Contenu de la décision
[TRADUCTION]
Citation : LS c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 277
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu
Décision
Partie appelante : | L. S. |
Représentante ou représentant : | G. K. |
Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Décision portée en appel : | Décision de révision datée du 14 mai 2024 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Antoinette Cardillo |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 20 février 2025 |
Personnes présentes à l’audience : | Appelant Représentante de l’appelant Témoin (nièce de l’appelant) |
Date de la décision : | Le 21 mars 2025 |
Numéro de dossier : | GP-24-1076 |
Sur cette page
- Décision
- Aperçu
- Ce que l’appelant doit prouver
- Motifs de ma décision
- Début du versement de la pension
- Conclusion
Décision
[1] L’appel est accueilli.
[2] L’appelant, L. S., a droit à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse de 10/40 du montant d’une pleine pension. Les versements commencent en novembre 2024.
[3] Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.
Aperçu
[4] L’appelant est né en Inde le 5 février 1953. Il a eu 65 ans en février 2018.
[5] L’appelant a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse le 11 mai 2022Note de bas de page 1. Il a dit qu’il voulait que sa pension soit versée dès qu’il y avait droit.
[6] L’appelant est arrivé au Canada pour la première fois le 13 mars 2012. Depuis son arrivée, il a dit avoir passé du temps en Inde du 5 juin 2012 au 28 mai 2013 et du 5 décembre 2020 au 25 avril 2022.
[7] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande de l’appelantNote de bas de page 2. Selon le ministre, certaines périodes que l’appelant a déclarées comme étant des périodes de résidence au Canada étaient des périodes de présence et non de résidence. Comme l’appelant n’avait pas résidé au Canada pendant au moins 10 ans après l’âge de 18 ans lorsqu’il a présenté sa demande, il n’a pas résidé au Canada assez longtemps pour avoir droit à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse.
[8] L’appelant a fait appel de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.
Ce que l’appelant doit prouver
[9] Pour recevoir une pleine pension de la Sécurité de la vieillesse, l’appelant doit prouver qu’il a résidé au Canada pendant au moins 40 ans après avoir atteint l’âge de 18 ansNote de bas de page 3. Cette règle comporte quelques exceptions. Cependant, les exceptions ne s’appliquent pas à l’appelantNote de bas de page 4.
[10] Si l’appelant n’a pas droit à une pleine pension de la Sécurité de la vieillesse, il pourrait avoir droit à une pension partielle. La pension partielle dépend du nombre d’années (sur 40) pendant lesquelles une personne a résidé au Canada après avoir eu 18 ans. Par exemple, une personne ayant 12 ans de résidence reçoit une pension partielle de 12/40 du montant d’une pleine pension.
[11] Pour recevoir une pension partielle, l’appelant doit prouver qu’il a résidé au Canada pendant au moins 10 ans après avoir eu 18 ans. Par contre, si l’appelant ne résidait pas au Canada la veille du jour où sa demande a été approuvée, il doit prouver qu’il a résidé au Canada pendant au moins 20 ansNote de bas de page 5.
[12] L’appelant doit prouver qu’il a résidé au Canada. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. En d’autres mots, il doit me convaincre qu’il est plus probable qu’improbable qu’il a résidé au Canada pendant les périodes pertinentesNote de bas de page 6.
Motifs de ma décision
[13] Je conclus que l’appelant a droit à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse de 10/40 parce qu’il a résidé au Canada pendant au moins 10 ans après avoir eu 18 ans.
[14] J’ai examiné l’admissibilité de l’appelant du 13 mars 2012 à la date de l’audience, inclusivement.
[15] J’ai choisi la première date parce que c’est la date à laquelle l’appelant est entré au Canada pour la première fois.
[16] J’ai choisi la deuxième date parce que je peux déterminer la résidence de l’appelant jusqu’à la date de l’audience (le 20 février 2025) inclusivement.
[17] Voici les motifs de ma décision.
Le critère juridique lié à la résidence
[18] Selon la loi, une personne peut avoir été présente au Canada sans avoir résidé au Canada. Les termes « résidence » et « présence » ont chacun leur propre définition. Je dois tenir compte de ces définitions pour rendre ma décision.
[19] Une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du CanadaNote de bas de page 7.
[20] Une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du CanadaNote de bas de page 8.
[21] Pour décider si l’appelant résidait au Canada, je dois examiner l’ensemble de la situation. Je dois aussi examiner des facteurs commeNote de bas de page 9 :
- où il avait des biens, comme des meubles, un compte bancaire et des intérêts commerciaux;
- où il avait des liens sociaux, comme des amis, des parents, l’appartenance à un groupe religieux et l’adhésion à un club ou à une organisation professionnelle;
- où il avait d’autres liens, comme une assurance-maladie, un bail, une hypothèque ou un prêt;
- où il a produit des déclarations de revenus;
- les liens qu’il avait dans un autre pays;
- la durée de ses séjours au Canada;
- la fréquence et la durée de ses séjours à l’extérieur du Canada, et où il allait;
- son mode de vie au Canada;
- ses intentions.
[22] Cette liste n’est pas complète. D’autres facteurs peuvent être importants. Je dois examiner la situation de l’appelant dans son ensembleNote de bas de page 10.
Quand l’appelant résidait au Canada
[23] L’appelant a résidé au Canada durant les périodes suivantes :
- du 28 mai 2013 au 6 décembre 2020;
- du 26 avril 2022 à la date de l’audience (le 20 février 2025).
[24] L’appelant n’a pas résidé au Canada durant les périodes suivantes :
- du 13 mars 2012 au 27 mai 2013;
- du 5 décembre 2020 au 25 avril 2022.
[25] Je vais maintenant aborder chaque période, en commençant par la première. Pour chaque période, je vais expliquer pourquoi j’ai décidé que l’appelant résidait ou ne résidait pas au Canada.
L’appelant n’a pas résidé au Canada de mars 2012 à mai 2013
[26] L’appelant est arrivé au Canada pour la première fois le 13 mars 2012.
[27] Dans un questionnaire daté du 25 octobre 2022, l’appelant a déclaré ce qui suit :
- Il a décidé de vivre de façon permanente au Canada à compter du 13 mars 2012.
- Il a quitté le Canada le 5 juin 2012 pour rendre visite à sa famille en Inde, mais il a dû subir une chirurgie du dos. Il est donc resté en Inde et est revenu au Canada le 29 mai 2013Note de bas de page 11.
[28] Dans un questionnaire daté du 12 avril 2023, l’appelant a déclaré ce qui suit :
- Il a obtenu un service de téléphonie cellulaire quelques semaines après son arrivée au Canada.
- Son numéro de téléphone cellulaire en Inde a été annulé dans les trois mois suivant son départ et il n’était inscrit à aucun autre service public en Inde.
- Il a déménagé au Canada en mars 2012.
- Il a vécu avec des membres de sa famille en Inde de juin 2012 à mai 2013Note de bas de page 12.
[29] Après son arrivée au Canada le 13 mars 2012, l’appelant est resté au Canada pendant environ 10 semaines. Il est ensuite parti pour l’Inde le 5 juin 2012 et n’est pas revenu au Canada avant le 29 mai 2013, soit près d’un an plus tard.
[30] À l’audience, la nièce de l’appelant a déclaré qu’il avait des problèmes de dos, mais qu’il avait décidé de déménager au Canada en 2012 même s’il devait revenir en Inde pour subir une opération chirurgicale. Il est également retourné rendre visite à sa famille puisque son père âgé et son frère étaient encore en Inde. Ses enfants vivaient au Canada.
[31] D’après la preuve, je ne peux pas conclure que l’appelant a résidé au Canada en mars 2012. L’appelant est arrivé au Canada le 13 mars 2012. Il est resté au Canada pendant moins de 10 semaines avant de partir pendant près d’un an. Il a dit qu’il était venu avec l’intention de vivre au Canada de façon permanente et qu’il était venu avec ses effets personnels, mais qu’à son arrivée, il planifiait de retourner en Inde pour subir une opération chirurgicale. Il n’a pas établi un mode de vie au Canada avant de partir pour l’Inde en juin 2012. Il avait toujours des liens avec l’Inde et y est revenu pendant près d’un an. Par conséquent, la période de mars 2012 à mai 2013 n’est pas une période de résidence.
L’appelant a résidé au Canada de mai 2013 à décembre 2020
[32] L’appelant a résidé au Canada du 28 mai 2013 au 6 décembre 2020.
[33] Cette période n’est pas contestée.
L’appelant n’a pas résidé au Canada de décembre 2020 à avril 2022
[34] L’appelant n’a pas résidé au Canada du 5 décembre 2020 au 25 avril 2022.
[35] Dans un questionnaire daté du 25 octobre 2022, l’appelant indique avoir quitté le Canada le 5 décembre 2020. En raison de la COVID-19, il a dû rester en Inde jusqu’au 25 avril 2022Note de bas de page 13.
[36] Dans un autre questionnaire daté du 25 novembre 2022, l’appelant a déclaré ce qui suit :
- Il a quitté le Canada pour l’Inde le 5 décembre 2020, car son frère aîné était malade et il lui a demandé de le visiter.
- Pendant qu’il était en Inde, il est resté à la résidence de son frère.
- Il a produit sa déclaration de revenus canadienne pour 2021.
- Au moment de son départ, il devait revenir le 5 mars 2021.
- Son vol de retour du 5 mars 2021 a été annulé par la compagnie aérienne et il a tenté de faire une nouvelle réservation, mais cela n’a pas été possible en raison de la COVID-19.
- Il n’a pas pu obtenir un vol direct pour revenir au Canada avant le 25 avril 2022Note de bas de page 14.
[37] À l’audience, la nièce de l’appelant a déclaré qu’il ne pouvait pas revenir au Canada en raison de la COVID-19. Il ne voulait pas voyager seul et il voulait prendre un vol direct pour des raisons de santé. Par conséquent, il a dû attendre qu’une personne l’accompagne à son retour au Canada sur un vol direct.
[38] L’appelant a également fourni un courriel d’Air Canada du 11 novembre 2021, selon lequel la compagnie traitait un remboursement pour son vol émis pendant leur période de bonne volonté liée à la COVID-19Note de bas de page 15. Le courriel était intitulé [traduction] « Demande de remboursement au mode de paiement initial ».
[39] Dans une lettre sans date, la belle-fille de l’appelant a écrit que le manque de vols causé par la COVID-19 a empêché l’appelant de réserver un vol de retour au CanadaNote de bas de page 16. Les vols offerts avaient plus d’une escale dans différents pays, ce qui n’était pas une option que l’appelant pouvait envisager en raison de son état de santé et de son âge. Son médecin lui a suggéré de ne pas faire escale dans d’autres pays. Comme la COVID-19 était à son apogée à ce moment-là, l’appelant était extrêmement nerveux à l’idée de contracter le virus pendant un voyage. Sa belle-fille a déclaré qu’il n’a pas reçu d’éducation formelle et que ce n’était pas facile pour lui de voyager à travers plusieurs pays parce qu’il ne savait ni lire ni écrire. L’indisponibilité des vols directs, sa peur de contracter la COVID-19 et son état de santé à ce moment-là l’ont amené à passer plus de temps en Inde, ce qui était la raison de son retard à revenir au Canada.
[40] Bien qu’il ait déclaré que son vol a été annulé par la compagnie aérienne en mars 2021 en raison de la COVID-19 et qu’il ne pouvait pas faire une nouvelle réservation avant avril 2022, l’appelant n’a pas fourni de preuve de l’annulation du vol ou de l’impossibilité de faire une nouvelle réservation plus tôt.
[41] Le courriel de la compagnie aérienne est intitulé « Demande de remboursement au mode de paiement initial », donc il n’est pas clair si la compagnie aérienne a annulé le vol ou si l’appelant l’a annulé et a demandé un remboursement. Même si le vol de retour au Canada a été annulé par la compagnie aérienne en mars 2021, il n’y a toujours aucune preuve que l’appelant n’a pas été en mesure de faire une nouvelle réservation plus tôt qu’en avril 2022, soit un an plus tard que la date de son retour initial. En fait, la preuve démontre que l’appelant a attendu de trouver un vol direct et une personne pour l’accompagner pour des raisons de santé. Rien ne prouve qu’il n’a pas été en mesure de faire une nouvelle réservation plus tôt; il a plutôt choisi d’attendre de trouver un vol direct et une personne pour revenir avec lui. Même si je suis sensible à la situation de l’appelant et à ses problèmes de santé, je ne peux pas considérer que la période pendant laquelle il a séjourné en Inde de décembre 2020 à avril 2022 est une période de résidence au Canada.
Les règles relatives à la résidence réputée ou à la présence réputée ne s’appliquent pas à cette période
[42] Selon la loi, la résidence ou la présence d’une personne au Canada continue dans certaines circonstances, même si la personne est absente pendant une longue période. Cela ne s’applique pas à l’absence de l’appelant du 5 décembre 2020 au 25 avril 2022.
[43] La loi dit que l’absence d’une personne n’interrompt pas sa résidence ou sa présence au Canada siNote de bas de page 17 :
- la personne réside au Canada;
- son absence est temporaire;
- la personne n’a pas été absente plus d’un an.
[44] J’ai examiné si cette règle pour voir si elle s’appliquait à l’absence de l’appelant qui a duré du 5 décembre 2020 au 25 avril 2022. J’ai décidé que ce n’était pas le cas.
[45] L’appelant doit satisfaire aux trois exigences. Il ne répond pas à la troisième exigence parce que son absence du Canada a duré plus d’un an. Une absence de cette durée ne veut pas toujours dire qu’une personne a arrêté de résider au CanadaNote de bas de page 18. Cependant, cette règle ne s’applique pas à la période d’absence de l’appelant.
L’appelant a résidé au Canada d’avril 2022 à la date de l’audience
[46] L’appelant a résidé au Canada du 26 avril 2022 à la date de l’audience (le 20 février 2025).
[47] Après son retour au Canada en avril 2022, l’appelant a résidé avec sa fille. Parfois, il visite ses autres enfants au Canada et reste à leur domicile. Il revient en Inde tous les ans ou tous les deux ans, comme il l’a fait depuis son arrivée au Canada en 2012. Il rend visite à son frère. Il part habituellement en décembre et revient en mars. Il achète toujours un billet de retour. Tous ses biens sont au Canada et il n’a pas de propriété en Inde.
L’appelant avait droit à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse en octobre 2024
[48] Dans ses observations, le ministre a informé l’appelant qu’il pourrait être admissible à la pension s’il continuait à vivre au Canada jusqu’à la fin d’octobre 2024, pourvu qu’il ait présenté une nouvelle demande, qu’il n’ait pas eu d’absences du Canada depuis le 26 avril 2022 et que toutes les autres conditions soient remplies.
[49] Je ne suis pas d’accord avec le ministre. L’appelant n’a pas à présenter une nouvelle demande.
[50] La loi prévoit que le Tribunal peut rejeter un appel ou confirmer, infirmer ou modifier une décision du ministre ou rendre la décision que le ministre aurait dû rendreNote de bas de page 19. Rien dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou le Règlement sur la sécurité de la vieillesse n’indique qu’une demande de pension n’est plus valide en raison de la situation de l’appelant à un moment donné ou qu’une demande expire si elle n’est pas approuvée dans un certain délai. À tout moment jusqu’à la date d’une décision de révision, le ministre pouvait rendre une décision sur toute période de résidence pertinente. En appel, le Tribunal a la compétence de le faire jusqu’à la date de l’audience et pourrait fonder ses conclusions sur tout élément de preuve crédible.
[51] Après avoir examiné la preuve documentaire et le témoignage à l’audience, je conclus que l’appelant a résidé au Canada d’avril 2022 à la date de l’audience (le 20 février 2025). Il a donc résidé au Canada pendant 10 ans. Il n’a pas besoin de présenter une nouvelle demande.
[52] L’appelant avait droit à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse de 10/40 en octobre 2024. À partir de cette date, il avait résidé au Canada pendant 10 ans après avoir eu l’âge de 18 ans. (Il avait déjà 65 ans, était un résident du Canada et avait demandé la pensionNote de bas de page 20.)
[53] À partir d’octobre 2024, l’appelant avait résidé au Canada pendant 10 ans après avoir eu l’âge de 18 ans :
- du 28 mai 2013 au 6 décembre 2020;
- du 26 avril 2022 à la date de l’audience (le 20 février 2025);
[54] L’appelant a donc droit à une pension de 10/40 du montant d’une pleine pensionNote de bas de page 21.
Début du versement de la pension
[55] La pension de l’appelant débute en novembre 2024.
[56] Le versement de la pension de la Sécurité de la vieillesse commence le mois suivant l’approbation de la pensionNote de bas de page 22. La pension de l’appelant a été approuvée en octobre 2024Note de bas de page 23.
Conclusion
[57] L’appelant a droit à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse de 10/40 du montant d’une pleine pension.
[58] Par conséquent, l’appel est accueilli.