Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

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Contenu de la décision

Citation : ED c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 72

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Parties appelantes : E. D.
Partie intimée :

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Représentante ou représentant : Érélégna Bernard

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du
3 octobre 2023 (GP-19-1602)

Membre du Tribunal : Jude Samson
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 21 octobre 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de l’intimé
Date de la décision : Le 31 janvier 2025
Numéro de dossier : AD-23-1018

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Décision

[1] Je rejette l’appel du requérant, E. D. Il n’a pas démontré qu’il a résidé au Canada du 6 décembre 2012 au 1er mars 2015. Par conséquent, il doit rembourser une somme du Supplément de revenu garanti que le ministre de l’Emploi et du Développement social lui a versé.

Aperçu

[2] À partir de juin 2009, le ministre a versé au requérant une pleine pension de la Sécurité de la vieillesse ainsi que le Supplément de revenu garanti. Toutefois, le ministre a enquêté par la suite sur l’admissibilité du requérant à ces prestations.

[3] Le ministre a finalement jugé que le requérant n’avait pas résidé au Canada du 6 décembre 2012 au 1er mars 2015. Il a donc conclu que le requérant n’était pas admissible au Supplément de revenu garanti de juillet 2013 à février 2015 et a donc réclamé un trop payéNote de bas de page 1.

[4] Le requérant a porté la décision du ministre en appel auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais celle-ci a rejeté son appel.

[5] Le requérant a ensuite porté la décision de la division générale en appel auprès de la division d’appel, et je lui ai accordé la permission de faire appel. Par conséquent, j’ai jugé l’appel comme une nouvelle affaireNote de bas de page 2.

[6] Même si je suis sensible à la situation du requérant, je rejette son appel.

Questions préliminaires

Le requérant a bénéficié d’accommodements tout au long du processus d’appel

[7] À différentes reprises au cours de l’appel, le requérant a demandé de bénéficier d’accommodements en raison de ses nombreux problèmes de santéNote de bas de page 3. J’ai accédé à un grand nombre de ces demandes, même s’il n’y avait pas de preuves médicales à l’appui de ces problèmes.

[8] Par exemple, j’ai accordé au requérant des délais prolongés pour présenter ses preuves et ses arguments au Tribunal. De plus, avant de rejeter son avis de question constitutionnelle, j’en ai souligné plusieurs lacunes et je lui ai donné le temps d’y remédierNote de bas de page 4.

[9] D’autres accommodements lui ont également été accordés pendant l’audience, notamment :

  • une personne de soutien et un ami ont assisté à l’audience avec le requérantNote de bas de page 5;
  • de nombreuses pauses ont été prises au cours de l’audience et j’ai proposé plusieurs pauses supplémentaires, même si le requérant les a refusées;
  • l’audience a été déplacée vers la ville où le requérant vit et a été prolongée bien au-delà du temps prévu;
  • comme le requérant s’est plaint du nombre excessif de documents dans le dossier d’appel, j’ai demandé au requérant s’il voulait qu’on lui fournisse un livre abrégé des documents clés sur lesquels le ministre s’appuyait dans ses arguments écrits, mais il a refusé;
  • la représentante du ministre a abordé les questions en litige séparément et j’ai souvent reformulé les arguments dans un langage clair, afin que le requérant puisse y répondre une à la fois;
  • comme le requérant semblait de plus en plus irrité par les arguments présentés par la représentante du ministre, j’ai demandé si elle présenterait ses derniers arguments par écrit.

[10] Il convient de remercier la représentante du ministre d’être restée courtoise et professionnelle tout au long de l’audience, même si le requérant ne s’est pas toujours comporté de la même façon à son égard.

J’ai ajouté des documents au dossier d’appel après l’audience

[11] Avant l’audience, le requérant s’est plaint que des documents manquaient dans le dossier d’appelNote de bas de page 6. J’ai répondu à ses préoccupations et, s’il y avait des documents supplémentaires qui manquaient, je l’ai invité à les fournir au Tribunal bien avant l’audienceNote de bas de page 7. J’ai aussi offert l’assistance du personnel du Tribunal si d’autres éclaircissements étaient nécessaires.

[12] Au cours de l’audience, le requérant a néanmoins remarqué qu’il y avait toujours des documents manquants au dossier d’appel. Cependant, le requérant a fourni peu de précisions et les exemples qu’il a soulignés lors de l’audience étaient déjà dans le dossier d’appelNote de bas de page 8.

[13] De plus, le requérant a confirmé qu’il ne demandait pas la permission de verser d’autres documents au dossier d’appel.

[14] Après l’audience, j’ai néanmoins cherché dans les dossiers du requérant auprès du Tribunal (qui sont nombreux) et j’ai trouvé un document qui n’avait pas été correctement ajouté au dossier de la division générale lorsqu’elle a rendu sa dernière décision dans cette affaireNote de bas de page 9.

[15] En bref, la division générale a d’abord rejeté l’appel du requérant dans une décision rendue le 20 septembre 2018Note de bas de page 10. Le 21 novembre 2018, le requérant a demandé à la division générale d’annuler ou de modifier sa décision en fonction de nouveaux éléments de preuveNote de bas de page 11. La division générale a rejeté cette demande le 30 janvier 2019.

[16] Le requérant a fait appel des deux décisions de la division générale auprès de la division d’appelNote de bas de page 12. J’ai traité des deux dossiers dans une seule décision rendue le 27 septembre 2019.

[17] Étant donné que j’accueillais l’appel sur la première décision de la division générale et que je renvoyais le dossier à la division générale pour une audience, j’ai conclu que le deuxième appel était devenu théorique. Bref, les nouveaux éléments de preuve du requérant seraient examinés dans le cadre de la nouvelle audience.

[18] Malheureusement, il semble que les éléments de preuve que le requérant a déposés dans le cadre de la demande d’annulation ou de modification n’ont pas été ajoutés au nouveau dossier de la division générale, soit le dossier GP‑19‑602.

[19] Je remédie à cet oubli en ajoutant ces éléments au présent dossier. Avant de ce faire, j’ai demandé aux parties leurs arguments écrits au sujet de ces élémentsNote de bas de page 13. J’ai tenu compte de tous les arguments reçus après l’audience. Je n’ai pas jugé nécessaire de rouvrir l’audience en raison de ces arguments.

Questions en litige

[20] La majorité de l’audience a été consacrée aux questions suivantes soulevées par le requérant, qu’il a qualifiées de nature préliminaire et juridique :

  1. a) La division d’appel est-elle compétente dans cette affaire puisque le requérant a déposé une « demande de rétractation ou [réouverture] d’enquête » plutôt qu’une demande à la division d’appel?
  2. b) Suis-je dans une situation de conflit d’intérêts telle que je devrais me récuser de trancher l’appel?
  3. c) Les décisions interlocutoires du Tribunal sont-elles nulles si elles ne mentionnent pas le nom du membre ou de la membre qui les a prises?
  4. d) Dois-je accueillir la requête en non-lieu du requérant?

[21] Selon les réponses à ces questions, je trancherai ensuite la question de fond : le requérant a-t-il résidé au Canada au sens de la Loi sur la sécurité de la vieillesse du 6 décembre 2012 au 1er mars 2015Note de bas de page 14?

[22] Au cours de l’audience, j’ai expliqué au requérant qu’il n’y aurait qu’une seule audience. Ainsi, en plus de ses arguments au sujet des questions préliminaires qu’il avait soulevées, je voulais également entendre son témoignage sur la question de fond. Il a refusé. Même lorsque ses arguments ressemblaient à un témoignage, il a nié que c’était ce qu’il faisait.

[23] Avant de continuer, il convient de préciser que j’ai également examiné d’autres arguments moins centraux du requérant, mais que je les ai tous rejetés. Par exemple, le requérant a souligné de petites erreurs qui se sont glissées dans certains documents du Tribunal, comme la date de la décision découlant de la révision qui figure sur la première page de la décision de la division générale datée du 3 octobre 2023. Bien que ces erreurs soient regrettables, elles ne se traduisent pas par un droit aux prestations du Supplément de revenu garanti pour le requérant.

Analyse

La division d’appel est compétente dans cette affaire

[24] Le requérant a soutenu que la division d’appel n’était pas compétente dans cette affaire puisqu’il a déposé une « demande de rétractation ou [réouverture] d’enquête » plutôt qu’une demande à la division d’appel. Je rejette l’argument du requérant.

[25] Le requérant a soutenu que le Tribunal avait commis une erreur en ouvrant un dossier à la division d’appel et que la division générale était habilitée à examiner sa demande en vertu de la charte fédérale, de la charte provinciale, et de la Loi sur la preuve au Canada.

[26] Les arguments du requérant sur cette question étaient confus et quelque peu incohérents, surtout lorsqu’il a déclaré qu’il n’avait pas fait appel de la décision de la division générale et que la membre de la division générale avait fait appel de sa propre décision.

[27] Comme je l’ai reconnu lors de l’audience, la division générale avait auparavant le pouvoir d’annuler ou de modifier l’une de ses propres décisions sur la base de faits nouveaux. En effet, le requérant a déjà présenté une telle demande, comme décrit ci-dessus. Cependant, le Parlement a retiré ce pouvoir au Tribunal en décembre 2022Note de bas de page 15. De plus, les plaintes du requérant portent davantage sur la procédure de la division générale et non sur des faits nouveaux.

[28] J’ai plutôt essayé de rassurer le requérant en lui disant que j’avais le pouvoir de trancher toutes les questions clés qu’il soulevait dans le cadre d’une audience entendue et jugée comme une nouvelle affaireNote de bas de page 16.

[29] De façon importante, le requérant ne voulait pas retirer son appel et ne voulait pas que je ferme le dossier de la division d’appel en déclarant que le Tribunal l’avait ouvert par erreur. Je lui ai proposé d’envoyer tous les documents à la division générale pour qu’elle examine sa « demande de rétractation ou [réouverture] d’enquête. » Au contraire, il a insisté pour que je tranche les questions soulevées dans son appel.

[30] En fin de compte, j’ai tiré les conclusions suivantes :

  • Le requérant est insatisfait de la décision de la division générale datée du 3 octobre 2023 et il veut la contester.
  • Le Tribunal n’a que les pouvoirs que la loi lui confère. Même si le requérant affirme que la loi l’autorise à présenter sa demande devant la division générale, il n’a pas cité une disposition législative précise pour le faire et je n’en connais pas non plus.
  • Après avoir reçu la « demande de rétractation ou [réouverture] d’enquête » du requérant, le Tribunal a accusé réception d’une demande à la division d’appelNote de bas de page 17.
  • J’ai ensuite accordé au requérant la permission de faire appel et sa demande de permission était donc assimilée à un avis d’appelNote de bas de page 18.
  • Le requérant a ensuite rempli le formulaire « Demande présentée à la division d’appel » dans lequel il demande à la division d’appel de lui accorder une réparationNote de bas de page 19.

[31] Compte tenu de ces circonstances, j’estime que la division d’appel avait raison d’ouvrir un dossier et qu’elle est compétente dans cette affaire.

J’ai refusé de me récuser de l’audience

[32] Lors de l’audience, le requérant m’a reproché d’être en conflit d’intérêts et m’a demandé de me récuser pour qu’un autre membre puisse trancher son appel. J’ai refusé. Voici les motifs de ma décision.

[33] Avant de prendre ma décision, j’ai demandé au requérant de préciser les raisons pour lesquelles il m’accusait d’être en conflit d’intérêts. En réponse, il a énuméré plusieurs demandes qu’il avait faites et que j’avais refusées, comme les suivantes :

  • j’ai refusé de lui fournir une aide juridique (avocat d’office)Note de bas de page 20;
  • j’ai refusé de mettre la procédure en suspens pendant une période indéfinieNote de bas de page 21;
  • j’ai conclu que son avis d’appel mettant en cause la Charte ne remplissait pas les exigences de l’article 1(1) du Règlement de 2022 sur le Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 22.

[34] Les allégations de partialité sont graves, car elles remettent en question l’intégrité du Tribunal et de ses membres. Elles ne doivent pas être faites à la légère. Par ailleurs, le Tribunal fait l’objet d’une présomption que ses membres sont impartiauxNote de bas de page 23.

[35] Le critère juridique pour prouver qu’il existe une crainte raisonnable de partialité est donc élevé. Il a été énoncé de cette façon par la Cour suprême du CanadaNote de bas de page 24 :

[…] à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

[36] J’estime que le requérant n’a pas satisfait au seuil nécessaire pour prouver que je devais me récuser de l’audience. Il a notamment ignoré les nombreuses décisions que j’ai rendues en sa faveur. Par exemple, j’ai accueilli un appel précédent et j’ai accepté de déplacer l’audience dans la ville où il vitNote de bas de page 25. De plus, je lui ai donné de nombreuses occasions de soumettre un avis de question constitutionnelle qui répondait à toutes les exigences de la loi.

[37] Les membres prennent des décisions interlocutoires au cours de toutes les procédures. Les décisions suivantes doivent néanmoins être prises avec un esprit ouvert, sans suppositions inappropriées ou injustifiées. Les tribunaux ne pourraient pas fonctionner si les décideurs devaient se récuser après chaque décision interlocutoire qui déplaît à une partie.

[38] Il est évident que le requérant n’est pas d’accord avec certaines décisions que j’ai rendues dans le cadre de l’appel. En soi, cela ne constitue ni une preuve de partialité ni un motif d’exclusionNote de bas de page 26.

[39] Le requérant n’a pas prouvé que mes décisions interlocutoires précédentes amèneraient une personne raisonnable, informée de toutes les circonstances pertinentes, à conclure que j’ai manqué de saisir les questions en litige et de les trancher de manière impartiale et indépendanteNote de bas de page 27.

Les décisions interlocutoires du Tribunal sont valides

[40] Le requérant prétend que certaines décisions interlocutoires du Tribunal sont invalides parce qu’elles ne précisent pas le nom de la personne qui a rendu la décision. Par exemple, certaines lettres du Tribunal commencent de la façon suivante : « Le membre du Tribunal chargé de cet appel a rendu la décision suivanteNote de bas de page 28 ».

[41] Je rejette l’argument du requérant.

[42] D’abord, le Tribunal a accusé réception d’une demande à la division d’appel le 15 novembre 2023. Le requérant savait depuis ma première décision, soit celle datée du 6 décembre 2023, que je suis le membre chargé de son dossier.

[43] Le requérant n’a pas évoqué de raison pouvant laisser penser que des décisions dans son dossier ont été prises par une personne qui n’est pas membre du Tribunal. Au contraire, j’ai bien confirmé que j’avais pris toutes les décisions dans son dossierNote de bas de page 29.

La requête en non-lieu du requérant est rejetée

[44] Le requérant m’a demandé d’accueillir son appel de façon sommaire parce que le ministre n’a pas présenté de preuves recevables montrant qu’il ne résidait pas au Canada pendant la période contestée.

[45] Je rejette la requête du requérant pour trois raisons principales.

[46] D’abord, le requérant n’a cité aucune disposition législative me donnant l’autorité d’accueillir un appel de façon sommaire.

[47] De plus, l’argument du requérant repose sur l’hypothèse qu’il appartient au ministre de prouver que le requérant n’a pas résidé au Canada (et non à lui de prouver le contraire).

[48] Cependant, la Cour fédérale a déjà tranché cette question et a conclu que le fardeau de la preuve appartient au requérantNote de bas de page 30. Je n’ai d’autre choix que de suivre ces décisions de la Cour fédérale.

[49] Finalement, la loi imposait au requérant l’obligation de fournir certains avis au ministre, comme lorsqu’il s’est marié et lorsqu’il a quitté le Canada pour des périodes prolongéesNote de bas de page 31. Cependant, le requérant a attendu deux ans avant de dire au ministre qu’il était marié et ne semble jamais avoir avisé le ministre qu’il s’absentait du pays pendant une période prolongéeNote de bas de page 32.

[50] J’ai du mal à accepter l’argument du requérant selon lequel je devrais imposer la charge de la preuve au ministre alors que le requérant ne lui a pas fourni les avis que la loi l’obligeait à fournir.

[51] Les requêtes en non-lieu peuvent être des outils procéduraux importants dans d’autres contextes et devant d’autres tribunaux. Toutefois, elles ne font pas partie des procédures de ce Tribunal et ne peuvent pas être transposées dans ce contexte comme le requérant l’espérait.

[52] J’estime alors que je dois rejeter la requête en non-lieu du requérant.

Le requérant n’a pas démontré qu’il a résidé au Canada du 6 décembre 2012 au 1er mars 2015

[53] La question de fond dans cette affaire concerne l’admissibilité du requérant au Supplément de revenu garanti.

[54] À plusieurs reprises, le requérant a déclaré que le ministre n’avait pas prouvé qu’il avait été absent du Canada pendant plus de six mois consécutifsNote de bas de page 33. Même s’il s’agit de l’un des critères permettant au ministre de suspendre le versement du Supplément de revenu garanti, ce n’est pas le critère sur lequel le ministre s’appuie dans le cas présentNote de bas de page 34.

[55] Le ministre soutient plutôt que le requérant n’est pas admissible au Supplément de revenu garanti parce qu’il n’a pas résidé au Canada pendant la période contestéeNote de bas de page 35.

[56] La réponse à cette question dépend donc de la capacité du requérant à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il résidait au Canada pendant la période en litige.

De nombreux facteurs sont examinés lors de l’évaluation de la résidence d’une personne

[57] Une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du paysNote de bas de page 36.

[58] La résidence d’une personne est une question largement factuelle qui exige un examen de toute la situation de la personneNote de bas de page 37 . Dans le cadre de cette analyse, on évalue les éléments suivants, établis par la Cour fédérale dans la décision DingNote de bas de page 38 :

  • les biens immobiliers et personnels (par exemple, une maison, des meubles, une automobile, une entreprise, un compte bancaire, une carte de crédit);
  • les liens sociaux au Canada (par exemple, des membres de la famille, la participation à des clubs sociaux, à des organisations religieuses et à des associations professionnelles);
  • les autres liens au Canada (par exemple, des services médicaux, des polices d’assurance, un permis de conduire, des contrats de location, un bail, une entente de prêt ou une hypothèque, des contrats, des factures de services publics, la participation aux services et programmes publics, un ou des régimes de pension et des paiements d’impôts);
  • les liens dans un autre pays;
  • le temps passé au Canada comparativement à celui passé dans d’autres pays;
  • le mode de vie (par exemple, la langue et la culture).

[59] L’importance accordée à chaque élément peut varier d’un cas à l’autreNote de bas de page 39.

Certains éléments viennent appuyer la résidence au Canada du requérant

[60] Je reconnais que le requérant a démontré qu’il avait certains liens avec le Canada pendant la période en litige.

[61] Les éléments de preuve présentés par le requérant à l’appui de sa cause se résument ainsi :

  • Le 1er mai 2015, le requérant a déclaré qu’il n’avait pas quitté le Canada pendant plus de six mois depuis 2008Note de bas de page 40.
  • Le requérant affirme que son épouse a acheté un immeuble à X en 2012, mais que l’enregistrement de l’immeuble a été retardé jusqu’en 2015 en raison de problèmes causés par une refonte foncière au QuébecNote de bas de page 41.
  • Le requérant dit qu’il a payé l’assurance et le téléphone, et qu’il a acheté un réfrigérateur pour cet immeuble, et ce, pendant la période en litigeNote de bas de page 42.
  • Le requérant affirme avoir utilisé l’adresse de cet immeuble sur des documents officiels et s’être rendu dans certains bureaux gouvernementaux au cours de la période concernéeNote de bas de page 43.

[62] De plus, le requérant a présenté plusieurs photos et courriels pour montrer qu’il a participé à la vie religieuse, communautaire et culturelle au Québec, ainsi qu’à la vie politique aux niveaux provincial, fédéral et internationalNote de bas de page 44. J’observe que la plupart de ces courriels ne touchent pas la période en litige et que les photos n’indiquent pas la date à laquelle elles ont été prises.

[63] Même si j’ai souligné certaines déclarations faites par le requérant ci-dessus, il convient de noter qu’il a souvent éludé les questions et que les éléments qu’il a présentés étaient parfois incohérents. Par conséquent, j’ai abordé ses déclarations avec une certaine prudence.

[64] Par exemple, le requérant a fait des affirmations différentes sur la date et le lieu de son mariage. D’abord, il a fourni au ministre une copie certifiée d’un certificat de mariage attestant qu’il s’est marié le 22 mars 2013 aux PhilippinesNote de bas de page 45. Cependant, lors de l’audience, il a déclaré que ce certificat était faux et qu’il s’est plutôt marié le 8 mars 2013 à Macao.

[65] Dans l’ensemble, je reconnais que le requérant avait des liens avec le Canada pendant la période en litige, notamment certains biens, liens sociaux, et contrats. Cependant, la requérant a présenté peu d’éléments convaincants me permettant d’évaluer la force de ces liens. Pendant combien de temps, par exemple, le requérant était-il dans sa maison au Canada? Sa famille était-elle proche ou éloignée?

D’autres éléments viennent jeter un doute sur la résidence au Canada du requérant

[66] Dans ses arguments, le ministre s’appuie largement sur des relevés de comptes bancaires pour démontrer que, pendant la période en litige, il y a peu de transactions au Canada, et un très grand nombre de transactions à l’étranger, soit en Thaïlande, au Mexique, ou à MacaoNote de bas de page 46.

[67] Le requérant a fait valoir que les transactions dans son compte de banque ne disaient rien sur ses déplacements, car sa femme utilisait sa carte bancaire pour subvenir à ses besoinsNote de bas de page 47. Puis, lors de l’audience devant moi, le requérant a soutenu que je ne pouvais pas m’appuyer sur les relevés de compte parce que le ministre les avait obtenus illégalement et sans son consentement.

[68] En passant, je note que cet argument peut également s’appliquer à d’autres éléments de preuve. Par exemple, comment puis-je conclure que le requérant était au Canada lorsque des appels téléphoniques ont été faits à partir de sa maison alors que je ne sais pas avec certitude qui a fait ces appelsNote de bas de page 48?

[69] Sur la question de savoir si le ministre avait obtenu les relevés de compte de façon légale, le ministre a reconnu que le requérant n’avait pas autorisé la divulgation de ces documents par la banque. Le ministre s’est plutôt appuyé sur les vastes pouvoirs d’enquêtes que la loi lui confèreNote de bas de page 49.

[70] Même si je ne tiens pas compte des relevés de compte obtenus par le ministre, d’autres éléments viennent jeter un certain doute quant à la résidence au Canada du requérant pendant la période en litige. J’en résume quelques-uns ici :

  • Le requérant n’a pas produit de déclarations de revenus auprès de l’Agence du revenu du Canada de 1980 à 2016Note de bas de page 50.
  • Le requérant s’est marié en mars 2013, mais sa femme n’est pas entrée au Canada de façon permanente avant mai 2015. Pendant qu’elle attendait un visa canadien, la femme du requérant a vécu au Mexique, où le couple a passé de longues périodes, où les deux ont été victimes d’une agression et où le requérant a reçu des soins médicaux pour divers problèmesNote de bas de page 51.
  • De septembre 2008 à mai 2014, le requérant a utilisé une adresse de Postes Canada au lieu d’une adresse résidentielle pour recevoir le courrier de Service CanadaNote de bas de page 52.
  • Selon un jugement de la Cour supérieure du Québec, le requérant ne s’est pas présenté à la Cour le 5 avril 2013, car il s’était absenté du Canada pendant l’hiver et son séjour a été prolongé en raison de difficultés consulairesNote de bas de page 53. De plus, un permis mexicain faisait partie de la défense du requérant contre cette accusationNote de bas de page 54.

J’accorde beaucoup d’importance au facteur du temps passé au Canada comparativement à celui passé dans d’autres pays

[71] Il ressort des éléments ci-dessus que le requérant avait des liens avec le Canada et avec d’autres pays. Par exemple, il avait des biens et des liens sociaux au Canada, mais sa femme vivait à l’étranger.

[72] Dans cette situation – et compte tenu de l’absence de preuves probantes relatives aux facteurs dans l’affaire Ding – j’accorde beaucoup d’importance au facteur du temps passé au Canada comparativement à celui passé dans d’autres pays. Les tribunaux ont également reconnu l’importance de ce facteur dans d’autres affairesNote de bas de page 55.

[73] D’abord, il convient de souligner qu’une personne peut quitter le Canada de temps en temps sans interrompre sa résidence au Canada et sans perdre son droit au Supplément de revenu garantiNote de bas de page 56.

[74] En revanche, le fait qu’une personne se trouve de temps à autre sur le sol canadien ne suffit pas à établir la résidence au Canada. Lorsqu’une personne a des liens avec plusieurs pays et passe régulièrement plus de temps à l’extérieur du pays qu’à l’intérieur, il est d’autant plus difficile de montrer que ses absences sont temporaires ou que cette personne « vit ordinairement » au Canada.

[75] Je reconnais que le requérant était au Canada pendant certains moments au cours de la période en litige. Par exemple, il a comparu devant la Cour supérieure du Québec en juin 2013 et il a effectué un paiement envers Citoyenneté et Immigration Canada en avril 2014Note de bas de page 57. Cependant, son refus de collaborer avec l’enquêteur et de témoigner lors de l’audience signifie que le requérant n’a présenté presque pas d’informations fiables au sujet de ses déplacements pendant la période concernée.

[76] Le requérant a eu de nombreuses occasions de fournir des preuves supplémentaires pour étayer son dossier. Il a insisté pour obtenir une audience en personne dans la ville où il vit afin de pouvoir ajouter à la preuve déjà au dossier. Mais le moment venu, il a refusé de témoigner et n’a pas fait entendre des témoins non plus.

[77] En bref, il est impossible de relier quelques éléments de preuve isolés en une histoire cohérente établissant où le requérant vivait ordinairement pendant la période en litige.

[78] Par conséquent, le requérant ne s’est pas acquitté de la charge qui lui incombait : il ne m’a pas convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il résidait au Canada du 6 décembre 2012 au 1er mars 2015.

Le Tribunal ne peut pas réécrire ou contourner la loi

[79] Au cours de cette procédure, le requérant a plaidé pour la compassion. Il a évoqué de nombreuses situations difficiles auxquelles il a fait face depuis plusieurs années.

[80] J’éprouve de la sympathie pour le requérant. Je comprends que la somme qui lui est demandée sera difficile à rembourser et qu’elle pourrait même nuire à son état de santé.

[81] Cependant, en arrivant à ma décision, je ne peux pas tenir compte de facteurs comme la sympathie, la souffrance et les besoins financiers. Je suis plutôt tenu d’interpréter et d’appliquer les dispositions telles qu’elles sont énoncées dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Je ne peux pas invoquer des principes d’équité ni considérer les circonstances atténuantes pour réécrire ou contourner la loi ou pour accorder des prestations de Supplément de revenu garanti.

[82] Dans cette situation difficile, le requérant pourrait demander au ministre de faire remise de la dette (de l’annuler), en tout ou en partie, ou d’établir un plan de remboursement raisonnableNote de bas de page 58.

Conclusion

[83] Je rejette alors l’appel du requérant.

[84] Il appartient au ministre de calculer la somme que le requérant doit rembourserNote de bas de page 59. Le requérant se plaint que le ministre a déjà retenu des sommes de sa pension de la Sécurité de la vieillesse, et ce, de façon illégale et sans autorisation. Malheureusement, je n’ai pas compétence sur cette question ni sur ses plaintes concernant les services rendus par Service CanadaNote de bas de page 60.

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