Contenu de la décision
[TRADUCTION]
Citation : OC c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 1063
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | O. C. |
Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Représentante ou représentant : | Érélégna Bernard |
Décision portée en appel : | Décision rendue par la division générale le 29 avril 2023 (GP-22-1115) |
Membre du Tribunal : | Pierre Vanderhout |
Mode d’audience : | Par écrit |
Date de la décision : | Le 4 septembre 2024 |
Numéro de dossier : | AD-23-617 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est accueilli. L’appelant a droit au Supplément de revenu garanti pour les mois de mai et de juin 2017.
Aperçu
[2] L’appelant, O. C., a 79 ans. Je vais l’appeler le requérant. Il est propriétaire d’une maison en Ontario et y demeure pendant une partie de chaque année. Cependant, il a aussi une conjointe de fait et un enfant de sept ans aux Philippines. Habituellement, il y reste environ sept mois par année.
[3] Le requérant reçoit une pleine pension de la Sécurité de la vieillesse. Comme cette pension est transférable, il la reçoit, peu importe où il réside. Son droit à la pension n’est pas contesté. La question en litige dans le présent appel est de savoir s’il pouvait continuer à recevoir le Supplément de revenu garanti à compter de mai 2017. Le Supplément est une prestation supplémentaire payable à certains bénéficiaires de la pension de la Sécurité de la vieillesse qui ont un faible revenu.
[4] Le requérant a demandé le Supplément pour la première fois en 2010. Il l’a reçu pendant de nombreuses années. En décembre 2020, le ministre de l’Emploi et du Développement social a décidé que le requérant n’avait pas droit au Supplément une fois qu’il avait établi une [traduction] « résidence principale » aux Philippines. Le ministre a dit qu’il l’avait établie en mai 2017.
[5] Après révision, le ministre a maintenu la décision de mettre fin au versement du Supplément au requérant à compter de mai 2017. Le requérant a fait appel de cette décision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. En avril 2023, la division générale a rejeté son appel. Elle a conclu que le requérant n’était plus un résident du Canada depuis mai 2017. Le requérant a ensuite fait appel de la décision de la division générale devant la division d’appel du Tribunal.
[6] Le requérant a dit que son droit au Supplément ne devrait pas prendre fin en mai 2017. Il a dit qu’il n’a jamais possédé de maison ou de propriété aux Philippines. Il a dit que ses absences du Canada n’étaient pas plus longues que six mois, car le mois du départ ne devrait pas être compté. Il a dit qu’il réside au Canada de façon permanente et passe simplement ses vacances aux Philippines chaque année. Il a dit que les absences temporaires du Canada n’interrompent pas la résidence. De plus, il a souligné une déclaration du ministre de 2022 qui reconnaît apparemment sa résidence au Canada. Il a également cité une constatation de l’Agence du revenu du Canada.
[7] Le ministre a dit que le droit du requérant au Supplément devrait prendre fin en mai 2017. Il a dit que le requérant avait cessé de résider au Canada après avoir conclu une union de fait aux Philippines. Il a souligné la nature, la fréquence et la durée des absences du requérant du Canada. Le ministre a ajouté que les liens du requérant aux Philippines étaient plus forts que ses liens au Canada. Il a déclaré que le critère juridique de la résidence exige de conclure que le requérant ne résidait plus au Canada.
[8] Je dois décider si le requérant avait toujours droit au Supplément en mai 2017. Plus précisément, je dois décider s’il avait droit au Supplément pour les mois de mai et de juin 2017. Je vais expliquer la portée de ma décision dans la section « Questions préliminaires » plus bas.
[9] J’estime que le requérant avait droit au Supplément pour les mois de mai et de juin 2017.
Questions préliminaires
[10] Je vais d’abord aborder deux questions préliminaires : 1) le mode d’audience et 2) la portée de ma décision dans le présent appel.
Le mode d’audience
[11] Le requérant a demandé que l’audience se déroule « par écrit ». Ainsi, je dois rendre ma décision en me fondant sur les arguments écrits et les documents déposés par les parties. Le requérant a dit que c’était son moyen de communication préféréNote de bas de page 1.
[12] La loi prévoit que l’audience doit se dérouler selon le mode demandé par le requérant. Une audience « par écrit » est l’un des modes d’audience autorisés. Par conséquent, le présent appel s’est déroulé « par écrit » et sans audience oraleNote de bas de page 2.
La portée de ma décision dans le présent appel
[13] Les parties ont présenté des observations détaillées au sujet de ce que je devrais décider dans le présent appel. Le ministre a fait valoir que je devrais examiner le droit au Supplément à partir de mai 2017. Le ministre ne voulait pas que je m’arrête à juin 2017, mais il n’a invoqué aucun pouvoir juridique convaincant à cet égardNote de bas de page 3. Le requérant a été moins clair quant à la période que je devais prendre en considération. Sa position est simplement qu’il a toujours droit au Supplément.
[14] Selon moi, je dois examiner le droit au Supplément seulement pour les mois de mai et de juin 2017. Je vais maintenant expliquer pourquoi.
[15] Le Supplément est une prestation d’une période limitée. Le droit est déterminé annuellement, pour une période de paiement d’un an commençant le 1er juillet et se terminant le 30 juin de l’année civile suivanteNote de bas de page 4. Ce droit est fondé en partie sur les revenus du requérant pour l’année civile se terminant le 31 décembre de l’année civile précédenteNote de bas de page 5. D’autres facteurs, comme l’état matrimonial, la résidence et les absences du Canada peuvent également avoir une incidence sur le droit au Supplément pour une période de paiement donnéeNote de bas de page 6.
[16] Il se peut que le droit au Supplément d’un bénéficiaire d’une pension de la Sécurité de la vieillesse change ou cesse complètement d’une période de paiement à l’autre. Si les facteurs concernant le droit au Supplément autres que le revenu changent, ce droit pourrait même changer au cours d’une période de paiement.
[17] En règle générale, une personne doit présenter une demande de Supplément chaque annéeNote de bas de page 7. Toutefois, le ministre peut dispenser quelqu’un de cette exigence. Le requérant ne semble pas avoir fait une demande annuellement. J’ai vu une demande datée du 8 octobre 2010. Il a mentionné avoir fait une nouvelle demande en 2018Note de bas de page 8.
[18] Cette situation est différente de celle du droit à une pension de la Sécurité de la vieillesse. Une fois qu’une personne a droit à cette pension, le ministre ne la réévalue pas chaque année. La ou le bénéficiaire n’a pas besoin de présenter une nouvelle demande. Toutefois, le ministre peut réévaluer le droit plus tard s’il apparaît que la personne n’avait pas droit à la prestation verséeNote de bas de page 9.
[19] Les dispositions de la Loi sur la sécurité de la vieillesse relatives au versement du Supplément soulignent à maintes reprises que le Supplément n’est payable que pour une période de paiementNote de bas de page 10. Comme je l’ai mentionné, cette période de paiement dure un an. Chaque période de paiement se termine le 30 juin.
[20] La loi est claire : le droit au Supplément est évalué chaque année. Pour confirmer la portée de ma décision dans le présent appel, il est utile d’examiner la décision de révision. Malheureusement, il semble y avoir eu deux décisions de révision. Les deux décisions sont datées du 15 mars 2022. Aucune des décisions ne dit qu’elle remplace ou corrige l’autreNote de bas de page 11. Pour compliquer davantage les choses, chaque partie s’est fiée à une décision de révision différente.
[21] Le requérant s’est fié à ce que j’appellerai la « version 1 ».Note de bas de page 12 Le ministre s’est fié à ce que j’appellerai la « version 2 ».Note de bas de page 13 Je remarque que seule la version 2 figurait au dossier de révision du ministre. Le ministre a dit que la version 1 avait été émise par erreur et que la version 2 avait été envoyée à titre de correction le même jour.
[22] Toutefois, je n’ai pas à décider quelle version est la véritable décision de révision. Les deux versions arrivent à la même conclusion. Elles ont de nombreux éléments communs. Dans la version 1 et la version 2, le ministre a déclaré ce qui suit :
- Le requérant n’avait plus droit au Supplément depuis mai 2017.
- Le requérant avait reçu un trop-payé pour les mois de mai et de juin 2017.
- La décision était fondée sur le fait que la [traduction] « résidence principale » du requérant se trouvait aux Philippines.
- Selon sa [traduction] « situation de résidence », le droit du requérant pourrait changer [traduction] « à l’avenir »Note de bas de page 14.
[23] Le ministre a cité les mêmes éléments dans la lettre initiale de refus datée du 31 décembre 2020. Les décisions de révision résultaient toutes deux du même refus de décembre 2020Note de bas de page 15.
[24] Je ne suis au courant d’aucune décision contraignante qui oblige le Tribunal à évaluer l’admissibilité au Supplément jusqu’à la date de la décision de révision ou la date d’audience. En fait, dans une décision récente, le Tribunal a explicitement tenu compte d’une seule période de paiementNote de bas de page 16.
[25] Compte tenu de ces facteurs et par souci d’équité, j’ai limité la portée de ma décision à la période de paiement se terminant le 30 juin 2017.
Questions en litige
[26] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :
- a) Le requérant a-t-il été absent du Canada pendant plus de six mois consécutifs au cours de la période de paiement de juillet 2016 à juin 2017?
- b) Le requérant a-t-il continué de résider au Canada tout au long de la période de paiement de juillet 2016 à juin 2017?
- c) Compte tenu des réponses aux deux questions précédentes, quel est le droit du requérant au Supplément pour la période de paiement de juillet 2016 à juin 2017?
Analyse
[27] Le Règlement sur la sécurité de la vieillesse prévoit qu’une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du CanadaNote de bas de page 17. Par conséquent, une personne est absente du Canada si elle ne se trouve pas physiquement dans une région du Canada.
[28] Le fait de résider au Canada est différent du fait d’être présent au Canada. Une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du CanadaNote de bas de page 18.
Le requérant a-t-il été absent du Canada pendant plus de six mois consécutifs au cours de la période de paiement de juillet 2016 à juin 2017?
[29] Je conclus que le requérant n’a pas été absent du Canada pendant plus de six mois consécutifs. Je vais maintenant expliquer pourquoi.
[30] Le Supplément ne peut pas être versé à une personne qui est « absente » du Canada pendant de longues périodes. La disposition clé de la Loi sur la sécurité de la vieillesse est l’article 11(7)(c), qui se lit comme suit :
(7) Il n’est versé aucun supplément pour :
[…]
(2) tout mois complet d’absence suivant six mois d’absence ininterrompue du Canada, le mois du départ n’étant pas compté et indépendamment du fait que celui-ci soit survenu avant ou après l’ouverture du droit à pension; […]
[31] Selon le passeport du requérant, il était aux Philippines du 25 octobre 2016 au 22 mai 2017. Il a fait des démarches pour rester légalement aux Philippines pendant cette période. Il était au Canada depuis plusieurs années auparavant. Il est revenu au Canada le 23 mai 2017. Il est ensuite resté au Canada jusqu’à son retour aux Philippines le 25 octobre 2017Note de bas de page 19.
[32] Par conséquent, le requérant a été absent du Canada pendant six mois civils complets (de novembre 2016 à avril 2017) jusqu’à la fin de la période de paiement pertinente. Il a également été absent du Canada pendant une partie d’octobre 2016 et une partie de mai 2017.
[33] En application de l’article 11(7)(c) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse à ces absences, le requérant n’aurait pas été admissible au Supplément en mai 2017 s’il avait été absent du Canada pendant tout le mois. Cependant, il était présent au Canada pendant une partie du mois de mai 2017. Par conséquent, sa longue absence du Canada ne l’a pas rendu inadmissible au Supplément en mai ou en juin 2017.
[34] Toutefois, cette conclusion ne porte que sur un aspect de l’admissibilité du requérant. Je dois maintenant vérifier si sa résidence le rend inadmissible au Supplément pendant la période de paiement de juillet 2016 à juin 2017.
Le requérant a-t-il continué de résider au Canada tout au long de la période de paiement de juillet 2016 à juin 2017?
[35] Je conclus que le requérant a résidé au Canada au moins jusqu’à la fin de juin 2017. Par conséquent, il est demeuré admissible au Supplément jusqu’à la fin de juin 2017. Je vais maintenant expliquer comment j’ai tiré cette conclusion.
[36] La disposition clé de la Loi sur la sécurité de la vieillesse est l’article 11(7)(d), qui se lit comme suit :
(7) Il n’est versé aucun supplément pour :
[…]
(d) tout mois complet de non-résidence au Canada suivant la période de six mois consécutive à la cessation de résidence, que celle-ci soit survenue avant ou après l’ouverture du droit à pension; […]
[37] Pour décider si cet article rend le requérant inadmissible au Supplément, je dois décider quand il résidait au Canada.
[38] Les décisions de la Cour fédérale du Canada lient le Tribunal. Pour décider si le requérant résidait au Canada, je dois examiner l’ensemble de la situation et les facteurs énoncés dans les décisions de la Cour fédérale, comme l’arrêt Ding. Je vais appeler ces facteurs les facteurs de la décision Ding. Parmi ces facteurs, je dois vérifierNote de bas de page 20 :
- où il avait des biens, comme des meubles, un compte bancaire et des intérêts commerciaux;
- où il avait des liens sociaux, comme des amis, des parents, l’appartenance à un groupe religieux et l’adhésion à un club ou à une organisation professionnelle;
- où il avait d’autres liens, comme une assurance maladie, un bail de location, une hypothèque ou un prêt;
- où il a produit des déclarations de revenus;
- les liens qu’il avait dans un autre pays;
- la durée de ses séjours au Canada;
- la fréquence et la durée de ses séjours à l’extérieur du Canada, et où il allait;
- son mode de vie au Canada;
- ses intentions.
[39] Cette liste n’est pas complète. D’autres facteurs peuvent être importants. Je dois examiner la situation de l’appelant dans son ensemble.
[40] Les faits dans la présente affaire sont en grande partie incontestés. Les parties sont plutôt en désaccord quant à la façon dont la loi s’applique à ces faits. Avant d’examiner la loi, je vais décrire les principaux événements autour de la période de paiement de juillet 2016 à juin 2017.
Les principaux événements autour de la période de paiement
[41] Je ne vois rien qui donne à penser que le requérant a résidé dans un autre pays que le Canada ou les Philippines. Son arrivée aux Philippines le 25 octobre 2016 marque donc un tournant. Avant cette date, il n’était pas aux Philippines depuis le 22 avril 2010Note de bas de page 21. Je vois peu d’éléments de preuve qui le lient aux Philippines pendant cette période de plus de six ans. En fait, il semblait avoir passé peu de temps à l’étrangerNote de bas de page 22.
[42] Le requérant a épousé son ancienne compagne le 28 avril 2007. Ils étaient toujours mariés lorsqu’il a présenté sa demande initiale de Supplément le 8 octobre 2010. Ils vivaient ensemble en OntarioNote de bas de page 23. Toutefois, en 2016, cette relation semble avoir pris fin. Toutes ses références à une conjointe à partir de 2016 sont à FP. En 2021, il a décrit son état civil comme étant à la fois séparé et conjoint de faitNote de bas de page 24.
[43] Le 7 décembre 2016, le requérant et FP ont signé un bail de six mois pour un appartement aux Philippines. Selon la ou le propriétaire, le requérant et FP vivaient dans l’appartement pendant qu’ils construisaient leur propre maisonNote de bas de page 25. Par la suite, le requérant a déclaré que décembre 2016 était le début de leur union de faitNote de bas de page 26.
[44] Comme je l’ai mentionné, le requérant a quitté les Philippines pour le Canada le 22 mai 2017. Il n’est pas retourné aux Philippines avant le 25 octobre 2017. Cependant, le 19 août 2017, FP a donné naissance à un fils. Comme FP a donné à son fils le nom du requérant, je l’appellerai « Junior »Note de bas de page 27. Le requérant a également dit que Junior était son filsNote de bas de page 28. Le 20 octobre 2017, le requérant a rédigé un testament. Il a désigné FP comme principale bénéficiaire et Junior comme premier bénéficiaire subsidiaireNote de bas de page 29.
[45] Au cours des années subséquentes, le requérant s’est généralement rendu aux Philippines en octobre et est revenu au Canada en mai l’année suivanteNote de bas de page 30. Il semble que FP soit demeurée aux Philippines avec Junior.
Application des facteurs de la décision Ding aux faits au cours de la période de paiement
[46] Je ne vois rien qui semble indiquer que le requérant était tout sauf un visiteur aux Philippines au cours des mois précédant décembre 2016. Il n’y avait pas de biens ni de liens sociaux importants. Il a passé essentiellement tout son temps au Canada depuis avril 2010. Cependant, à partir de décembre 2016, le tableau devient moins clair.
[47] À compter de décembre 2016, certains facteurs de la décision Ding militent en faveur d’un changement de résidence du requérant. Cependant, d’autres facteurs indiquaient toujours une résidence au Canada. À présent, je vais examiner tous ces facteurs.
Les biens du requérant
[48] Ce facteur milite en faveur de la résidence au Canada.
[49] La majeure partie des biens du requérant, et la quasi-totalité de la valeur de ses biens se trouvaient au Canada pendant la période de paiement.
[50] Les biens matériels du requérant semblent avoir été principalement au Canada tout au long de cette période. Il a continué d’être propriétaire de la maison en Ontario, où il réside depuis 2004Note de bas de page 31. Il n’a pas loué sa maison pendant son absence du Canada. Il a dit que les charges locatives et l’assurance de cette maison demeuraient à son nomNote de bas de page 32.
[51] Le requérant a construit une maison avec FP aux Philippines de décembre 2016 à mai 2017Note de bas de page 33. Il l’a décrit plus tard comme la [traduction] « minimaison d’une chambre » de FPNote de bas de page 34. Par souci de clarté, je vais l’appeler la minimaison. Par la suite, il a dit que les autres membres de la famille de FP effectuaient la majeure partie du travail sur la minimaison, même s’il a contribué à son financement. Il l’a décrite comme une structure très modeste et temporaire qui n’était pas conforme au code du bâtimentNote de bas de page 35. Le service d’approvisionnement en eau de la minimaison était seulement au nom de FPNote de bas de page 36.
[52] Le requérant a déclaré que FP était effectivement la propriétaire de la minimaison, bien que le terrain appartenait légalement à d’autres personnes. Il a dit que FP avait pris les décisions concernant la minimaison, par exemple, qui pouvait y rester. FP l’a mise à la disposition d’autres membres de la famille. Il a affirmé que la minimaison avait été construite pour FP et non pour lui. Il a dit que les autorités locales considèrent FP comme la chef de ménage de la minimaison. Il a ajouté qu’il n’avait pas le droit d’être propriétaire aux PhilippinesNote de bas de page 37.
[53] Le requérant a dit qu’après la période de paiement en question, il restait habituellement dans une maison appartenant aux parents de FP pendant qu’il était aux Philippines (la maison des beaux-parents). Il a financé de nombreuses rénovations pour la maison des beaux-parentsNote de bas de page 38.
[54] En décembre 2017, FP, le requérant et la propriétaire foncière (la tante de FP) ont signé un accord sur l’utilisation des terres concernant la minimaisonNote de bas de page 39. Je ne comprends pas pourquoi le requérant a signé cet accord. Il a dit qu’il n’avait aucun intérêt dans la minimaison. Il a dit qu’il n’y était pas resté. Cependant, même s’il avait un intérêt dans la minimaison, ses autres propriétés au Canada le faisaient paraître petit. Je remarque également que l’accord sur l’utilisation des terres n’a été signé qu’après la période de paiement en question.
[55] Le requérant avait une voiture au Canada. Il a dit qu’il n’était pas propriétaire d’une voiture aux Philippines : il dépendait des transports en commun ou d’une petite motocyclette. Il a dit qu’il conservait la majorité de ses biens comme des meubles, des appareils ménagers et des ustensiles au Canada. Il a dit que ses seuls biens personnels aux Philippines étaient des vêtementsNote de bas de page 40.
[56] Le requérant avait un compte bancaire, un compte de courtage et deux cartes de crédit au CanadaNote de bas de page 41. En juillet 2021, il a nié avoir de tels comptes à l’étrangerNote de bas de page 42. Cependant, en novembre 2018, il a dit qu’il avait un compte bancaire conjoint avec FP aux PhilippinesNote de bas de page 43. Je ne suis pas sûr si ce compte existait pendant la période de paiement. Il a nié avoir des intérêts commerciaux dans l’un ou l’autre paysNote de bas de page 44.
[57] Dans l’ensemble, les biens du requérant au Canada étaient d’envergure et auraient valu beaucoup plus que ce qu’il possédait aux Philippines.
Les liens sociaux du requérant
[58] Les liens sociaux du requérant sont plus difficiles à évaluer. Ses liens sociaux étaient plus forts au Canada au début de la période de paiement. Cependant, ses liens sociaux aux Philippines ont augmenté pendant et immédiatement après la période de paiement.
[59] Le requérant avait des membres de sa famille au Canada. Sa sœur et sa nièce vivaient près de sa maison en Ontario. Il a dit qu’il avait rendu visite à sa nièce; elle est également son exécutrice testamentaire. Sa sœur l’aurait nommé exécuteur testamentaire. Le requérant n’a mentionné aucun autre parent au CanadaNote de bas de page 45.
[60] Le requérant a décrit d’autres liens sociaux au Canada. Il faisait partie d’un club [traduction] « de l’âge d’or » local. Il a dit qu’il était bénévole à l’église de l’autre côté de la rue. Il a décrit un lien très étroit avec un ami près de sa maison en Ontario : ils passaient plusieurs jours ensemble chaque semaineNote de bas de page 46. Il a parlé d’autres amis au Canada. Il s’est arrangé avec des gens du voisinage pour qu’ils tiennent sa maison à l'œil. Il a dit qu’il avait aussi des liens avec la communauté philippine près de sa maison en OntarioNote de bas de page 47.
[61] Les liens sociaux du requérant ont considérablement changé en décembre 2016, lorsque lui et FP ont commencé à vivre en union de fait aux Philippines. FP semble avoir une grande famille dans la région. Sa famille est importante pour elle : plus tard, le requérant a dit que les membres de sa famille utilisaient souvent la minimaison et qu’il devait rester à la maison des beaux-parentsNote de bas de page 48.
[62] Les liens sociaux du requérant ont encore changé avec la naissance de Junior le 19 août 2017Note de bas de page 49. Même si la naissance était après la période de paiement, FP et le requérant étaient probablement au courant de la grossesse pendant cette période. La période de paiement a pris fin moins de deux mois avant la naissance de Junior.
[63] Les liens du requérant avec FP et Junior sont très importants pour lui. En octobre 2017, peu après la fin de la période de paiement, il a signé un testament qui désignait FP comme le bénéficiaire de sa succession (après les dettes et les dépenses). Junior était le bénéficiaire subsidiaire si FP prédécédait le requérant. Les autres bénéficiaires subsidiaires étaient les enfants de Junior (s’il en avait). La dernière bénéficiaire subsidiaire était la fille du requérant, « H ». Je n’ai vu aucune autre référence à H. Il n’est pas clair si H vit au Canada ou si le requérant a d’autres parents au Canada ou ailleurs. Il n’a pas désigné sa sœur ou sa nièce comme bénéficiaire subsidiaireNote de bas de page 50.
[64] En octobre 2018, le requérant a fait référence à PP comme étant sa fille pour la première fois. À l’époque, PP fréquentait déjà une école aux PhilippinesNote de bas de page 51. En 2021, il a dit qu’il soutenait financièrement FP, Junior et PPNote de bas de page 52. Même si je n’ai vu aucune autre preuve concernant PP, il est raisonnable de déduire qu’elle est la fille de FP d’une relation antérieure.
[65] Le requérant a nié appartenir à une organisation professionnelle, sociale ou récréative aux PhilippinesNote de bas de page 53.
Les autres liens du requérant
[66] Les conditions de logement du requérant pendant cette période militent en faveur de la résidence aux Philippines. Toutefois, les autres liens reliés à ce facteur continuent de militer en faveur de la résidence au Canada.
[67] Le requérant et FP ont loué un appartement ensemble aux Philippines du 9 décembre 2016 au 9 juin 2017. Comme je l’ai mentionné, le requérant a quitté les Philippines le 22 mai 2017 et n’est revenu que plus de cinq mois plus tardNote de bas de page 54. Il a tout de même loué un appartement aux Philippines pendant six mois et y a cohabité avec FP pendant plus de cinq mois. Cette période était plus longue que celle où il se trouvait au Canada pendant la période de paiement.
[68] Le requérant avait une assurance maladie privée et provinciale au Canada. Il a dit qu’il n’avait pas d’assurance maladie aux Philippines. Il devait payer pour tout ce que son assurance-maladie de l’Ontario ne couvrait pas. Il a fait remarquer qu’il n’avait pas de statut de résident aux Philippines. Il n’a reçu aucune prestation là-bas, même s’il était une personne âgée. Il avait un permis de conduire de l’Ontario. Il avait aussi une assurance automobile et une assurance habitation en OntarioNote de bas de page 55.
Déclarations de revenus
[69] Ce facteur milite en faveur de la résidence au Canada. Le requérant a produit des déclarations de revenus canadiennes de 2018 à 2020. Il a dit avoir également produit une déclaration de revenus canadienne pour 2017Note de bas de page 56. Je ne vois aucune preuve d’une quelconque activité fiscale aux Philippines. Il a dit qu’il n’y était pas assujetti à l’impôt sur le revenuNote de bas de page 57. Il a un [traduction] « certificat d’enregistrement d’étranger » qui montre qu’il était un « touriste » aux PhilippinesNote de bas de page 58.
Liens dans un autre pays
[70] Je ne trouve pas ce facteur convaincant. Avant de commencer sa relation avec FP, le requérant avait peut-être des liens faibles avec les Philippines.
[71] L’ex-femme du requérant est originaire des Philippines. C’est là qu’ils se sont mariés. Il y a passé au moins une longue période dans le passéNote de bas de page 59. Comme je l’ai mentionné, il était actif dans la communauté philippine près de chez lui en Ontario. Cependant, ces facteurs n’ont pas beaucoup d’importance pour la période de paiement. Tous les liens qu’il a eus avec les Philippines au cours de la période de paiement sont déjà couverts par d’autres facteurs de la décision Ding.
Durée de ses séjours au Canada/fréquence de ses séjours à l’extérieur du Canada
[72] Ces facteurs sont étroitement liés. J’estime qu’ils militent légèrement en faveur de la résidence aux Philippines.
[73] Pour la période de paiement en question, le requérant a passé environ cinq mois au Canada. Il a passé le reste de cette période aux Philippines. Avant la période de paiement, il avait passé presque tout son temps au Canada pendant les six années précédentes. Cependant, il a quitté le Canada une seule fois pendant la période de paiement.
Mode de vie au Canada
[74] Ce facteur milite en faveur de la résidence au Canada.
[75] Le requérant semble vivre une vie très établie et enracinée lorsqu’il est au Canada. Il vivait dans la même maison depuis de nombreuses années. Il a décrit les rénovations importantes qu’il y a effectuées. Son mode de vie ici semble avoir été très stable et confortableNote de bas de page 60.
[76] Le mode de vie canadien du requérant contraste considérablement avec son mode de vie aux Philippines. Son mode de vie aux Philippines était moins établi.
[77] Je vois peu d’éléments de preuve concernant le mode de vie du requérant dans l’appartement que lui et FP ont commencé à louer en décembre 2016. Toutefois, comme le bail n’était que de six mois, il ne s’agissait pas d’un arrangement permanent. Ils n’ont pas renouvelé le bail. Il n’a pas passé tout son temps dans cet appartement. Une photo datant de janvier 2017 le montre à la maison des beaux-parentsNote de bas de page 61.
Les intentions du requérant
[78] Ce facteur milite en faveur de la résidence au Canada.
[79] Le requérant est catégorique sur le fait qu’il a toujours eu l’intention de résider au Canada et qu’il l’a faitNote de bas de page 62. Il a expliqué que ses conditions de logement résultaient de préoccupations en matière de santé. Il voulait éviter les mois les plus froids au Canada et les mois les plus chauds aux PhilippinesNote de bas de page 63.
[80] Je remarque également que le requérant a demandé une preuve de citoyenneté canadienne au nom de Junior. Il a dit qu’un jour, FP et Junior déménageront au Canada. Il a dit avoir obtenu leur passeport pour s’y préparer. Bien que ce soit arrivé plusieurs années après la fin de la période de paiement, ce fait renforce ses intentions et ses liens avec FP et JuniorNote de bas de page 64.
Évaluation des facteurs de la décision Ding
[81] Il n’est pas facile de déterminer la résidence du requérant. Certains facteurs de la décision Ding confirment la résidence au Canada, tandis que d’autres pourraient confirmer la résidence aux Philippines. Dans certains cas, les facteurs ont changé au fil du temps. Certains facteurs sont plus importants que d’autres pour déterminer sa résidence. J’estime que ses liens sociaux sont particulièrement importants. Ce facteur couvre sa relation avec FP et Junior. Ces relations ont eu une très forte incidence sur ses décisions et son mode de vie.
[82] Cependant, je dois examiner la période de paiement en question. Pendant cette période, Junior n’était pas encore né. FP et le requérant étaient probablement au courant de la grossesse de FP avant juillet 2017, mais je ne peux pas dire exactement à quel moment.
[83] La naissance de Junior en août 2017 et le fait qu’il porte le nom du requérant sont des événements importants. Le testament d’octobre 2017 du requérant et son retour aux Philippines ce mois-là sont aussi importants. Ils ont tous deux montré la force de ses liens avec FP et Junior. Bien que ces événements démontrent des liens sociaux forts aux Philippines, ces liens ne se sont pas concrétisés avant juillet 2017.
[84] Au cours de la période de paiement, le seul facteur de la décision Ding qui milite manifestement en faveur de la résidence aux Philippines était le temps que le requérant y passait. Il était là pendant plus de la moitié de la période de paiement. Ses liens sociaux et autres liens présentent un tableau nuancé à la fin de juin 2017. Bien qu’il ait eu une relation établie et des conditions de logement pendant près de six mois aux Philippines, ses nombreux liens continus au Canada contrebalancent ces faits. Il avait des amis, de la famille et une participation communautaire au Canada. Il avait des assurances, des soins de santé et un permis au Canada.
[85] Les autres facteurs de la décision Ding militent tous en faveur de la résidence au Canada. Les biens du requérant, en particulier, se trouvaient presque entièrement au Canada. Il avait une maison bien établie et un mode de vie ici. Il payait des impôts ici. Il avait l’intention de demeurer résident canadien. Il avait l’intention d’amener FP et Junior au Canada. Même si je n’accorde pas trop d’importance aux intentions dans la présente affaire, je dois quand même en tenir compte. Son intention sert encore une fois à affirmer l’importance de ses liens sociaux avec FP et Junior.
[86] En fin de compte, je ne suis pas convaincu que le requérant résidait aux Philippines à la fin de juin 2017. Même s’il a passé plus de la moitié de cette période de paiement aux Philippines, je ne peux pas fonder ma décision sur ce seul fait. Dans l’ensemble, je constate qu’il résidait toujours au Canada à ce moment-là.
[87] Malgré cette conclusion, je dois souligner qu’elle s’applique seulement jusqu’à la fin de juin 2017. Comme je l’ai mentionné plus haut, les liens sociaux du requérant semblent avoir considérablement changé au moment de son retour aux Philippines en octobre 2017. Ces liens sont particulièrement importants dans le contexte de la présente affaire. Cependant, la question de savoir s’il est demeuré résident canadien après juin 2017 dépasse la portée de la présente décision.
Quel est le montant du Supplément auquel le requérant a droit pour la période de paiement allant de juillet 2016 à juin 2017?
[88] Comme le requérant a continué d’être un résident canadien jusqu’à la fin de juin 2017, il a continué d’avoir droit au Supplément de revenu garanti pendant toute cette période de paiement. Plus précisément, comme le ministre ne lui a pas versé le Supplément pour mai 2017 et juin 2017, il a droit aux versements pour ces mois.
[89] Toutefois, je ne tire aucune conclusion sur l’admissibilité ou le droit du requérant au Supplément pour les périodes subséquentes.
Conclusion
[90] L’appel est accueilli. Le requérant a droit au Supplément de revenu garanti pour toute la période de paiement allant de juillet 2016 à juillet 2017. Par conséquent, il doit recevoir le Supplément en mai 2017 et en juin 2017.