amener leur mère chez lui à Caledon, mais ses sœurs ont refusé. Le lendemain, il a appris que sa mère avait été placée dans une maison de soins infirmiers à Huntsville. Il pense que K. K. l’a fait placer à cet endroit au cours de l’année 2018.

[20] Un bon jour en 2018, B. K. a reçu un appel d’une médecin de la maison de soins infirmiers. Elle lui a dit que sa mère voulait lui donner une procuration pour ses affaires personnelles et financières. Il a compris que la maison de soins infirmiers voulait qu’une personne produise des déclarations de revenus au nom de sa mère, alors il a accepté. Quelques mois plus tard, il a rendu visite à sa mère à X. Il est resté bouche bée lorsqu’il l’a vue. Il la reconnaissait à peine. Elle était rendue très mince et aveugle. Elle faisait de l’arthrite et elle était en fauteuil roulant.

[21] Je comprends que les dernières années de la défunte ont été difficiles, et je ne doute pas que celle-ci ait éprouvé beaucoup des problèmes de santé qui sont typiquement associés à la vieillesse, comme des troubles de la mémoire et une baisse d’énergie. Cependant, selon son propre témoignage, B. K. n’a vu la défunte que quelques fois au cours des neuf années avant qu’il obtienne une procuration d’elle. Le témoignage de B. K. porte également à croire que sa mère avait toujours la capacité de prendre des décisions la concernant. Lorsqu’il a offert de la sortir de la maison qu’elle partageait avec ses enfants, elle a refusé. Lorsque la maison de soins infirmiers l’a incitée à donner une procuration, elle a choisi B. K.

[22] De plus, la preuve médicale au dossier ne contient aucune indication que la défunte avait des problèmes cognitifs importants.

Les rapports médicaux de la défunte n’indiquent aucune incapacité

[23] De 2015 à 2017, la défunte a eu de multiples contacts avec des professionnels de la santé, et elle n’a jamais mentionné avoir des problèmes cognitifs ou mentaux. Toutes ses interactions avec du personnel médical étaient liées à des problèmes physiques :

  • En février 2015, la défunte a été admise à l’urgence pour rougeurs et enflure aux jambes. Il semblait qu’elle avait plusieurs chats à la maison et qu’ils lui grafignaient les jambes. Lorsqu’elle a été examinée, elle était alerte et n’éprouvait aucune détresse aiguë. Elle a obtenu un diagnostic de cellulite. On lui a prescrit des antibiotiques et elle a reçu son congé après un séjour de deux semaines à l’hôpitalNote de bas de page 8.
  • En juin 2015, la défunte a été vue pour un kyste épidermoïde chroniquement infecté dans le haut du dos en vue d’une excision éventuelle. Ses antécédents médicaux étaient remarquables en raison d’une cholécystectomie antérieure, d’un cancer du sein traité par une lumpectomie et de la radiothérapie, et d’une hystérectomie partielle. Elle a dit au chirurgien examinateur qu’elle avait le kyste depuis février et que, bien qu’il ait été incisé et drainé, il n’avait pas guériNote de bas de page 9.
  • En septembre 2017, la défunte a été hospitalisée après que son préposé aux services de soutien à la personne s’est inquiété du niveau de soins qu’elle recevait à la maison. Cette « situation de crise » a été déclenchée lorsque son fauteuil roulant électrique est tombé en panne et que ses filles étaient incapables de le faire réparer. Il a été noté qu’elle avait des antécédents d’hypertension, d’arthrose et de problèmes d’équilibre depuis longtemps. À l’examen, ses signes vitaux étaient normaux. Après un séjour de quatre jours, la défunte a été confiée aux soins de ses filles avec le soutien du centre d’accès aux soins communautairesNote de bas de page 10. Le médecin traitant a conclu : [traduction] « La coordonnatrice du centre d’accès aux soins communautaires ici a pu s’asseoir avec la famille et avoir une conversation plus approfondie, et il semble qu’il y ait eu une réaction un peu excessive potentiellement. Leur mère était certainement d’accord avec cela et elle était alerte et lucide. »

[24] Aucun des rapports ci-dessus ne porte à croire que la défunte était incapable de prendre des décisions concernant ses soins de santé ou d’autres questions importantes pendant la période pertinente. La défunte était âgée. Elle était manifestement atteinte de divers problèmes de santé. Il est possible que les soins qu’elle recevait au quotidien n’étaient pas optimaux. Cependant, rien de tout cela ne signifiait qu’elle était frappée d’incapacité selon la définition législative. À mon avis, si la défunte avait la capacité de consentir au traitement de 2009 à 2018, elle avait probablement aussi la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander le Supplément de revenu garanti.

Une déclaration d’incapacité ne tranche pas cette question

[25] En septembre 2019, la Dre Lindsay MacMillan a rempli et signé une déclaration d’incapacité au nom de la défunteNote de bas de page 11. La Dre MacMillan a répondu « oui » à la question de savoir si l’état de santé de la défunte la rendait incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Elle a dit que l’incapacité de la défunte avait commencé en 2010. Toutefois, lorsqu’on lui a demandé quels étaient les problèmes de santé à l’origine de l’incapacité, la Dre MacMillan a répondu : [traduction] « déficiences visuelles et auditives graves, déficiences cognitives légères et arthrose grave qui la condamne à être en fauteuil roulant ».

[26] Par la suite, la Dre MacMillan a présenté une lettre à l’appui de la demande de la successionNote de bas de page 12. En septembre 2023, elle a écrit que la défunte était atteinte d’une déficience cognitive [traduction] « légère à modérée », ce qui a entraîné chez elle [traduction] « une instabilité émotionnelle ou mentale grave ainsi qu’une incapacité physique » qui auraient nui à sa capacité de payer ses impôts avant que son fils devienne son mandataire en 2018.

[27] Je peux seulement accorder une certaine importance à la preuve de la Dre MacMillan. Premièrement, la Dre MacMillan mentionne seulement une déficience cognitive « légère » (plus tard modifiée à « légère à modérée ») dans des conditions physiques qui n’affecteraient pas le fonctionnement cérébral de la défunte. Deuxièmement, la Dre MacMillan ne traitait pas la défunte lorsque sa prétendue incapacité a commencé, et je soupçonne qu’en tant que médecin de Huntsville, elle n’a pas vu la défunte avant son admission à X en juin 2018 ou autour cette date. Enfin, les opinions de la Dre MacMillan ne sont que deux éléments de preuve parmi d’autres qui laissent croire que la défunte a été en mesure de comprendre le traitement médical et d’y consentir.

La défunte a donné une procuration à son fils

[28] Il ne faut pas oublier que « former » une intention exige seulement une activité mentale. L’âge de la défunte a peut-être fait en sorte qu’elle était moins au courant du Supplément de revenu garanti, et cela pourrait avoir nui à sa volonté de faire une demande, mais pas à ses capacités cognitives essentielles pour former l’intention de faire une demande. Le dossier montre que lorsque la défunte a reçu des options et qu’on lui a dit laquelle choisir, elle a manifesté l’intention claire d’accomplir une action préciseNote de bas de page 13. On lui a donné l’option de quitter la maison à North Bay, et elle a choisi de rester. On lui a demandé de choisir un de ses enfants comme mandataire pour ses biens et elle a choisi B. K.

[29] Comme le ministre l’a souligné, l’acte même d’accorder une procuration exige une certaine capacité. Il semble que lorsqu’elle a été admise à X, les autorités de cette ville voulaient s’assurer que la défunte recevait toutes les prestations gouvernementales auxquelles elle était admissible. On présume qu’elle croyait qu’elle n’était pas en mesure de produire elle-même ses déclarations de revenus ou de demander des prestations, sinon elle n’aurait pas fait de démarches pour nommer un mandataire pour ses biens. Il semble que X ait fait appel à un avocat pour faire préparer les documents nécessaires, y compris une déclaration sous serment dans laquelle il a juré que la défunte [traduction] « semblait comprendre » ce qu’elle signaitNote de bas de page 14. (B. K. a déclaré que sa mère a signé avec un « X » non pas parce qu’elle était frappée d’incapacité ou analphabète, mais parce qu’elle avait de l’arthrite aux mains.)

[30] On a demandé à B. K. comment, si sa mère était frappée d’incapacité, elle pouvait lui donner une procuration. Il a répondu que sa mère, à ce moment-là, était très suggestible. Elle signait tout ce qu’on mettait devant elle. C’était peut-être le cas, mais elle avait démontré par le passé qu’elle était capable de dire ce qu’elle voulait et de faire des choix. La défunte n’a peut-être pas pu demander des prestations elle-même, mais cela ne signifie pas qu’elle était également incapable de « former ou d’exprimer » l’intention de le faire. Il est possible que la défunte n’ait pas pensé au Supplément de revenu garanti, si elle en était même au courant, mais rien ne laissait croire que si l’option lui avait été proposée, elle aurait été mentalement incapable de décider d’aller de l’avant ou non avec une demande.

Conclusion

[31] Malgré mes efforts, je n’ai pas trouvé de moyen d’accorder des prestations rétroactives supplémentaires à la succession. En fin de compte, il n’y avait tout simplement pas assez d’éléments de preuve montrant que la défunte n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander le Supplément de revenu garanti avant septembre 2018. Pour cette raison, la succession n’est pas admissible au versement du Supplément de revenu garanti avant octobre 2017.

[32] L’appel est rejeté.

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