Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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[TRADUCTION]

Citation : HG c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 366

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : H. G.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Partie mise en cause : Pearl Garnett

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 27 janvier 2023 rendue
par le ministre de l’Emploi et du Développement
social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Wayne van der Meide
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 3 avril 2024
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 5 avril 2024
Numéro de dossier : GP-23-801

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelant, H. G., a vécu au moins 20 ans au Canada avant de cesser d’y résider. Sa pension de la Sécurité de la vieillesse n’aurait pas dû être suspendue lorsqu’il est parti vivre à l’étranger.

[3] Je vais expliquer pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[4] L’appelant a 84 ans. Il est né au Guyana. Il est venu au Canada avec son épouse en juillet 1996. Il a acheté une maison. Sa fille vit au Canada. Pendant plusieurs années, il a vécu et travaillé ici comme pasteur pour X.

[5] Il a eu 65 ans en octobre 2004. Il a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse, laquelle a été approuvée. Les versements ont commencé en août 2006. Il a pris sa retraite de son emploi de pasteur à X en avril 2007.

[6] Plusieurs années plus tard, en mars 2018, l’appelant a informé le ministre qu’il allait déménager au Guyana fin avril 2018.

[7] Le ministre convient que l’appelant a résidé au Canada du 1er juillet 1996 au 28 mars 2018 (près de 22 ans). Cependant, le ministre affirme que sa résidence au Canada a été interrompue deux fois :

  • du 6 juillet 2008 au 23 juin 2009 (353 jours);
  • du 15 août 2010 au 6 mai 2012 (1 an et 265 jours).

[8] Comme le ministre a exclu ces deux périodes, il affirme qu’au départ de l’appelant pour le Guyana en avril 2018, il avait seulement vécu au Canada un peu plus de 19 ans au total.

[9] L’appelant convient qu’il n’a pas vécu au Canada depuis avril 2018. Cependant, il affirme que le ministre n’aurait pas dû exclure les deux périodes en question. Il dit que pendant ces périodes, il vivait toujours au Canada. Par conséquent, il est d’avis que lorsqu’il est parti au Guyana en avril 2018, il avait vécu plus de 20 ans au Canada.

[10] La partie mise en cause n’a pas pris position.

Ma décision

[11] Je suis d’avis qu’entre juillet 1996 et avril 2018, la résidence de l’appelant au Canada n’a pas été interrompue. Par conséquent, lorsqu’il a quitté le Canada en avril 2018, il avait vécu au pays plus de 20 ans.

[12] L’appelant avait droit à une pension de la Sécurité de la vieillesse transférable au moment où il a cessé de vivre au Canada.

[13] Par conséquent, le ministre n’aurait pas dû suspendre sa pension.

Questions en litige

[14] Toute personne qui cesse de résider au Canada peut continuer de recevoir des paiements de pension si elle a vécu au Canada au moins 20 ans avant son départNote de bas de page 1.

[15] L’appelant doit prouver ses années de résidence au Canada. Il doit les prouver selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’il a résidé au Canada pendant les périodes pertinentesNote de bas de page 2.

  1. 1.  Ce que signifie « résider au Canada »

[16] En droit, une présence au Canada n’équivaut pas à une résidence au Canada. Les termes « résidence » et « présence » ont chacun leur propre définition. Je dois utiliser ces définitions pour rendre ma décision.

[17] Une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du CanadaNote de bas de page 3.

[18] Une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du CanadaNote de bas de page 4.

[19] Pour décider si l’appelant résidait au Canada, je dois examiner la situation dans sa globalité et les facteurs suivantsNote de bas de page 5 :

  • Dans quel pays avait-il des biens, comme des meubles, des comptes bancaires et des intérêts commerciaux?
  • Dans quel pays avait-il des liens sociaux, comme des camarades et des membres de famille ou une appartenance à des groupes religieux, à des clubs ou à des organisations professionnelles?
  • Dans quel pays avait-il d’autres liens, comme une assurance médicale, un bail, une hypothèque ou des prêts?
  • Dans quel pays a-t-il déclaré ses revenus?
  • Entretenait-il des liens avec un autre pays?
  • Combien de temps a-t-il passé au Canada?
  • Combien de fois s’est-il absenté du Canada? Où est-il allé et combien de temps a-t-il passé à l’étranger?
  • Quel était son mode de vie au Canada?
  • Quelles étaient ses intentions?

[20] Cette liste n’est pas complète. D’autres facteurs pourraient être importants. Je dois examiner toutes les circonstances de la situation de l’appelantNote de bas de page 6.

  1. 2. Absence temporaire

[21] Une absence du Canada n’interrompt pas la résidence d’une personne au pays siNote de bas de page 7 :

  • elle résidait au Canada immédiatement avant de partir;
  • cette absence était temporaire;
  • cette absence n’a pas dépassé un an.
  1. 3. Absence pour un engagement à titre de missionnaire

[22] De plus, une absence du Canada n’interrompt pas la résidence d’une personne au pays si elle est « engagée ou employée » lorsqu’elle est hors du Canada à titre de « missionnaire membre d’un groupe ou d’un organisme religieux »Note de bas de page 8.

[23] Il y a peu de jurisprudence qui interprète cette disposition. Toutefois, une simple lecture de la loi m’indique que la durée de l’absence n’est pas importante tant et aussi longtemps que la personne revient au Canada dans un délai de six mois après la fin de son engagement ou de son emploi à l’étranger.

Motifs de ma décision

[24] Je vais maintenant expliquer pourquoi je considère qu’en avril 2018, l’appelant avait résidé plus de 20 ans au Canada.

[25] Comme je l’ai mentionné, le ministre convient que l’appelant a résidé au Canada du 1er juillet 1996 au 28 mars 2018, sauf pendant deux périodes. Je vais concentrer mes efforts à expliquer pourquoi le ministre n’aurait pas dû exclure les deux périodes en question.

L’appelant est crédible

[26] La première période contestée remonte à 16 ans. Les faits que l’appelant a mentionnés concernant toutes ces années sont essentiellement cohérents. À l’audience, il a répondu à toutes mes questions sans hésiter et m’a dit quand il ne se souvenait plus de quelque chose. Il a aussi admis certaines choses qui auraient pu être interprétées contre lui. Par exemple, il a aussi travaillé pendant certaines périodes d’absence du Canada. C’est un facteur qui pourrait indiquer qu’il ne résidait pas au Canada. Mais ce n’est pas le cas, pour les raisons que je vais expliquer plus loin.

Les absences de juillet 2008 à juin 2009 n’ont pas interrompu la résidence de l’appelant au Canada

[27] L’appelant a pris sa retraite de son emploi de pasteur au Canada à X en avril 2007. Comme il n’avait plus les moyens de payer son hypothèque, il a vendu sa maison en août 2008. Son épouse et lui ont ensuite emménagé avec sa fille, qui vit toujours au Canada. Depuis son arrivée au Canada, il a toujours voyagé pour des raisons professionnelles et personnelles, mais depuis sa retraite, il voyageait plus souvent et plus longtemps.

[28] Même après avoir pris sa retraite et vendu sa maison, l’appelant avait toujours des liens avec le Canada. Par exemple, il a gardé plusieurs comptes bancaires au Canada, sa voiture ainsi que l’assurance qui protégeait cette voiture. Il a aussi produit ses déclarations de revenus canadiennes chaque année. Comme je l’ai mentionné, la fille de l’appelant vit au Canada et, lorsqu’il n’était pas en voyage, son épouse et lui vivaient avec elle et leur gendre. Son épouse voyageait parfois avec lui, mais pas toujours.

[29] L’appelant s’est absenté deux fois du Canada au cours de cette période. Il est allé au Guyana, à Trinité-et-Tobago et aux États-Unis de juillet 2008 à mars 2009, puis d’avril à juin 2009Note de bas de page 9. Entre ces voyages, il est revenu au Canada 14 jours, soit du 6 au 30 mars 2009.

[30] Je vais maintenant expliquer pourquoi aucune de ces absences n’a interrompu sa résidence au Canada.

[31] Ces deux absences étaient temporaires et n’ont pas dépassé un an, et l’appelant résidait au Canada immédiatement avant.

[32] Le terme « absence » concerne la présence et non la résidence. Autrement dit, s’absenter du Canada signifie être physiquement à l’étranger. Ainsi, lorsque l’appelant est revenu au Canada, même si ce n’était que pour 14 jours, sa première absence a pris fin.

[33] Si une personne quitte le Canada à plusieurs reprises pendant de longues périodes et revient au pays pour de courtes périodes, à un certain moment, on ne peut plus dire qu’elle résidait au Canada immédiatement avant son départ pour sa prochaine absence. Mais ce n’est pas le cas de l’appelant. Il résidait au Canada avant ses deux absences.

[34] Durant ses absences, il est allé à Trinité-et-Tobago et aux États-Unis. Cependant, pendant les deux absences, il a passé la majeure partie de ses voyages au Guyana pour travailler. À l’audience, il a dit que même s’il avait pris sa retraite de son emploi au Canada, il était toujours capable de travailler et voulait le faire, d’autant plus qu’il devait le faire pour des raisons financières. L’occasion qui s’est présentée était un emploi de pasteur, dans son Église au Guyana. Il n’y avait pas d’autres possibilités à ce moment-là au Canada.

[35] L’appelant n’a pas acheté de maison au Guyana. Il a vécu dans un logement fourni par son Église. Après avoir déménagé au Guyana en 2018, il a acheté une maison là-bas.

[36] Son épouse s’est rendue au Guyana pendant qu’il y était, mais pour de courts séjours seulementNote de bas de page 10. Autrement dit, elle a continué de vivre au Canada pendant qu’il était à l’étranger.

[37] Le ministre convient qu’avant juillet 2008 et après juin 2009, l’appelant résidait au Canada. Cela m’indique que les deux voyages au cours de cette période étaient simplement des absences, et non un changement de résidence.

[38] Lorsque j’examine l’ensemble des faits, il m’apparaît évident que les absences de l’appelant n’ont pas interrompu sa résidence. Il s’agissait d’absences temporaires de moins d’un an.

[39] Je considère aussi que les deux absences n’ont pas interrompu sa résidence parce que, pendant ses voyages, il était engagé à titre de missionnaire au Guyana.

[40] J’ai déjà dit que l’appelant est crédible, mais je tiens à expliquer pourquoi je considère que cette partie particulière de sa preuve est crédible.

[41] Premièrement, en juillet 2009, l’appelant a rempli un questionnaire qui lui a été envoyé par le ministre. Il a écrit : [traduction] « J’ai visité le Guyana. Je participe à un projet de missionnaire qui devrait se terminer à l’été 2011Note de bas de page 11. »

[42] Deuxièmement, l’appelant n’a jamais [traduction] « prétendu » que ses absences devraient être réputées ne pas interrompre sa résidence parce qu’il était engagé à titre de missionnaire. Je n’ai pas soulevé cette question précise à l’audience. J’ai pris connaissance de ce fait dans sa description générale de ce qu’il faisait au Guyana.

[43] Cela m’indique qu’il dit la vérité sur ce qu’il faisait au Guyana. La seule preuve des activités de missionnaire est le témoignage de l’appelant sur le sujet à l’audience. J’estime que son témoignage suffit pour qu’il s’acquitte de son fardeau.

[44] Je tiens à ajouter qu’il importe peu que l’appelant ait travaillé comme missionnaire pour une Église fondée au Canada ou au Guyana. Je ne le sais pas et cet élément n’a pas d’importance.

[45] De plus, il importe peu de savoir si la seule raison pour laquelle il s’est rendu au Guyana était de faire un travail de missionnaire. Selon la preuve, je pense qu’il s’est rendu au Guyana et à Trinité-et-Tobago pour quelques raisons : s’éloigner de l’hiver, passer du temps dans sa patrie et vivre dans un milieu moins coûteux qu’au Canada.

[46] Toutes ces raisons peuvent être vraies, mais chose certaine, il était missionnaire pour un organisme religieux pendant qu’il était à l’étranger et il est revenu dans un délai de six mois après la fin de son engagement.

Les absences d’août 2010 à mai 2012 n’ont pas interrompu la résidence de l’appelant au Canada

[47] Au cours de cette période, l’appelant a fait plusieurs voyages, dont certains d’une à deux semaines aux États-Unis. Il a aussi fait de plus longs voyagesNote de bas de page 12 :

  • au Guyana d’août 2010 à juillet 2011;
  • en République dominicaine pour étudier l’espagnol pendant environ deux mois de septembre à novembre 2011;
  • au Guyana du 8 décembre 2011 au 6 mai 2012.

[48] Aucune de ces absences n’a duré plus d’un an, elles étaient temporaires, et je constate qu’immédiatement avant chaque absence, il résidait au Canada.

[49] Cependant, trois choses font que ces absences ont l’air moins temporaires que les absences précédentes que j’ai décrites plus haut. J’estime qu’il est important de résumer ces différences et d’expliquer pourquoi je juge tout de même qu’il s’agissait d’absences temporaires.

[50] Premièrement, au cours de cette période, deux des absences ont été assez longues (une de presque un an et une autre d’environ cinq mois). Ses absences pendant la période précédente avaient été de presque un an et de trois mois). Deuxièmement, l’épouse de l’appelant a passé plus de temps avec lui au Guyana par rapport à la période précédente. Troisièmement, pendant qu’il était au Guyana, l’appelant ne vivait pas dans un logement fourni par l’Église. Il a loué une maison là-bas. Je ne connais pas les modalités du bail.

[51] Mais chose certaine, il n’a pas acheté de maison au Guyana et est revenu au Canada après ses voyages. À son retour du deuxième voyage au Guyana (en mai 2012), il a vécu avec sa fille pendant quelques mois, puis a loué une maison pendant un certain temps, et enfin, a emménagé dans une résidence pour personnes âgéesNote de bas de page 13. Après son retour du Guyana, il a aussi travaillé au Canada de janvier à juin 2013Note de bas de page 14. Le ministre convient qu’après son retour de son dernier voyage au cours de cette période, l’appelant a vécu au Canada plusieurs années.

[52] Comme pour la période précédente, lorsque j’examine l’ensemble des faits, je conclus que ses absences au cours de cette période étaient temporaires et n’ont pas interrompu sa résidence au Canada. Il a passé beaucoup de temps au Guyana, mais il vivait encore ordinairement au Canada, là où il avait établi sa demeure.

[53] Contrairement à la période précédente, je juge qu’il n’était pas missionnaire pendant qu’il était à l’étranger. Je vais expliquer pourquoi.

[54] Contrairement à la période précédente, l’appelant n’a jamais dit avant l’audience qu’il faisait un travail de missionnaire au Guyana ou ailleurs pendant cette période. Dans ses questionnaires et lorsqu’il a écrit au ministre, il a simplement dit qu’il était allé au Guyana pour prendre une pause de l’hiver.

[55] Même à l’audience, il n’a pas abordé le sujet lui-même. Il a simplement répondu par l’affirmative quand je lui ai demandé s’il travaillait [traduction] « aussi » pour l’Église quand il était au Guyana.

[56] Comme je l’ai mentionné plus haut, il y a peu de jurisprudence sur cette disposition réglementaire. Mais il me semble que le mot « lorsque » est important. Une personne doit être régulièrement engagée à titre de missionnaire lorsqu’elle est hors du Canada. Il ne suffit pas qu’elle soit missionnaire à certains moments « pendant » son absence. C’est ce qui s’est passé quand l’appelant était au Guyana pour ses deux voyages au cours de cette période : il n’a pas travaillé régulièrement à titre de missionnaire lorsqu’il était là-bas; il a seulement fait certaines activités de missionnaire pendant ses séjours.

Conclusion

[57] L’appelant a résidé au Canada du 1er juillet 1996 au 28 mars 2018, ce qui équivaut à plus de 20 ans. Par conséquent, le ministre n’aurait pas dû suspendre sa pension de la Sécurité de la vieillesse lorsqu’il a cessé de vivre au Canada.

[58] L’appel est accueilli.

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