Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : GG c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 295

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : G. G.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 12 mai 2023 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : James Beaton
Mode d’audience : Par écrit
Date de la décision : Le 21 mars 2024
Numéro de dossier : GP-23-1440

Sur cette page

Décision

[1] En plus de rejeter l’appel de l’appelant, G. G, je modifie la décision du ministre de l’Emploi et du Développement social, qui lui avait accordé une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse à un taux de 7/40. Je réduis ce taux à 1/40. J’explique dans la présente décision pourquoi je modifie la décision du ministre.

Aperçu

[2] L’appelant est né au Canada le 21 juin 1941Note de bas de page 1 et a grandi en Alberta. Le 12 février 1961, après la fin de ses études secondaires, il a quitté le Canada pour aller à l’université aux États-Unis. Il a dit avoir fréquenté :

  • Le Collège communautaire de Benton Harbour, de 1961 à 1962;
  • L’Université du Western Michigan, de 1962 à 1965;
  • L’Université de l’État du Colorado, de 1965 à 1967;
  • L’Université du Colorado, de 1968 à 1974.

[3] Il est resté aux États-Unis au terme de ses études et possède maintenant la double citoyenneté canadienne et américaineNote de bas de page 2.

[4] L’appelant a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse le 14 mai 2019. Il a dit vouloir que sa pension lui soit versée dès qu’il remplissait les conditions requisesNote de bas de page 3.

[5] Le ministre a accordé à l’appelant une pension au taux de 1/40, d'après le fait qu’il avait résidé au Canada jusqu’au 12 février 1961 après son 18e anniversaireNote de bas de page 4.

[6] L’appelant a ensuite demandé au ministre de réviser sa décision. Après révision, le ministre a porté la pension de l’appelant à un taux de 7/40, jugeant que le temps qu’il avait passé à étudier à l’université aux États-Unis comptait comme résidence au Canada. Il semble que le ministre ait seulement compté les trimestres universitaires aux fins de sa résidence, et non les périodes entre ces trimestresNote de bas de page 5.

[7] L’appelant a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Selon lui, la totalité du temps où il a fréquenté l’université, y compris les périodes comprises entre les trimestres, devrait être comptée comme résidence canadienne. Il aurait ainsi droit à une pension d’un taux de 14/40.

[8] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, j’ai décidé que l’appelant a seulement résidé au Canada jusqu’au 12 février 1961. La décision initiale du ministre était juste. Il a erré dans sa décision de révision en interprétant faussement le Règlement sur la sécurité de la vieillesse. Par conséquent, l’appelant est seulement admissible à une pension d’un taux de 1/40.

Ce que l’appelant doit prouver

[9] Pour recevoir une pleine pension de la Sécurité de la vieillesse, l’appelant doit prouver qu’il a résidé au Canada pendant au moins 40 ans après avoir atteint l’âge de 18 ansNote de bas de page 6. Cette règle comporte certaines exceptions, mais aucune ne s’applique à l’appelantNote de bas de page 7.

[10] Un appelant qui n’est pas admissible à une pleine pension de la Sécurité de la vieillesse peut quand même être admissible à une pension partielle. La pension partielle dépend du nombre d’années (sur 40) pendant lesquelles une personne a résidé au Canada après avoir eu 18 ans. Ici, pour avoir droit à une pension partielle, l’appelant doit prouver qu’il a résidé au Canada pendant au moins 20 ans après son 18e anniversaireNote de bas de page 8.

[11] L’appelant doit prouver qu’il a résidé au Canada selon la prépondérance des probabilités. En d’autres mots, il doit me convaincre qu’il est plus probable qu’improbable qu’il résidait au Canada pendant les périodes en causeNote de bas de page 9.

Questions que je dois examiner en premier

Mon pouvoir comme membre du Tribunal est vaste

[12] À titre de membre de la division générale du Tribunal, mon pouvoir décisionnel ne se limite pas à choisir entre l’option défendue par le ministre (pension de 7/40) et celle défendue par l’appelant (pension de 14/40). Mon pouvoir décisionnel est vaste. Je peux ainsi :

  • rejeter un appel;
  • confirmer, annuler ou modifier totalement ou partiellement la décision du ministre;
  • rendre la décision que le ministre aurait dû rendreNote de bas de page 10

[13] J’ai donc le pouvoir d’accorder à l’appelant une pension de 1/40, même si ce taux est moindre que les taux avancés par le ministre et lui.

L’appelant a demandé une audience par écrit

[14] L’appelant a demandé que son audience se déroule par écrit plutôt qu’oralement. L’article 2 du Règlement de 2022 sur le Tribunal de la sécurité sociale m’oblige à tenir une audience selon le mode demandé par l’appelant, à moins qu’il ne permette pas une audience complète et équitable.

[15] Pour qu’une audience soit complète et équitable, la partie appelante doit avoir la possibilité de présenter des arguments sur tous les faits et facteurs pertinents à sa causeNote de bas de page 11. Quand un appelant n’est pas représenté par un avocat ou un autre professionnel, comme dans la présente affaire, le membre du Tribunal peut avoir à jouer un rôle plus actif dans la procédure afin de s’assurer que l’audience est complète et équitable. Par exemple, il pourrait devoir poser à l’appelant une combinaison de questions précises et de questions ouvertes.

[16] Afin de respecter le choix d’audience de l’appelant et d’assurer l’équité procédurale, j’ai posé à l’appelant des questions par écrit l’invitant à présenter une preuve sur la question de sa résidence. Je lui ai notamment demandé :

  • Quand et où il avait vécu au Canada;
  • S’il avait été propriétaire ou locataire de son logement;
  • Où il était allé à l’université;
  • Quand il avait été un étudiant inscrit à l’université;
  • Quand il avait fréquenté physiquement l’université;
  • Ce qu’il faisait entre ses trimestres;
  • S’il avait encore des biens personnels en Alberta;
  • S’il avait un véhicule ou un permis de conduire de l’Alberta;
  • S’il est citoyen américain;
  • S’il avait travaillé aux États-Unis comme représentant, employé ou membre d’une entreprise canadienne ou d’un gouvernement municipal, provincial ou fédéral canadien.

[17] Je lui ai donné amplement de temps pour répondre à mes questions. J’ai également demandé au ministre de spécifier quand l’appelant avait cotisé au programme américain de sécurité socialeNote de bas de page 12. Après avoir examiné leurs réponses, ainsi que la preuve, j’ai envoyé aux parties une dernière lettre. La voici :

[traduction]
Le ministre a accordé à l’appelant une pension de la Sécurité de la vieillesse à un taux de 7/40, entre autres sur le fondement des articles 21(4)(a) et (b) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse. Selon ces dispositions, quand une personne s’absente du Canada et que son absence a) est temporaire et ne dépasse pas un an, ou b) a pour motif la fréquentation d’une école ou d’une université, cette absence est réputée ne pas avoir interrompu sa résidence ou sa présence au Canada. Pour que ces dispositions s’appliquent, on peut soutenir qu’une personne doit résider au Canada avant et après s’en être absenté.

Les parties ont jusqu’au 18 mars 2024 pour répondre à la présente. Elles peuvent signifier leur accord ou leur désaccord avec l’interprétation ci-dessus des articles 21(4)(a) et (b). L’appelant pourrait vouloir préciser s’il estime qu’il résidait au Canada à la fois avant et après ses études universitaires aux États-Unis, ainsi qu’entre ses trimestres d’études, et expliquer pourquoiNote de bas de page 13.

[18] L’appelant a répondu à ma lettre. Il a de nouveau affirmé qu’il estimait avoir résidé au Canada pendant 14 ansNote de bas de page 14. Le ministre, lui, n’a pas répondu à ma lettre.

[19] Même si l’appelant peut être surpris et déçu de l’issue de son appel, je suis convaincu qu’il a eu droit à une audience complète et équitable. Il a eu l’occasion de présenter sa preuve et ses arguments par rapport à chacun des faits et facteurs pertinents à sa cause.

Motifs de ma décision

[20] Je conclus que l’appelant a droit à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse à un taux de 1/40.

[21] L’appelant a résidé au Canada pendant 1 an et 237 jours. La période durant laquelle il a travaillé aux États-Unis compte également comme résidence au Canada. Elle lui permet d’être admissible à une pension de la Sécurité de la vieillesse. Toutefois, elle ne change pas le montant de sa pension.

[22] Aux fins de son admissibilité à la pension, j’ai considéré la période allant du 21 juin 1959 au 31 décembre 1974 inclusivement. La première date est le jour de ses 18 ans. La deuxième date est celle jusqu’à laquelle il dit avoir résidé au Canada.

[23] Voici les motifs de ma décision.

Le critère de résidence

[24] La loi établit une distinction entre le fait d’être présent au Canada et le fait d’y résider. Les termes « résidence » et « présence » ont chacun leur propre définition. Je dois me fonder sur ces définitions pour rendre ma décision.

[25] Une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du CanadaNote de bas de page 15.

[26] Une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du CanadaNote de bas de page 16.

[27] Pour décider si l’appelant résidait au Canada, je dois examiner l’ensemble de la situation. Je dois aussi examiner des facteurs comme :

  • où il avait des biens;
  • où il avait des liens sociaux;
  • où il avait d’autres liens, comme un bail, une hypothèque ou un prêt;
  • où il a produit des déclarations de revenus;
  • les liens qu’il avait dans un autre pays;
  • la durée de ses séjours Canada et ailleurs;
  • son mode de vie au Canada;
  • ses intentionsNote de bas de page 17.

[28] Cette liste n’est pas complète. D’autres facteurs peuvent être importants. Je dois examiner la situation de l’appelant dans son ensembleNote de bas de page 18.

Quand l’appelant résidait au Canada

[29] L’appelant a résidé au Canada du 21 juin 1959 (la date de son 18e anniversaire) au 12 février 1961 inclusivement (date où il a quitté le Canada pour étudier aux États-Unis). Il n’a pas résidé au Canada par la suite.

[30] Les parties conviennent que l’appelant a résidé au Canada du 21 juin 1959 au 12 février 1961. Je ne vois aucune raison de conclure autrement. L’appelant est né et a grandi au Canada. Il était déjà bien enraciné et établi ici lorsqu’il a eu 18 ans, et rien n’a changé à cet égard jusqu’à ce qu’il entreprenne ses études supérieures.

[31] Les facteurs suivants tendent à confirmer que l’appelant a continué de résider au Canada du 13 février 1961 au 31 décembre 1974 :

  • Il considérait le Canada comme sa patrie;
  • Il a conservé la citoyenneté canadienne;
  • Il était titulaire d’un passeport canadien et d’un permis de conduire albertain;
  • Il retournait voir ses parents en Alberta entre ses trimestres d’études;
  • Il considérait la maison de ses parents comme sa résidence principale;
  • Il est revenu au Canada de 1968 à 1974 pour considérer des possibilités d’emploi en enseignement en Alberta et en Colombie-Britannique.

[32] En revanche, les facteurs suivants infirment la poursuite de sa résidence au Canada du 13 février 1961 au 31 décembre 1974 :

  • Il n’a laissé aucun bien personnel en Alberta quand il est parti étudier;
  • Il a passé la majeure partie de son temps aux États-Unis, où il a étudié dans différents établissements postsecondaires;
  • Il a cotisé au programme américain de sécurité sociale dès 1962, alors qu’il travaillait à temps partiel pour l’aider à payer ses études;
  • Il n’avait pas de résidence permanente en Alberta où retourner au terme de ses études universitaires, en 1974;
  • Il est resté aux États-Unis après avoir obtenu son diplôme en 1974 et est devenu un citoyen américain. Il vit toujours aux États-UnisNote de bas de page 19.

[33] L’appelant a fourni des preuves documentaires, notamment :

  • un acte de naissance albertain;
  • un passeport canadien délivré en 1987;
  • des copies de ses diplômes et de relevés de notes provenant d'établissements d'enseignement américains;
  • des copies d’articles de presse portant sur ses réalisations comme étudiant;
  • une photo de lui devant un autobus sur lequel on pouvait lire [traduction] « Enquête nationale sur la parole et l’ouïe – Université de l’État du ColoradoNote de bas de page 20 ».

[34] Ces documents confirment que l’appelant est né en Alberta, qu’il a conservé sa citoyenneté canadienne au moins jusqu’en 1987 et qu’il a étudié aux États-Unis après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires en Alberta. Toutefois, ils ne confirment pas d’autres liens au Canada de 1961 à 1974.

[35] Lorsque j’examine l’ensemble de la preuve, je conclus que l’appelant avait des liens plus forts avec les États-Unis que le Canada, du 13 février 1961 au 31 décembre 1974.

[36] Il est vrai qu’il avait conservé la citoyenneté canadienne et qu’il rendait visite à ses parents au Canada. Il était chez lui au Canada. De plus, comme il a considéré un poste de professeur au Canada vers la fin de ses études, on peut croire qu’il envisageait de revenir au Canada, peut-être même à long terme.

[37] Cependant, il n’est pas revenu vivre au Canada. D’ailleurs, il est important de noter qu’il n’a rien laissé au Canada quand il est parti étudier aux États-Unis. Il n’avait pas de résidence permanente au Canada où il aurait pu revenir, s’il le décidait. Il a passé la majeure partie de son temps aux États-Unis : il y a étudié et travaillé et a cotisé à son programme de sécurité sociale. Il visitait ses parents en Alberta, mais sa vie était manifestement façonnée par les projets qu’il avait ailleurs. Son mode de vie général ne démontre pas qu’il aurait résidé au Canada.

[38] Je vais maintenant voir si les exceptions aux règles générales concernant la résidence et la présence permettent à l’appelant d’accroitre sa résidence au Canada.

Les exceptions aux règles générales sur la résidence et la présence ne s’appliquent pas à l’appelant

[39] Comme je l’ai expliqué plus tôt, une personne réside au Canada lorsqu’elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada. Une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du Canada.

[40] Le Règlement sur la sécurité de la vieillesse énonce certaines exceptions à ces règles générales. Voici ce que prévoit l’article 21(4) :

  1. Lorsqu’une personne qui réside au Canada s’absente du Canada et que son absence
  2. (a) est temporaire et ne dépasse pas un an,
  3. (b) a pour motif la fréquentation d’une école ou d’une université, ou
  4. (c) compte parmi les absences mentionnées au paragraphe (5),
  5. cette absence est réputée n’avoir pas interrompu la résidence ou la présence de cette personne au Canada.

[41] Le paragraphe (5) présente les types d’absences visées par l’article 21(4)(c). Il est question de situations où une personne travaille à l’étranger pour des employeurs très précis. L’appelant ne se trouvait pas dans une telle situation puisqu’il ne travaillait pas pour l’un des employeurs indiquésNote de bas de page 21. Pourtant, pour accorder à l’appelant une pension à un taux de 7/40 plutôt que 1/40, le ministre semble s’être fié à l’article 21(4)(b) et possiblement à l’article 21(4)(a) également. Je parlerai de ces articles comme de la « règle de l’université » et de la « règle de l’absence temporaire ».

[42] Je conclus que ces règles ne s’appliquent pas à l’appelant. Voici pourquoi.

Pourquoi la règle de l’absence temporaire ne s’applique pas

[43] La règle de l’absence temporaire ne s’applique pas. Même si l’appelant visitait le Canada au moins une fois par année, et que ses absences du Canada ne dépassaient donc pas un an), celles-ci n’étaient pas de nature temporaire. L’appelant passait la majeure partie de son temps aux États-Unis. Pendant ses congés scolaires, il rendait visite à ses parents en Alberta, mais travaillait également aux États-Unis. Le fait qu’il ait emporté avec lui tous ses biens personnels en 1961 confirme que ses voyages au Canada n’étaient que des visites. Ils ne représentaient pas un retour à son « port d’attache » entre les deux trimestres d’études. Si ses absences des États-Unis peuvent être qualifiées de temporaires, ses absences du Canada ne peuvent l’être.

Pourquoi la règle de l’université ne s’applique pas

[44] Le ministre croit que la règle de l’université s’applique pour prolonger la résidence de l’appelant à la suite de son départ du Canada en 1961, et jusqu’à la fin de ses études aux États-Unis, en 1974. Le ministre semble avoir seulement compté les périodes durant lesquelles l’appelant était effectivement inscrit à des cours, et pas les périodes entre ses trimestres d’études. Cela étant dit, il n’est pas très clair, d’après la preuve documentaire, comment le ministre a pu fixer les dates des trimestres.

[45] L’appelant croit que la règle de l’université permet de prolonger sa résidence au Canada jusqu’en 1974, en tenant compte des congés scolaires.

[46] En toute déférence, je me trouve en désaccord avec le ministre et l’appelant.

[47] Pour que la règle relative à l’université puisse s’appliquer, il faut d’abord établir sa résidence au CanadaNote de bas de page 22. Ici, personne ne conteste le fait que l’appelant a résidé au Canada jusqu’au 12 février 1961. Il faut ensuite s’absenter du Canada en ayant « pour motif la fréquentation d’une l’école ou d’une université ». J’accepte que l’appelant s’est absenté du Canada à cette fin, du moins, lorsqu’il était effectivement inscrit à des cours ou à un programme d’études.

[48] Cependant, je crois qu’il y ait une troisième exigence à laquelle l’appelant ne répond pas. En effet, pour que la règle puisse intervenir afin de réputer ininterrompue la résidence, il faut recommencer à résider au Canada.

[49] Le Tribunal s’est déjà penché sur cette exigence dans le passé, mais pas de manière concluante. Dans la décision IB c Ministre (Emploi et Développement social), la division générale a conclu qu’une personne doit immédiatement recommencer à résider au Canada après la fin de ses études pour se prévaloir de la règle relative à l’université. En appel, la division d’appel s’est opposée à la présomption de la division générale voulant qu’il faille [traduction] « immédiatement » recommencer à résider au Canada. La division d’appel a néanmoins laissé planer la possibilité qu’une personne puisse être obligée de recommencer à résider au Canada à un certain point pour que la règle puisse s’appliquerNote de bas de page 23.

[50] J'ai quelques raisons de croire que la règle de l’université peut seulement servir à préserver la résidence d’une personne si celle-ci recommence à résider au Canada. Ces raisons sont fondées sur l’objet, le texte et le contexte de la règle de l’université.

[51] L’objet de la règle de l’université et de la plupart des autres règles de l’article 21 est de prévoir des exceptions aux règles générales. Les exceptions doivent être interprétées de façon précise et restrictive pour ne pas miner les règles générales que le législateur a établies en définissant la « présence » et la « résidence »Note de bas de page 24.

[52] Conformément au texte dans sa version anglaise, la règle de l’université porte sur un « interval of absence » (intervalle d’absence). Le dictionnaire Usito définit un intervalle comme un « [e]space de temps entre deux époques, deux périodes, deux événementsNote de bas de page 25 ». Le Larousse, lui, le définit comme un « [e]space de temps entre deux instantsNote de bas de page 26 ». Ces définitions me disent qu’un intervalle est un état temporaire entre deux autres états.

[53] Le texte de la règle de l’université révèle également qu’elle a pour seul effet de ne pas « interromp[re] » la présence ou la résidence. Elle ne préserve pas la présence ou la résidence indéfiniment. Selon le dictionnaire Usito, le verbe « interrompre » signifie d’arrêter momentanément de faire quelque choseNote de bas de page 27. Cela laisse donc croire que la règle de l’université vise à maintenir la présence ou la résidence pendant une période limitée seulement.

[54] Enfin, le contexte de la règle de l’université confirme qu’elle peut seulement préserver la résidence d’une personne qui recommence à résider au Canada. Les autres règles de l’article 21, qui visent à préserver la présence ou la résidence au pays, exigent généralement le retour au Canada à un certain pointNote de bas de page 28. Cette exigence, bien qu'elle ne soit pas explicite dans la règle de l’université, est véhiculée par l’utilisation de mots comme « absence » et « interromp[re] ». Le contexte qui l’entoure vient aussi confirmer cette conclusion.

[55] Pour les raisons qui précèdent tôt, je conclus que l’appelant n’a jamais recommencé à résider au Canada après le 12 février 1961. Ainsi, la règle de l’université ne peut s’appliquer pour prolonger sa période de résidence. Bien qu’elle puisse servir à prolonger sa période de présence au Canada (en considérant l’absence comme une présence), cela ne suffit pas à prolonger sa résidence. Seules les années de résidence sont utilisées aux fins d’une pension de la Sécurité de la vieillesse.

L’entente entre le Canada et les États-Unis permet à l’appelant d’être admissible à une pension

[56] Le Canada a conclu un accord de sécurité sociale avec les États-Unis. Ainsi, le temps durant lequel l’appelant a travaillé aux États-Unis est pris en compte aux foins de son admissibilité à une pension de la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 29.

[57] Le gouvernement américain a fourni des renseignements montrant que l’appelant a travaillé aux États-Unis. Ce temps est ensuite converti en trimestres (périodes de trois mois) de résidence au Canada. Le ministre a donc calculé que l’appelant avait accumulé 207 trimestres de résidence au Canada en ayant travaillé aux États-UnisNote de bas de page 30.

[58] Pour décider si l’appelant a accumulé assez d’années de résidence pour être admissible à une pension de la Sécurité de la vieillesse, je peux ajouter cette période à ses années de résidence au Canada. On arrive ainsi à plus de 20 ans de résidence au Canada.

L’appelant était admissible à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse dès mai 2019

[59] Le 14 mai 2019, l’appelant remplissait les conditions requises pour bénéficier d'une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse à un taux de 1/40.

[60] L’appelant avait accumulé les 20 années de résidence requises avant cette date, mais il lui restait à remplir les autres conditions pour bénéficier d’une pension de la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 31. Il a satisfait à ces conditions aux dates suivantes :

  • Le 21 juin 2006, il a atteint l’âge requis de 65 ans;
  • Le 14 mai 2019, il a demandé la pension.

[61] Le 14 mai 2019 est la dernière de ces dates. C’est donc à ce moment-là que l’appelant est devenu admissible à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse. Le montant de sa pension est calculé en fonction du nombre d’années où il a résidé au Canada jusqu’à cette date.

[62] L’appelant a commencé à résider au Canada le 21 juin 1959. Il y a résidé jusqu’au 12 février 1961. En date du 14 mai 2019, l’appelant avait donc résidé au Canada pendant une année entière après ses 18 ans.

Début du versement de la pension

[63] Le versement de sa pension commence en juin 2018.

[64] En effet, la pension de la Sécurité de la vieillesse est versée à compter du premier mois suivant l’agrément de la pensionNote de bas de page 32. La pension de l’appelant est considérée comme approuvée en date de mai 2018, soit un an avant la présentation de sa demandeNote de bas de page 33.

Conclusion

[65] L’appelant a droit à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse à un taux de 1/40. Par conséquent, l’appel de l’appelant est rejeté et la décision de révision du ministre est modifiée.

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