Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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[TRADUCTION]

Citation : DT c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 170

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : D. T.
Représentante ou représentant : Marta Lisinski
Partie défenderesse : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Érélégna Bernard
et
Partie appelante : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Érélégna Bernard
Partie défenderesse : D. T.
Représentante ou représentant : M. L.

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le
8 mars 2023 (GP-21-1899)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 31 février 2024
Personnes présentes à l’audience : D. T.
M. L.
Mme Bernard
Date de la décision : Le 22 janvier 2024
Numéro de dossier : AD-23-548
AD-23-623

Sur cette page

Décision

[1] La présente affaire est un appel incident dans lequel les deux appels sont accueillis en partie. Les parties ont déjà convenu que D. T. (la requérante) avait au moins 18 ans de résidence au Canada. Je conclus qu’elle a également résidé au Canada de novembre 2009 à avril 2015.

Aperçu

[2] La requérante est née en Macédoine en décembre 1948. Elle est venue au Canada en 1971 comme résidente permanente. Depuis, elle partage son temps entre le Canada et son pays natal.

[3] En janvier 2013, la requérante a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse (SV). Elle a dit qu’elle voulait que sa pension soit versée dès qu’elle y avait droitNote de bas de page 1.

[4] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a accordé à la requérante une pension partielle de 19/40 du montant d’une pleine pensionNote de bas de page 2. Le ministre a conclu que la requérante a résidé au Canada de février 1971 à août 1982 et de juin 2001 à janvier 2009.

[5] Le ministre avait déjà approuvé la demande pour l’Allocation au survivant (allocation) de la requérante en janvier 2009. Après qu’elle a commencé à recevoir sa pension de la SV, le ministre a également approuvé sa demande de Supplément de revenu garanti (supplément). Son admissibilité à l’allocation et au supplément dépend de la continuité de sa résidence au Canada, tout comme pour la pension de la SV.

[6] En mars 2017, le ministre a été informé que la requérante n’était plus résidente. À la suite d’une enquête, le ministre a établi qu’elle n’a pas vécu au Canada depuis mai 2008. En avril 2020, il l’a informée qu’elle n’avait pas droit à la pension de la SV, à l’allocation ou au supplémentNote de bas de page 3. Il a également exigé le remboursement de toutes les prestations qu’elle avait reçues au cours des 11 derniers ans, soit un montant total de plus de 115 000 $Note de bas de page 4.

[7] La requérante a fait appel de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Celle-ci a tenu une audience par vidéoconférence et a accueilli l’appel en partie. Elle a conclu que la requérante a résidé au Canada de février 1971 à août 1982 et de juin 2001 à septembre 2008, ce qui lui donnait droit à une pension partielle de la SV de 18/40 du montant d’une pleine pension.

[8] Le ministre et la requérante ont fait appel de la décision de la division générale devant la division d’appel :

  • Le ministre admet que la requérante a résidé au Canada pendant plus de 18 ans. Toutefois, il souligne que la division générale n’a pas abordé la question de sa résidence après septembre 2008 et, par extension, de son droit à l’allocation et au supplément. Il demande à la division d’appel de conclure que la requérante a vécu à l’étranger de septembre 2008 à mai 2019.
  • La requérante reconnaît qu’entre septembre 2008 et mai 2019, elle a passé une grande partie de son temps en Macédoine. Cependant, elle affirme que Service Canada lui a donné un avis erroné. Celui-ci l’a portée à croire qu’elle avait le droit de continuer à recevoir ses prestations canadiennes pourvu qu’elle revienne au Canada au moins une fois tous les six mois.

[9] L’an dernier, la division d’appel a accordé la permission de faire appel au ministre et à la requérante. Ensuite, elle a joint les appels après avoir conclu qu’ils soulevaient des questions communes et que le fait de les examiner ensemble ne causerait aucune injustice aux parties.

Question en litige

[10] Comme je l’ai mentionné, le ministre a révisé la position qu’il a adoptée à la division générale. En effet, il soutenait que la requérante a résidé au Canada pendant un total de 17 ans et neuf mois. Maintenant, il soutient qu’elle a 18 ans et neuf mois de résidence au Canada, plus précisément pour les périodes suivantes :

  • le 20 février 1971 et le 10 août 1982;
  • le 23 juin 2001 et le 23 septembre 2008.

[11] Les parties conviennent que la requérante a résidé au Canada pendant les périodes mentionnées ci-dessus. Elles conviennent également que la requérante n’était pas une résidente du Canada entre le 10 août 1982 et le 23 juin 2001.

[12] De plus, les parties conviennent que la requérante a recommencé à vivre au Canada le 15 mai 2019. Je ne vois pas de raison de remettre en question les dates convenues. Par conséquent, la seule question du présent appel est de savoir où la requérante a résidé pendant près de 11 ans, soit la période entre le 23 septembre 2008 et le 15 mai 2019.

Analyse

[13] J’ai appliqué la loi à la preuve disponible et j’ai conclu que la requérante a résidé au Canada du 6 novembre 2009 au 14 avril 2015. J’ai également conclu qu’elle a cessé d’être résidente à compter de cette dernière date jusqu’au 15 mai 2019, le jour où elle est revenue au Canada et a recommencé à vivre avec sa fille de façon permanente.

La résidence dépend de nombreux facteurs

[14] Pour recevoir une pleine pension de la SV, une personne doit prouver qu’elle a résidé au Canada pendant au moins 40 ans après avoir atteint l’âge de 18 ansNote de bas de page 5. Pour ce qui est d’une pension partielle, elle doit prouver qu’elle a résidé au Canada pendant au moins 10 ans après avoir eu 18 ans. Si elle ne résidait pas au Canada au moment où sa demande a été approuvée, elle doit prouver qu’elle y a résidé pendant 20 ansNote de bas de page 6.

[15] Une personne qui demande une pension de la SV doit prouver qu’elle a résidé au Canada selon la prépondérance des probabilités. En d’autres mots, elle doit me convaincre qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle a résidé au Canada pendant les périodes pertinentesNote de bas de page 7. Le fait d’être présente au Canada n’équivaut pas à y résider.

[16] Pour décider si la requérante résidait au Canada, je dois examiner l’ensemble de la situation. Je dois aussi examiner des facteurs comme :

  • où elle avait des biens, comme des meubles, un compte bancaire et des intérêts commerciaux;
  • où elle avait des liens sociaux, comme des amis, des parents, l’appartenance à un groupe religieux et l’adhésion à un club ou une organisation professionnelle;
  • où elle avait d’autres liens, comme une assurance-maladie, un contrat de location, une hypothèque ou un prêt;
  • où elle a produit des déclarations de revenus;
  • les liens qu’elle avait dans un autre pays;
  • la durée de ses séjours au Canada;
  • la fréquence et la durée de ses séjours à l’extérieur du Canada, et où elle allait;
  • son mode de vie au Canada;
  • l’endroit où elle avait l’intention de vivreNote de bas de page 8.

[17] Cette liste n’est pas complète. D’autres facteurs peuvent être importants. Je dois examiner la situation de la requérante dans son ensemble.

La requérante a résidé au Canada pendant une partie de la période en question, mais pas la totalité

[18] En plus des périodes convenues par les parties, je conclus que la requérante était résidente du Canada du 6 novembre 2009 au 14 avril 2015. En même temps, je conclus qu’elle n’était pas résidente du Canada du 23 septembre 2008 au 6 novembre 2009 et du 14 avril 2015 au 15 mai 2019.

[19] La requérante a partagé son temps entre la Macédoine et le Canada pendant de nombreuses années. Une grande partie de la preuve disponible donne à penser que ses liens avec chaque pays sont tout aussi forts :

  • Famille — La requérante a deux filles adultes, l’une vivant en Macédoine et l’autre au Canada. Depuis le décès de son mari en 2006, elle a alterné leurs résidences, vivant avec elles et leurs familles pendant de longues périodes.
  • Biens — La requérante n’a jamais eu de biens immobiliers en Macédoine. Après le décès de son mari, elle a acheté une maison avec sa fille à Oshawa. À la suite d’un conflit familial, elle a retiré son nom du titre en mars 2016.
  • Finances — La requérante a des comptes bancaires au Canada et en Macédoine. Elle a cosigné l’hypothèque sur la maison d’Oshawa, mais autrement, n’a aucun prêt, bail ou compte de services publics à son nom dans les deux pays. Elle reçoit une pension macédonienne.
  • Liens sociaux — La requérante a des amis en Macédoine et au Canada.
  • Impôts — La requérante produit des déclarations de revenus dans les deux pays.
  • Soins médicaux — La requérante reçoit la majorité de ses soins médicaux pendant qu’elle est au Canada.

[20] À mon avis, aucun de ces facteurs n’est favorable à un des deux pays. Pour cette raison, je pense qu’il convient d’accorder une attention particulière à la durée des séjours de la requérante au Canada au cours de la période pertinente.

[21] À l’aide des données des services frontaliers, le ministre a compilé un dossier des déplacements de la requérante au cours de la période de 11 ans en question. Ce dossier indique les périodes qu’elle a passé au Canada et à l’étranger. Les voici :

Périodes à l’étranger Jours Périodes au Canada Jours
23 septembre 2008 au 15 mars 2009 170 15 mars 2009 au 9 mai 2009 55
9 mai 2009 au 6 novembre 2009 181 6 novembre 2009 au 2 juillet 2010 238
2 juillet 2010 au 19 décembre 2010 170 19 décembre 2010 au 1er avril 2011 103
1er avril 2011 au 26 septembre 2011 178 26 septembre 2011 au 31 mars 2012 187
31 mars 2012 au 21 décembre 2012 265 21 décembre 2012 au 21 mars 2013 90
21 mars 2013 au 16 septembre 2013 179 16 septembre 2013 au 29 mai 2014 255
29 mai 2014 au 28 septembre 2014 122 septembre 2014 au 23 octobre 2014 25
23 octobre 2014 au 14 janvier 2015 83 14 janvier 2015 au 14 avril 2015 90
14 avril 2015 au 7 octobre 2015 176 7 octobre 2015 au 5 décembre 2015 59
5 décembre 2015 au 14 avril 2016 131 14 avril 2016 au 3 mai 2016 17
3 mai 2016 au 23 octobre 2016 173 23 octobre 2016 au 15 novembre 2016 23
15 novembre 2016 au 26 avril 2017 162 26 avril 2017 au 5 mai 2017 9
5 mai 2017 au 29 octobre 2017 177 29 octobre 2017 au 1er décembre 2017 33
1er décembre 2017 au 3 mai 2018 153 3 mai 2018 au 5 juin 2018 33
5 juin 2018 au 26 novembre 2018 175 26 novembre 2018 au 4 décembre 2018 8
4 décembre 2018 au 15 mai 2019 162    
Total 2 660 Total 1 225

[22] La requérante a convenu que les données ci-dessus sont exactes et reflètent les véritables périodes qu’elle a passées au Canada et à l’étranger. Elles démontrent clairement que la requérante a passé la grande majorité de son temps en Macédoine au cours de la période de 11 ans en question.

[23] Cependant, l’histoire ne s’arrête pas là. Bien qu’il n’y ait pas d’exigence minimale de présence au Canada au cours d’une année civile, j’estime qu’à des fins d’analyse, il est utile de réorganiser les renseignements ci-dessus de la façon qui suit :

Année Jours
au
Canada
Pourcentage
de l’année
2008 (à partir du 23 septembre) 0 0
2009 110 30
2010 195 53
2011 187 51
2012 101 28
2013 186 51
2014 174 48
2015 149 41
2016 40 11
2017 42 12
2018 41 11
2019 (au 15 mai) 0 0

[24] Cette dissection montre qu’après avoir été en Macédoine pendant la majeure partie de 2009, la requérante a recommencé à passer la majeure partie de son temps au Canada à compter du 6 novembre de cette année. Pendant les 5,5 années suivantes, elle est restée au pays la plupart du tempsNote de bas de page 9. Cependant, après son départ du Canada le 14 avril 2015, ses visites sont devenues plus rares et progressivement plus courtes, ne durant pas plus de cinq semaines à la fois. Il se trouve que l’augmentation des absences du Canada de la requérante coïncide avec une période de tension entre elle et sa fille établie à Oshawa, ce qui peut aussi l’expliquer. De toute évidence, cette tension a persisté jusqu’en mai 2019, où la requérante a recommencé à passer la majorité de son temps au Canada.

[25] Toutes choses étant égales par ailleurs, je conclus que la présence de la requérante au Canada est un indice important de sa résidence au pays. La requérante n’était pas résidente du Canada au début ou à la fin de la période de près de 11 ans sur laquelle porte le présent appel. Toutefois, les périodes qu’elle a passées au Canada du 6 novembre 2009 au 14 avril 2015, combinées aux liens qu’elle avait déjà ici, suffisent pour établir une période de résidence.

Je n’ai pas le pouvoir de corriger l’avis erroné donné par le ministre ou ses fonctionnaires

[26] La requérante a insisté à maintes reprises sur le fait qu’elle a été induite en erreur par le ministre et ses fonctionnaires. Elle fait référence à un document que Service Canada lui a envoyé, qui disait : [traduction] « Si vous quittez le Canada pendant plus de six mois, vous n’êtes pas admissible au supplément ou à l’allocation et vous pourriez ne pas être admissible à la pension de la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 10. » Elle affirme que cette [traduction] « règle des six mois » a été confirmée par les gestionnaires de Service Canada, qui lui ont assuré qu’elle pouvait quitter le Canada sans compromettre ses droits à la pension de la SV, pourvu qu’elle s’assure que ses absences durent moins de six mois. D’après ces renseignements, la requérante croyait qu’elle pouvait continuer à recevoir ses prestations n’importe où dans le monde, à condition qu’elle ne soit pas à l’étranger pendant plus de six mois consécutifsNote de bas de page 11.

[27] Malheureusement, la requérante avait une fausse impression. Le document de Service Canada est exact comme tel, car une personne perd son droit aux prestations de la SV si elle quitte le Canada pendant plus de six mois. Toutefois, il ne dit pas que restreindre les absences du Canada à moins de six mois préserve automatiquement la résidence canadienneNote de bas de page 12. Quitter le Canada pour un séjour prolongé à l’étranger ne compromet pas nécessairement l’admissibilité à la pension de la SV, mais cesser d’être un résident du Canada la compromet.

[28] Je ne peux pas être certain de ce que les gestionnaires de Service Canada ont réellement dit à la requérante. Toutefois, même s’ils lui ont fourni des renseignements trompeurs, je ne peux rien y faire. À titre de membre du Tribunal de la sécurité sociale, je ne peux pas annuler un trop-payé, même si je crois que Service Canada a mal conseillé la personne qui l’a reçu.

[29] Le Tribunal a été créé par voie législative et, à ce titre, n’a que les pouvoirs conférés par la loi qui le régit. Selon la Loi sur la sécurité de la vieillesse, le ministre peut prendre des mesures correctives s’il est convaincu qu’une personne s’est vue refuser une prestation à la suite d’un avis erroné ou d’une erreur administrativeNote de bas de page 13. L’utilisation des mots « peut » et « convaincu » dans cette disposition donne à penser qu’une telle décision est purement discrétionnaire — le ministre n’a pas à corriger son erreur s’il estime que ce n’est pas justifié. La jurisprudence dit que les tribunaux administratifs, comme le Tribunal, ne peuvent pas forcer le ministre à réviser ou à annuler une décision qu’il a prise volontairementNote de bas de page 14. Comme le ministre n’a jamais admis qu’il y avait eu une erreur dans la présente affaire, je ne peux rien faire pour l’obliger à la corriger.

Conclusion

[30] J’ai décidé que la requérante a résidé au Canada durant les périodes suivantes :

  • du 20 février 1971 au 10 août 1982, soit 11 ans et 171 jours;
  • du 23 juin 2001 au 23 septembre 2008, soit sept ans et 92 jours;
  • du 6 novembre 2009 au 31 décembre 2013, soit quatre ans et 55 joursNote de bas de page 15.

[31] La requérante a donc un total de 22 ans et 318 jours de résidence au Canada, ce qui lui donne droit à une pension partielle de la SV de 22/40 du montant d’une pleine pensionNote de bas de page 16. Elle aura droit au supplément et à l’allocation pour les périodes de résidence au Canada pour lesquelles elle a demandé ces prestations, sauf les périodes pendant lesquelles elle était à l’étranger pendant six mois ou plus.

[32] Les appels de la requérante et du ministre sont accueillis en partie.

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