Contenu de la décision
[TRADUCTION]
Citation : LK c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 480
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu
Décision
Partie appelante : | L. K. |
Représentante ou représentant : | N. K. |
Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Décision portée en appel : | Décision de la révision datée du 25 juillet 2024 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | James Beaton |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 5 mai 2025 |
Personnes présentes à l’audience : | Appelante |
Représentante de l’appelante | |
Représentant de l’intimé | |
Interprète | |
Date de la décision : | Le 8 mai 2025 |
Numéro de dossier : | GP-24-1843 |
Sur cette page
- Décision
- Aperçu
- Ce que l’appelante doit prouver
- Motifs de ma décision
- Début du versement de la pension
- Conclusion
Décision
[1] L’appel est accueilli.
[2] L’appelante, L. K., a droit dès novembre 2022 à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse de 11/40 du montant d’une pleine pension. Si son revenu répond à certaines exigences, l’appelante pourra aussi, à pareille date, commencer à toucher le Supplément de revenu garanti.
[3] La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.
Aperçu
[4] L’appelante est née en Ukraine le 19 septembre 1950. Elle a visité le Canada pour la première fois en janvier 2005. Elle y a ensuite immigré comme résidente permanente avec sa fille le 19 décembre 2010. Elle a depuis passé du temps au Canada et en Ukraine.
[5] Le 23 novembre 2022, l’appelante a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti. Elle a dit vouloir que les prestations lui soient versées dès qu’elle remplissait les conditions requisesNote de bas de page 1.
[6] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. L’appelante a porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.
[7] Le ministre affirme que l’appelante n’était pas admissible aux prestations avant juillet 2024, car c’est seulement à partir de cette date qu’elle résidait depuis 10 ans au Canada (du 11 juillet 2014 au 10 juillet 2024). Le ministre affirme que l'appelante était seulement au Canada à titre de visiteuse avant le 11 juillet 2014.
[8] L’appelante affirme qu’elle réside au Canada depuis le 19 décembre 2010, date à laquelle elle y est arrivée comme résidente permanente. Elle reconnait avoir passé du temps en Ukraine entre cette date et le 11 juillet 2014. Elle dit avoir seulement quitté le Canada pour aller s’occuper de son père malade.
Ce que l’appelante doit prouver
[9] Pour être admissible au Supplément de revenu garanti, l’appelante doit d’abord prouver qu’elle est admissible à une pension de la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 2.
[10] Pour recevoir une pleine pension de la Sécurité de la vieillesse, l’appelante doit prouver qu’elle a résidé au Canada pendant au moins 40 ans après avoir atteint l’âge de 18 ansNote de bas de page 3. Cette règle comporte certaines exceptions. Cependant, les exceptions ne s’appliquent pas à l’appelanteNote de bas de page 4.
[11] À défaut d’avoir droit à une pleine pension, l’appelante pourrait avoir droit à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse. La pension partielle dépend du nombre d’années (sur 40) pendant lesquelles une personne a résidé au Canada après avoir eu 18 ans. Par exemple, une personne ayant 12 ans de résidence reçoit une pension partielle de 12/40 du montant d’une pleine pension.
[12] Pour recevoir une pension partielle, l’appelante doit prouver qu’elle a résidé au Canada pendant au moins 10 ans après avoir eu 18 ans. Par contre, si l’appelante ne résidait pas au Canada la veille du jour où sa demande a été approuvée, elle doit plutôt prouver qu’elle a résidé au Canada pendant au moins 20 ansNote de bas de page 5.
[13] L’appelante doit prouver qu’elle a résidé au Canada selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, elle doit me convaincre qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle résidait au Canada pendant les périodes pertinentesNote de bas de page 6.
Motifs de ma décision
[14] Je conclus que l’appelante est admissible à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse d’un taux de 11/40, car elle a résidé au Canada du 19 décembre 2010 au 23 novembre 2022 (11 ans et 340 jours). La première date est celle à laquelle elle est arrivée au Canada à titre de résidente permanente. La seconde est celle où elle a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse.
[15] Voici les motifs de ma décision.
Le critère juridique lié à la résidence
[16] Selon la loi, une personne peut avoir été présente au Canada sans avoir résidé au Canada. Les termes « résidence » et « présence » ont chacun leur propre définition. Je dois tenir compte de ces définitions pour rendre ma décision.
[17] Une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du CanadaNote de bas de page 7.
[18] Une personne est présente au Canada lorsqu’elle se trouve physiquement dans une région du CanadaNote de bas de page 8.
[19] Pour décider si l’appelante résidait au Canada, je dois examiner l’ensemble de la situation. Je dois aussi examiner des facteurs commeNote de bas de page 9 :
- où elle avait des biens, comme des meubles, un compte bancaire et des intérêts commerciaux;
- où elle avait des liens sociaux, comme des amis, des parents, l’appartenance à un groupe religieux et l’adhésion à un club ou une organisation professionnelle;
- où elle avait d’autres liens, comme une assurance-maladie, un bail de location, une hypothèque ou un prêt;
- où elle a produit des déclarations de revenus;
- les liens qu’elle avait dans un autre pays;
- la durée de ses séjours au Canada;
- la fréquence et la durée de ses séjours à l’extérieur du Canada, et où elle allait;
- son mode de vie au Canada;
- ses intentions.
[20] Cette liste n’est pas complète. D’autres facteurs peuvent être importants. Je dois examiner la situation de l’appelante dans son ensembleNote de bas de page 10.
Périodes de résidence de l’appelante au Canada
[21] L’appelante a résidé au Canada du 19 décembre 2010 au 23 novembre 2022. Comme moi, le ministre reconnait que l’appelante a résidé au Canada du 11 juillet 2014 au 23 novembre 2022. Ma décision vise donc particulièrement la période allant du 19 décembre 2010 au 10 juillet 2014.
Facteurs n’appuyant pas une résidence au Canada
[22] En soutenant que l’appelante ne résidait pas au Canada avant le 11 juillet 2014, le ministre évoque sa présence en Ukraine. Le tableau qui suit fait état de sa présence dans chaque pays pendant la période contestéeNote de bas de page 11.
Arrivée | Départ | Nbre de jours | Pays |
---|---|---|---|
19 décembre 2010 | 15 avril 2011 | 118 | Canada |
16 avril 2011 | 11 février 2012 | 302 | Ukraine |
12 février 2012 | 15 juillet 2012 | 155 | Canada |
16 juillet 2012 | 1er juillet 2013 | 351 | Ukraine |
2 juillet 2013 | 7 octobre 2013 | 98 | Canada |
8 octobre 2013 | 11 juillet 2014 | 277 | Ukraine |
[23] L’appelante s’était rendue en Ukraine pour prendre soin de son père, qui souffrait d’un cancer depuis 2011. Lorsqu’elle était en Ukraine, l’appelante était hébergée chez son père. Elle utilisait le compte bancaire de son père pour payer les courses et les factures. Elle s’occupait de faire les repas et la lessive, et faisait tout ce qu’il fallait pour s’occuper de luiNote de bas de page 12.
[24] L’appelante a passé beaucoup de temps en Ukraine. Toutefois, ses liens avec le Canada étaient forts eux aussi.
Facteurs appuyant une résidence au Canada
[25] Lorsque l’appelante est arrivée au Canada comme résidente permanente, elle connaissait déjà bien le pays. En effet, elle y était venue trois fois avec un visa de visiteurNote de bas de page 13 :
- en janvier 2005, pendant 45 jours, pour rendre visite à son fils O. (qui avait acheté une maison ici en 2004) et à sa petite-fille (née en mai 2004);
- du 18 décembre 2005 au 18 juin 2006, pour aider O. avec son deuxième enfant (né en février 2006);
- du 20 mai 2007 à novembre 2007, pour s’occuper de ses petits-enfants pendant que l’épouse d’O. réintégrait le marché du travail.
[26] L’appelante affirme qu’elle avait l’intention de rester au Canada lorsqu’elle est arrivée comme résidente permanenteNote de bas de page 14. Je la crois. Ses actions confirment cette intention :
- Avant de venir au Canada, elle a vendu sa maison en Ukraine. Elle a expédié ses biens au Canada, y compris des couverts, des vêtements et de la literie.
- En décembre 2010, elle a obtenu une carte d’identité avec photo du gouvernement ontarien.
- De janvier 2011 à avril 2011, elle a suivi des cours d’anglais.
- Le 14 janvier 2011, elle a fait une demande pour obtenir un logement social à TorontoNote de bas de page 15. Elle en a obtenu un le 20 décembre 2024. Dans l’entre-deux, elle a vécu avec son fils, puis avec sa fille.
- Le 28 janvier 2011, elle a ouvert un compte bancaire à la CIBCNote de bas de page 16.
- Le 22 mars 2011, elle s’est vu assigner un médecin de famille.
- En 2011, elle a gagné 3 563 $ en travaillant comme femme de ménageNote de bas de page 17. Elle a produit des déclarations de revenus.
[27] Ces éléments démontrent que l’appelante voulait rester au Canada et y établir sa demeure. Je conclus qu’elle a commencé à résider au Canada le 19 décembre 2010.
Les séjours de l’appelante en Ukraine n’ont pas interrompu sa résidence
[28] L’article 21(4)(a) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse précise que la résidence au Canada n’est pas interrompue par une absence temporaire qui ne dépasse pas un an.
[29] Les trois absences du Canada de l’appelante, durant la période contestée, ont toutes duré moins d’un an. Je juge qu’elles étaient toutes de nature temporaire. Ces absences servaient précisément à prendre soin de son père pendant qu’il était maladie. Son père est décédé le 20 février 2014.Note de bas de page 18 Elle n’est pas immédiatement revenue au Canada, comme la tradition ukrainienne veut qu’on tienne des services commémoratifs les 9e et 40e jours suivant le décès d’une personne. À l'époque, la situation politique en Ukraine était instable. L’appelante a donc eu de la difficulté à obtenir les papiers dont elle avait besoin pour quitter le paysNote de bas de page 19.
[30] Pendant cette période, le Canada est resté le domicile de l’appelante. Elle n’avait ni maison ni compte bancaire en Ukraine. Sans avoir de maison au Canada, l'appelante avait fait des démarches pour obtenir un logement social à Toronto. Elle y avait aussi ouvert un compte bancaire. Fait important, ses enfants et petits-enfants vivaient au Canada et elle avait des liens solides avec eux. Il est manifeste que l'appelante avait commencé à bâtir une vie au Canada avant que son père tombe malade de façon inopportune. Après le décès de son père, l’appelante est retournée en Ukraine une seule fois, et pour seulement 28 jours. On voit ainsi que l’obligation qu’elle avait de s’occuper de son père était son principal lien avec l’Ukraine.
L’appelante était admissible à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse en novembre 2022
[31] Le 23 novembre 2022, l’appelante remplissait les conditions requises pour recevoir une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse au taux de 11/40Note de bas de page 20, comme :
- elle a eu l’âge requis (65 ans) le 19 septembre 2015;
- elle avait accumulé les années de résidence requises (10 ans) en date du 19 décembre 2020;
- elle a présenté la demande de pension requise le 23 novembre 2022.
[32] Le 23 novembre 2022 est la dernière de ces dates. C’est à ce moment-là que l’appelante est devenue admissible à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse. Le montant de sa pension est basé sur le nombre d’années où elle a résidé au Canada jusqu’à cette date.
[33] L’appelante a commencé à résider au Canada le 19 décembre 2010. Elle a continué d’y résider jusqu’au 23 novembre 2022. En date du 23 novembre 2022, elle avait donc résidé au Canada pendant 11 ans et 340 jours après ses 18 ans.
Début du versement de la pension
[34] La pension de l’appelante débute en novembre 2022.
[35] Le versement de la pension de la Sécurité de la vieillesse commence le mois suivant l’approbation de la pensionNote de bas de page 21. L’appelante avait 72 ans quand elle a présenté sa demande. Lorsque la demande est reçue après le 65e anniversaire de la personne, l’approbation prend effet à la dernière des dates suivantesNote de bas de page 22 :
- un an avant sa date de réception, soit le 23 novembre 2021 dans ce cas-ci;
- le jour où l’appelante est devenue admissible à une pension après avoir eu 65 ans et après avoir accumulé les 10 ans de résidence requis, ce qui mène ici au 19 décembre 2020;
- le mois précédant la date indiquée par écrit par l’appelante, ce qui correspond ici à octobre 2022 (puisque l’appelante avait demandé que les versements commencent dès qu’elle remplissait les conditions requises, ce qui était le cas le 23 novembre 2022).
[36] La dernière de ces dates est octobre 2022. C’est la date où l’approbation prend effet. Le versement de sa pension commence le mois suivant, soit en novembre 2022.
Conclusion
[37] L’appelante a droit à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse de 11/40 d’une pleine pension. Moyennant que son revenu remplisse les exigences, elle sera aussi admissible au Supplément de revenu garanti.
[38] Par conséquent, l’appel est accueilli.