Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Résumé :

C.T. a demandé l’Allocation, une prestation offerte aux termes de la Loi sur la sécurité de la vieillesse à l’époux ou au conjoint de fait d’une personne qui reçoit le Supplément de revenu garanti. Le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre) a approuvé la demande de C.T. en fonction de son mariage avec la partie mise en cause, E.M., et lui a versé l’Allocation à partir d’août 2015.

À la suite d’une enquête, le ministre a conclu que C.T. et E.M. s’étaient séparés en 2013 et que C.T. n’avait donc pas droit aux prestations qu’elle avait reçues. C.T. a fait appel de la décision du ministre auprès de la division générale, mais celle-ci a rejeté son appel. C.T. a ensuite fait appel de la décision de la division générale auprès de la division d’appel.

La question que la division d’appel devait trancher était de savoir quand C.T. et E.M. avaient commencé à vivre séparément.

L’article 19 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse prévoit qu’une personne âgée de 60 à 64 ans et mariée à un pensionné qui reçoit le Supplément de revenu garanti peut être admissible à l’Allocation si cette personne « ne vit pas séparément du pensionné » et remplit certains autres critères.

La division d’appel a interprété la notion de vivre séparément dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Elle a conclu que les conjoints peuvent être séparés même s’ils vivent sous le même toit. De plus, deux personnes peuvent faire vie commune même si elles vivent sous des toits différents et deux personnes vivant sous le même toit ne vivent pas nécessairement en union de fait. La division d’appel a soutenu que le critère juridique énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Hodge c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CSC 65 s’appliquait bien à cette situation : un couple marié vit séparément lorsque l’une ou l’autre des parties considère la relation comme étant terminée et que son comportement démontre de façon convaincante que sa décision est définitive. Toutefois, la division d’appel a soutenu que les couples mariés ne devraient pas être considérés comme séparés chaque fois qu’ils traversent un obstacle ou mêmes s’ils sont obligés de vivre à part pour des raisons professionnelles ou médicales.

La division d’appel a conclu que C.T. avait mis fin à sa vie commune avec E.M. le 20 janvier 2013. La division d’appel a accordé beaucoup d’importance au témoignage de C.T. qu’il n’y avait aucune possibilité de réconciliation après cette date. De plus, la division d’appel a conclu que les comportements du couple après cette date démontraient de façon convaincante que la décision était définitive. Au lieu de personnes mariées faisant vie commune, C.T. et E.M. était plutôt comme deux personnes ayant une histoire commune, obligée de vivre ensemble pour des raisons financières.

La division d’appel a rejeté l’appel et conclu que C.T. n’était pas admissible aux versements de l’Allocation qu’elle avait déjà reçus.

Contenu de la décision

Citation : CT c Ministre de l’Emploi et du Développement social et EM, 2024 TSS 1350

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : C. T.
Partie intimée :

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Représentante ou représentant : Érélégna Bernard
Partie mise en cause : E. M.
Représentante ou représentant : K. O.

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du
30 juin 2023 (GP-21-2195)

Membre du Tribunal : Jude Samson
Mode d’audience : En personne et vidéoconférence
Date de l’audience : Le 16 avril 2024 et le 26 août 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’intimé
Partie mise en cause
Représentante de la partie mise en cause
Date de la décision : Le 5 novembre 2024
Numéro de dossier : AD-23-893

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel. L’appelante, C. T., n’a pas droit aux versements de l’Allocation qu’elle a reçus depuis août 2015.

Aperçu

[2] C. T. a demandé l’Allocation, une prestation offerte aux termes de la Loi sur la sécurité de la vieillesse à l’époux ou au conjoint de fait d’une personne qui reçoit le Supplément de revenu garanti. Le ministre a approuvé la demande de C. T. en fonction de son mariage avec la partie mise en cause, E. M., et lui a versé l’Allocation à partir d’août 2015.

[3] À la suite d’une enquête, le ministre a conclu que C. T. et E. M. s’étaient séparés en 2013 et que C. T. n’avait donc pas droit aux prestations qu’elle avait reçues. C. T. a porté la décision du ministre en appel auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais celle-ci a rejeté son appel.

[4] C. T. a ensuite porté la décision de la division générale en appel auprès de la division d’appel, et je lui ai accordé la permission de faire appel. Par conséquent, j’ai jugé l’appel comme une nouvelle affaireNote de bas de page 1.

[5] La question qui s’impose dans le cadre de cet appel est de savoir quand C. T. et E. M. ont commencé à vivre séparément. La réponse à cette question permettra de voir si C. T. avait droit à l’Allocation et pendant quelle période.

[6] D’une part, C. T. et E. M. affirment que leur séparation a eu lieu en septembre 2017, lorsque C. T. a quitté la maison familiale pour s’installer dans un appartement. D’autre part, le ministre soutient que la séparation a eu lieu en 2013, à la suite d’un événement déclencheur qui a incité le couple à faire chambre à part.

[7] Même si j’ai beaucoup de sympathie pour C. T., je rejette son appel.

Observations préliminaires

[8] La décision du ministre au sujet de l’état matrimonial de C. T. et d’E. M. entraîne des conséquences importantes pour les deux. D’une part, la décision détermine l’admissibilité de C. T. aux prestations de l’Allocation qu’elle a reçues. D’autre part, elle a une incidence sur le montant du Supplément du revenu garanti touché par E.MNote de bas de page 2.

[9] Cependant, et de façon inhabituelle selon mon expérience, le ministre a pris sa décision concernant l’état matrimonial du couple dans le dossier de C. T., mais ne l’a pas appliquée au dossier d’E. M. Comme C. T. contestait la décision du ministre, il a décidé d’attendre qu’il y ait un résultat concluant dans le cas de C. T. avant de donner effet à la décision dans le dossier d’E. M.

[10] L’approche du ministre a entraîné de nombreuses difficultés, notamment parce qu’E. M. n’a pas été informé des différentes étapes de la procédure ni invité à y participer (sauf tout au début de l’enquête menée par le ministre et après que je me suis rendu compte de l’omission, même si c’était regrettablement tard dans la procédure)Note de bas de page 3.

[11] Plus particulièrement, E. M. n’a pas une idée précise de l’impact que la décision pourrait avoir sur lui. De plus, le Tribunal n’a pas un portrait complet du dossier. Par exemple, les arguments du ministre et le rapport de son enquêteuse se réfèrent à des documents qui ne figurent pas dans le dossier d’appelNote de bas de page 4. Malgré les invitations du Tribunal, le ministre a refusé de verser ces documents au dossier d’appel.

[12] J’invite le ministre à revoir son approche à l’avenir.

Question en litige

[13] Il n’y a qu’une question en litige : aux fins de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, à quel moment C. T. et E. M. ont-ils commencé à vivre séparément? La réponse à cette question permettra de savoir si C. T. était admissible à l’Allocation pendant la période contestée.

Analyse

[14] L’article 19 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse prévoit qu’une personne âgée de 60 à 64 ans et mariée à un pensionné qui reçoit le Supplément de revenu garanti peut être admissible à l’Allocation si cette personne « ne vit pas séparément du pensionné » et remplit certains autres critèresNote de bas de page 5.

[15] Dans cette situation, le ministre soutient que C. T. et E. M. vivaient séparément même s’ils étaient toujours mariés et vivaient toujours sous le même toit. Comment doit-on alors définir la notion de séparation (ou de vivre séparément) au sens de la Loi sur la sécurité de la vieillesse?

[16] Pour les raisons exposées ci-dessous, j’ai conclu que l’Allocation vise à apporter une aide financière aux conjoints qui font vie commune. J’estime alors qu’un couple vit séparément lorsque l’une des deux personnes considère la relation comme étant terminée et que son comportement démontre de façon convaincante que sa décision est définitive.

Une interprétation axée sur le texte, le contexte et l’objet de la loi

[17] Il y a certaines lignes directrices que je dois suivre lorsque j’interprète la notion de vivre séparément dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse. J’en résume quelques-unes ici :

  • Je dois examiner attentivement le texte, le contexte et l’objet de la loiNote de bas de page 6.
  • Je dois interpréter la loi de façon généreuse et de la façon la plus compatible avec son objetNote de bas de page 7.
  • Si les mots de la définition sont clairs, je dois accorder une grande importance au sens ordinaire de ces motsNote de bas de page 8.
  • Les versions anglaise et française de la loi ont la même validité. Si je trouve une définition un peu ambiguë dans une langue, mais claire et précise dans l’autre langue, je dois normalement adopter la version claire et préciseNote de bas de page 9.

L’objet de la loi : une aide limitée aux personnes âgées de 60 à 64 ans

[18] L’objet de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, notamment son objet altruiste, a été exposé comme suit par la Cour fédéraleNote de bas de page 10 :

Je dirais du régime de la SV [Sécurité de la vieillesse] qu’il a un objectif altruiste. Contrairement au Régime de pensions du Canada [L.R.C. (1985), ch. C-8], les prestations de la SV sont universelles et non contributives, et fondées exclusivement sur la résidence au Canada. Ce type de législation répond à un objectif social large et ouvert, que l’on pourrait même qualifier de caractéristique du paysage social au Canada. Il convient donc de l’interpréter de façon large, et il ne faudrait pas qu’une personne soit privée inconsidérément du droit aux prestations de la SV.

[19] L’historique de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et de l’Allocation au conjoint a déjà été exposé par les tribunauxNote de bas de page 11. Lors de son introduction, cette loi visait à réduire la pauvreté chez les personnes âgées de 70 ans et plus. Par la suite, le seuil a été abaissé aux personnes âgées de 65 ans et plus. Au fil du temps, le Parlement a élargi le nombre de bénéficiaires en versant des prestations à des groupes limités de personnes âgées de 60 à 64 ans.

[20] La Cour d’appel fédérale a décrit l’historique de l’Allocation au conjoint et a résumé les objectifs de la Loi sur la sécurité de la vieillesse dans les termes suivantsNote de bas de page 12 :

[14] L’allocation au conjoint a été ajoutée à la Loi sur la sécurité de la vieillesse [art. 17.1 à 17.8] et a commencé à s’appliquer le 1er octobre 1975 (S.C. 1974-75-76, ch. 58, art. 5). Sous réserve d’une justification fondée sur le revenu et de certaines exigences relatives à la résidence au Canada, cette allocation était payable à toute personne ayant entre 60 ans inclusivement et 65 ans exclusivement qui était conjointe d’un pensionné avec lequel elle vivait. Les membres des couples faisant vie commune étaient considérés des conjoints, aux fins de la disposition en cause, s’ils se présentaient publiquement comme mari et femme pendant un an dans le cas où aucun n’avait un conjoint au sens de la loi ou pendant trois ans si l’un d’eux avait un conjoint au sens de la loi.

[15] L’allocation au conjoint visait à atténuer les difficultés financières dont souffraient les couples où un seul conjoint travaillait. Si le conjoint qui ne travaillait pas n’était pas âgé de 65 ans, le couple était forcé de subvenir à ses besoins à partir d’une seule pension de sécurité de la vieillesse et d’un seul supplément de revenu garanti lorsque le conjoint qui travaillait prenait sa retraite à 65 ans. Le barème de l’allocation au conjoint a été fixé de manière à ce qu’un couple formé d’un pensionné et d’un non-pensionné reçoive ensemble le même montant que si ses membres étaient tous deux pensionnés.

[…]

[22] En résumé, l’objectif initial de la Loi sur la sécurité de la vieillesse consistait à réduire la pauvreté parmi les retraités (au début, les personnes âgées de plus de 70 ans et, plus tard, les personnes âgées de plus de 65 ans). En 1975, le législateur a étendu les prestations prévues par la Loi sur la sécurité de la vieillesse aux personnes à faible revenu ayant plus de 60 ans et moins de 65 ans qui étaient conjointes de pensionnés, mais il ne l’a pas fait pour les personnes se trouvant dans ce groupe d’âge qui étaient séparées, divorcées ou veuves ou qui n’avaient jamais eu de conjoint. En 1985, les veufs et veuves ont été ajoutés au nombre de personnes ayant entre 60 et 65 ans qui étaient admissibles à une allocation justifiée en fonction du revenu.

[21] Comme la Cour fédérale l’a souligné, la Loi sur la sécurité de la vieillesse ne constitue pas un programme général d’aide financière pour tous les Canadiennes et Canadiens âgés de 60 à 64 ans qui sont dans le besoin.

[22] L’Allocation est une prestation très ciblée : elle vise à aider les conjoints à faible revenu faisant vie commune, dont seulement l’un d’eux a atteint l’âge de 65 ans tandis que l’autre a atteint l’âge de 60 ansNote de bas de page 13. La Cour d’appel fédérale a établi un parallèle important entre les personnes qui vivent séparément et celles qui ont subi un échec de la vie communeNote de bas de page 14.

[23] De plus, la loi n’apporte que peu d’aide aux personnes pouvant connaître des difficultés financières à la suite de la rupture de leur mariage. Depuis le 1er juillet 1999, une personne qui touche l’Allocation peut continuer à la recevoir pour une période de trois mois après la séparation ou le divorceNote de bas de page 15.

Le texte et le contexte de la loi : une définition souple

[24] L’article 19 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse se lit de la façon suivante :

Allocations Payment of allowance
19 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, il peut être versé une allocation pour un mois d’une période de paiement à l’époux ou conjoint de fait ou à l’ancien conjoint de fait d’un pensionné qui réunit les conditions suivantes : 19(1) Subject to this Act and the regulations, an allowance may be paid to the spouse, common-law partner or former common-law partner of a pensioner for a month in a payment period if the spouse, common-law partner or former common-law partner, as the case may be,
a) dans le cas d’un époux, il ne vit pas séparément du pensionné, sauf si la séparation a eu lieu après le 30 juin 1999 et ne remonte pas à plus de trois mois avant le mois visé; (a) in the case of a spouse, is not separated from the pensioner, or has separated from the pensioner where the separation commenced after June 30, 1999 and not more than three months before the month in the payment period;
[Emphasis added]

[25] Avant le 30 novembre 2000, les circonstances en vertu desquelles un conjoint était réputé séparé au sens de la Loi sur la sécurité de la vieillesse étaient exposées dans le Règlement sur la sécurité de la vieillesse. Une de ces circonstances était la suivante :

17 c) le conjoint et le pensionné sont séparés et vivent séparément en raison de l’échec du mariage

17(c) the spouse and the pensioner are living separate and apart as a result of marriage breakdown

[26] La Cour fédérale a interprété cette ancienne disposition en considérant qu’elle mettait l’accent sur la question de savoir si le couple vivait sous le même toitNote de bas de page 16.

[27] Cependant, la loi a été modifiée de façon importante par la suite. En supprimant la définition détaillée qui existait avant novembre 2000, le Parlement s’est éloigné des critères rigides et s’est orienté vers une définition plus souple, capable de prendre en compte la complexité des relations contemporaines.

La version française de la définition comporte une certaine ambiguïté, alors que la version anglaise est claire et précise

[28] À ce sujet, j’observe que la version française actuelle de la loi comporte une certaine ambiguïté, car le Parlement a retenu la notion de vivre séparément.

[29] Cependant, la version anglaise supprime toute ambiguïté dans la définition. Pour bien interpréter la définition de « ne vit pas séparément du pensionné », il faut trouver le sens commun entre les versions anglaise et française de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Si la définition française peut être interprétée de différentes façons, alors que la version anglaise est claire et précise, le sens commun sera donc dans la version anglaiseNote de bas de page 17.

[30] Dans la version anglaise de la loi, le Parlement a choisi le terme « separated ». Il a évité des termes comme « divorced » et « living separate and apart ». Par conséquent, j’en déduis que les conjoints peuvent être séparés même s’ils vivent sous le même toitNote de bas de page 18. Dans le même ordre d’idées, deux personnes peuvent faire vie commune même si elles vivent sous des toits différents et deux personnes vivant sous le même toit ne vivent pas nécessairement en union de faitNote de bas de page 19.

[31] Pour ce qui est du contexte, je note également que la loi fait référence à un « ancien conjoint de fait », mais pas à un ancien époux, ce qui impliquerait la notion de divorce.

[32] De même, la loi ne traite nulle part une personne différemment parce qu’elle a un colocataire ou qu’elle vit sous le même toit qu’une autre personne. Au contraire, la loi traite différemment les personnes qui sont mariées ou qui vivent ensemble dans une relation semblable au mariage.

Le critère juridique pour établir l’échec de la vie commune a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Hodge

[33] La prochaine question qui s’impose est donc celle de savoir quand des personnes mariées peuvent être considérées comme vivant séparément.

[34] Bien que le contexte soit quelque peu différent, le critère juridique énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Hodge s’applique bien à cette situation : un couple marié vit séparément lorsque l’une ou l’autre des parties considère la relation comme étant terminée et que son comportement démontre de façon convaincante que sa décision est définitiveNote de bas de page 20.

[35] En effet, il existe une forte analogie entre les conjoints qui mettent fin à leur union de fait et les couples mariés qui vivent séparément.

[36] Le critère juridique qui ressort de l’affaire Hodge est bien adapté aux complexités des mariages contemporains. J’estime, par exemple, que les couples mariés ne devraient pas être considérés comme séparés chaque fois qu’ils traversent un obstacle, ou même s’ils sont obligés de vivre à part pour des raisons professionnelles ou médicales.

[37] Dans le cadre de ma réflexion, je me suis demandé — compte tenu de l’objet altruiste de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — si un couple pouvait être considéré comme séparé si l’une des deux personnes restait à la charge de l’autre sur le plan financier. Cependant, j’ai conclu que la notion de vivre séparément ne pouvait pas reposer uniquement sur la dépendance financière. En effet, il arrive souvent que des ex‑conjoints se soutiennent financièrement pendant de nombreuses années, même après leur séparation ou leur divorce.

C. T. et E. M. vivent séparément depuis janvier 2013

Un élément déclencheur est survenu le 20 janvier 2013

[38] C. T. et E. M. ont eu un long mariage. C. T. a témoigné du fait que, comme dans la plupart des mariages, ils ont vécu des moments difficiles. Cependant, ils ont toujours fini par se réconcilier.

[39] Leur mariage a continué de cette façon jusqu’au 20 janvier 2013.

[40] C. T. et E. M. ne s’entendent pas sur ce qui s’est passé cette nuit-là. Cependant, il est évident que cet événement a provoqué une forte réaction chez C. T. Selon elle, il s’agissait de la goutte qui a fait déborder le vase.

[41] À la suite de cet événement, C. T. et E. M. ont fait chambre à part : elle était à l’étage alors qu’il était au sous-sol. La chicane s’est installée au point où, vers le mois d’avril 2013, E. M. a déménagé chez sa sœur. Au bout de cinq mois environ, il est retourné à la maison familiale. C. T. et E. M. ont réussi à trouver un moyen de vivre sous le même toit étant donné que la maison appartenait à E. M. et que C. T. n’avait pas les moyens financiers de déménager.

[42] Malgré des changements importants dans leur relation, C. T. et E. M. maintiennent qu’ils n’ont commencé à vivre séparément qu’à partir du moment où C. T. a quitté la maison familiale, soit le 1er septembre 2017.

[43] À l’appui de leurs arguments, C. T. souligne que cette date est inscrite dans la déclaration sous serment déposée à l’appui de sa procédure de divorceNote de bas de page 21. De plus, les deux s’appuient sur les éléments suivants :

  • E. M. a continué à payer les factures du ménage et à soutenir C. T. sur le plan financier.
  • Ils ont collaboré pour effectuer des travaux dans la maison familiale.
  • Ils ont partagé certaines responsabilités domestiques, comme le fait que C. T. a continué à faire la lessive pour E. M.
  • Ils ont continué à assister aux mêmes événements familiaux, comme les mariages et les anniversaires.

[44] C. T. et E. M. ont reconnu que leur relation avait changé après janvier 2013, mais ont affirmé qu’elle était restée profonde et importante, surtout en raison de la famille qu’ils ont créée ensemble. Après ce mois, C. T. a déclaré qu’ils ont eu une relation non traditionnelleNote de bas de page 22.

[45] Il convient de souligner qu’il était souvent difficile de concilier le témoignage de C. T. avec sa position selon laquelle elle ne vivait pas séparément d’E. M. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a dépeint E. M. sous un jour très défavorable. Ainsi, lorsque j’ai essayé de poser des questions sur la façon dont les deux avaient maintenu leur ancienne relation, elle s’est énervée et a brusquement quitté l’audience. De plus, elle ne s’est pas présentée à la deuxième partie de l’audience.

C. T. a mis fin à la vie commune du couple et a démontré que sa décision était définitive

[46] C. T. a soutenu qu’elle ne s’était pas séparée d’E. M., mais son témoignage va dans le sens contraire. Elle a témoigné que l’événement du 20 janvier 2013 était traumatisant au point où elle a immédiatement et définitivement coupé tout lien émotionnel avec E. M. J’en déduis qu’elle aurait déménagé le lendemain si ses finances le lui avaient permis.

[47] C. T. a déclaré qu’il n’y avait aucune possibilité de réconciliation avec E. M. après l’événement du 20 janvier 2013. Cela correspond aux témoignages d’E. M. et de leur fille. En effet, les deux ont proposé à C. T. que le couple puisse bénéficier d’une thérapie conjugale. Mais C. T. a refusé catégoriquement.

[48] Même si C. T. et E. M. ont mis l’accent sur les aspects de leur relation qu’ils ont maintenus après janvier 2013, les changements ne peuvent pas être minimisés. Par exemple :

  • C. T. a chassé E. M. du lit conjugal et a mis fin à leur vie intime.
  • Bien qu’ils aient continué à assister ensemble à des événements familiaux, E. M. a déclaré que chacun conduisait sa propre voiture.
  • Ils ont cessé de prendre des vacances ensemble.

[49] Les comportements de C. T. et d’E. M. renforcent ma conclusion selon laquelle C. T. a mis fin à leur vie commune. À ce sujet, je souligne surtout les éléments suivants :

  • E. M. a changé son adresse et numéro de téléphone auprès du Régime de pensions du Canada et de la Sécurité de la vieillesse en date du 3 avril 2013Note de bas de page 23.
  • E. M. a ouvert un nouveau compte de banque le 1er avril 2013 (C. T. n’est pas nommée sur le compte)Note de bas de page 24.
  • E. M. a changé son état matrimonial auprès de l’Agence du revenu du Canada en date du 8 février 2014 et a déclaré au cours des années suivantes qu’il était séparéNote de bas de page 25.
  • C. T. a changé son état matrimonial auprès de l’Agence du revenu du Canada en date du 1er septembre 2015 et a déclaré au cours des années suivantes qu’elle était séparéeNote de bas de page 26.
  • E. M. a entamé une relation avec une autre femme.

[50] Bien que C. T. et E. M. nient avoir connaissance de leurs déclarations de revenus, ils restent responsables de leur contenu. Puis, les deux ont déclaré être séparés pendant plusieurs années de suite.

[51] C. T. et E. M. ont tous deux témoigné que peu de gens étaient au courant de leurs problèmes conjugaux avant que C. T. déménage en septembre 2017. Toutefois, cette affirmation est contredite par la personne qui s’occupe de leurs déclarations de revenus et par la publication en mai 2014 de la nécrologie de la mère d’E. M. Ce dernier mentionne une amie de cœur et le fait que C. T. est la mère de ses enfantsNote de bas de page 27.

[52] En résumé, j’estime que C. T. a mis fin à sa vie commune avec E. M. le 20 janvier 2013. Dans cette situation, j’ai accordé beaucoup d’importance au témoignage de C. T. voulant qu’il n’y avait aucune possibilité de réconciliation après cette date. De plus, les comportements du couple après cette date démontrent de façon convaincante que la décision était définitive. Au lieu de personnes mariées faisant vie commune, C. T. et E. M. étaient plutôt comme deux personnes ayant une histoire commune, obligées de vivre ensemble pour des raisons financières.

Le Tribunal ne peut pas réécrire ou contourner la loi

[53] Au cours de l’audience, C. T. a plaidé pour la compassion. Elle a évoqué de nombreuses situations immensément difficiles auxquelles elle a fait face tout au long de sa vie.

[54] J’éprouve beaucoup de sympathie pour C. T. Je comprends que la somme qui lui est demandée sera très difficile à rembourser et qu’elle pourrait même nuire à son état de santé.

[55] Cependant, en arrivant à ma décision, je ne peux pas tenir compte de facteurs comme la sympathie, la souffrance et les besoins financiers. Je suis plutôt tenu d’interpréter et d’appliquer les dispositions telles qu’elles sont énoncées dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Je ne peux pas invoquer des principes d’équité ni considérer les circonstances atténuantes pour réécrire ou contourner la loi ou pour accorder des prestations de l’Allocation.

[56] Dans cette situation difficile, C. T. pourrait demander au ministre de radier la dette, en tout ou en partie, ou d’établir un plan de remboursement raisonnable.

Conclusion

[57] Je rejette l’appel de C. T. J’estime qu’elle vit séparément d’E. M. depuis le 20 janvier 2013. Par conséquent, C. T. n’est pas admissible aux versements de l’Allocation qu’elle a déjà reçus. Il s’ensuit que, pour les années où E. M. est admissible au Supplément de revenu garanti, celui-ci doit lui être versé au taux réservé aux personnes vivant seules.

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