Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)
Informations sur la décision
La requérante a 71 ans. Elle a vécu la majeure partie de sa vie au Canada. Elle et son époux se sont mariés en septembre 2008. Ils ont vécu ensemble en Israël jusqu’en janvier 2015. La requérante est revenue au Canada à ce moment pour s’occuper de sa mère âgée. Celle-ci était une survivante de l’Holocauste atteinte de multiple problèmes de santé, dont la démence. Sa mère est décédée en janvier 2025, à l’âge de 104 ans.
L'époux de la requérante est resté en Israël depuis janvier 2015. Son fils adulte (le beau-fils de la requérante) vit à 800 mètres de chez lui. Il est atteint d’un trouble bipolaire et l’époux de la requérante s’occupe parfois de lui 24 heures sur 24 pendant ses épisodes de manie. Toutefois, l’époux de la requérante continue également à travailler comme enseignant universitaire à temps partiel et consultant indépendant. Le fait que la requérante et lui ont vécu séparément au moins jusqu’en janvier 2025 n’est pas contesté.
Le 30 juin 2022, la requérante a demandé la pension de la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a d’abord rejeté sa demande parce qu’elle avait tardé à répondre à une requête qu’il lui avait adressée. Toutefois, après révision, le ministre lui a accordé une pleine pension de la Sécurité de la vieillesse en février 2023. Sa pension de la Sécurité de la vieillesse est entrée en vigueur en juillet 2021. Cependant, le ministre n’avait pas assez d’information pour décider si elle avait droit au Supplément de revenu garanti. La période du supplément à l’étude s’étendait de juillet 2021 à juin 2022.
Le ministre a seulement rendu une décision de révision concernant le Supplément de revenu garanti en décembre 2023. À ce moment-là, le ministre semblait avoir accordé le supplément à la requérante. Cependant, la somme à verser était nulle. Le ministre a dit qu’aucun Supplément de revenu garanti n’était payable, car le revenu combiné de la requérante et de son époux était trop élevé. Autrement dit, le ministre a pris en considération le revenu de la requérante et celui de son époux.
La requérante a porté cette décision en appel à la division générale. Elle a dit qu’elle et son époux vivaient séparés pour des raisons indépendantes de leur volonté. Elle a donc
déclaré que son admissibilité au Supplément de revenu garanti ne devrait pas tenir compte du revenu de son époux. Selon elle, son admissibilité au supplement devrait être établie comme si elle était célibataire. La division générale a rejeté l’appel. La requérante a ensuite fait appel de cette décision à la division d’appel.
Si une personne qui est bénéficiaire de la Sécurité de la vieillesse est légalement mariée ou vit en union de fait, son admissibilité au Supplément de revenu garanti est fondée sur le revenu de cette personne combiné à celui de son époux. L’article 15(3) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse prévoit cependant une exception limitée.
La division d’appel a examiné la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Leavitt, 2005 CF 664. Dans celle-ci, la Cour a déclaré que l’exception s’appliquait seulement si l’un des époux se trouve dans un établissement de soins. La division d’appel a conclu que la décision était contraignante et que l’exception ne pouvait pas s’appliquer dans la présente affaire, car aucun des deux époux ne se trouvait à l’hôpital, dans une maison de repos ou dans un autre établissement de soins.
La division d’appel a rejeté l’appel. Elle a conclu que le revenu de l’époux de la requérante devait être pris en compte pour établir l’admissibilité de cette dernière au Supplément de revenu garanti. L’exception ne s’appliquait pas à elle.
Contenu de la décision
[TRADUCTION]
Citation : CW c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 732
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | C. W. |
Représentante ou représentant : | K. W. |
Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Représentante ou représentant : | Viola Herbert |
Décision portée en appel : | Décision de la division générale datée du 2 août 2024 (GP-24-280) |
Membre du Tribunal : | Pierre Vanderhout |
Mode d’audience : | Par écrit |
Date de la décision : | Le 16 juillet 2025 |
Numéro de dossier : | AD-24-741 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est rejeté. Le revenu de l’époux de l’appelante doit être pris en compte pour établir l’admissibilité de cette dernière au Supplément de revenu garanti. Cette conclusion n’a aucune incidence sur son admissibilité à la pension de la Sécurité de la vieillesse.
Aperçu
[2] Dans le présent appel, je désignerai l’appelante, C. W., sous le nom de « requérante ». Je désignerai son époux, G. G., « époux de la requérante ». Je désignerai l’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, sous le nom de « ministre ».
[3] La requérante a 71 ans. Elle a vécu la majeure partie de sa vie au Canada. La requérante et son époux se sont mariés en septembre 2008Note de bas de page 1. Ils ont vécu ensemble en Israël jusqu’en janvier 2015Note de bas de page 2. La requérante est revenue au Canada à cette date pour s’occuper de sa mère âgée. Sa mère était une survivante de l’Holocauste atteinte de multiples problèmes de santé, dont la démence. Sa mère est décédée en janvier 2025, à l’âge de 104 ans.
[4] L’époux de la requérante est resté en Israël depuis janvier 2015. Son fils adulte (le beau-fils de la requérante) vit à 800 mètres de chez lui. Le beau-fils de la requérante est atteint d’un trouble bipolaire et son époux s’occupe parfois de son fils 24 heures sur 24 pendant les épisodes de manie. Toutefois, l’époux de la requérante continue également à travailler comme enseignant universitaire à temps partiel et consultant indépendant. Personne n’a contesté le fait que la requérante et lui ont vécu séparément jusqu’en janvier 2025 au moins.
[5] La requérante a demandé la pension de la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti le 30 juin 2022Note de bas de page 3. Le ministre a d’abord rejeté sa demande parce qu’elle avait tardé à répondre à une requête qu’il lui avait adressée. Toutefois, après révision, le ministre lui a accordé une pleine pension de la Sécurité de la vieillesse en février 2023. Sa pension de la Sécurité de la vieillesse prenait effet en juillet 2021. Cependant, le ministre n’avait pas assez de renseignements pour se prononcer sur sa demande de Supplément de revenu garantiNote de bas de page 4. La période du supplément à l’étude allait de juillet 2021 à juin 2022.
[6] Le ministre a rendu une décision de révision concernant le Supplément de revenu garanti en décembre 2023 seulement. À ce moment-là, il semblait accorder le supplément. Cependant, le supplément à payer était nul. Le ministre a dit qu’aucun Supplément de revenu garanti n’était payable, car le revenu combiné de la requérante et de son époux était trop élevéNote de bas de page 5. En d’autres termes, le ministre a pris en considération le revenu de la requérante et celui de son époux.
[7] La requérante a porté cette décision en appel au Tribunal de la sécurité sociale. Elle a déclaré qu’elle et son époux vivaient séparés pour des raisons qui étaient indépendantes de leur volonté. En conséquence, elle a déclaré que son admissibilité au Supplément de revenu garanti ne devrait pas tenir compte du revenu de son mari. Selon elle, son admissibilité au Supplément de revenu garanti devrait être établie comme si elle était célibataire. La division générale du Tribunal a rejeté l’appel en août 2024. La requérante a ensuite demandé la permission de faire appel à la division d’appel du Tribunal.
[8] Une de mes collègues de la division d’appel a accordé à la requérante la permission de faire appel. Par conséquent, elle avait droit à une nouvelle audience devant la division d’appel. Cependant, elle a demandé une audience par écrit devant la division d’appel. Elle a le droit de choisir le type d’audienceNote de bas de page 6. En conséquence, j’ai fondé ma décision sur les éléments au dossier. Je n’ai pas tenu d’audience orale.
[9] Dans le cadre du présent appel, je dois décider si l’admissibilité de la requérante au Supplément de revenu garanti doit tenir compte du revenu de son époux.
[10] Je conclus que l’admissibilité de la requérante au Supplément de revenu garanti devrait tenir compte du revenu de son époux. Je vais maintenant expliquer pourquoi.
Question en litige
[11] Dans le cadre du présent appel, la question en litige est de savoir si le revenu de l’époux de la requérante doit être pris en considération lors de l’évaluation de l’admissibilité de cette dernière au Supplément de revenu garanti.
Analyse
[12] Si une personne qui est bénéficiaire de la Sécurité de la vieillesse est légalement mariée ou vit en union de fait, son admissibilité au Supplément de revenu garanti est fondée sur son revenu combiné à celui de son épouxNote de bas de page 7.
[13] Toutefois, l’article 15(3) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse prévoit une exception limitée qui peut s’appliquer à la requérante. Les parties pertinentes de l’exception sont les suivantes :
15(3). Le ministre peut, après l’enquête qu’il estime nécessaire sur les circonstances, ordonner que la demande soit considérée comme présentée par une personne sans époux ou conjoint de fait le dernier jour de la période de paiement précédente, dans l’un ou l’autre des cas suivants : [...]
b) lui-même est convaincu que le demandeur, par suite de circonstances indépendantes de sa volonté et de celle de son époux ou conjoint de fait, n’habitait pas, à la date de la demande, avec celui-ci dans un logement entretenu par l’un ou l’autre. [je souligne]
Le revenu de l’époux de la requérante devrait-il être pris en compte dans l’évaluation de l’admissibilité de cette dernière au Supplément de revenu garanti?
[14] Pour les motifs ci-dessous, je conclus qu’il faut tenir compte du revenu de l’époux de la requérante.
[15] Je suis convaincu que la requérante n’a pas vécu avec son époux pendant la période allant de janvier 2015 à janvier 2025 au moins. Cela comprend la période pendant laquelle la requérante a présenté sa première demande de pension de la Sécurité de la vieillesse et de Supplément de revenu garanti. Bien qu’elle et son époux se voient parfois, elle habitait et entretenait un logement à Côte-Saint-Luc, au Québec, à tous les moments importantsNote de bas de page 8. L’époux de la requérante habitait et entretenait un logement en Israël à tous les moments importantsNote de bas de page 9.
[16] Je vais maintenant examiner plus en détail les raisons pour lesquelles la requérante et son époux ne vivaient pas ensemble.
Pourquoi la requérante vivait au Canada
[17] La requérante estimait que l’exception s’appliquait à elle lorsqu’elle a présenté sa première demande de Supplément de revenu garanti. Elle a déclaré avoir assumé le rôle de principale (et souvent unique) aidante auprès de sa mère. Celle-ci était alors âgée de 101 ans et vivait toujours chez elle. La requérante vivait là aussi. Sa mère était atteinte de démence et ne pouvait plus marcher. L’époux de la requérante l’a confirméNote de bas de page 10. La Dre Stoyanova (médecin à domicile) a également confirmé les principaux problèmes de santéNote de bas de page 11.
[18] La mère de la requérante dépendait entièrement de celle-ci, en tant que proche parente, pour ce qui concerne le sentiment de sécurité et de familiarité qu’elle avaitNote de bas de page 12.
[19] En juin 2023, la Dre Stoyanova a indiqué que la requérante était la principale aidante de sa mère. En plus de lui tenir compagnie, la requérante lui donnait ses médicaments et supervisait son alimentation, ses repas et ses traitements médicaux. Selon la Dre Stoyanova, la présence constante de la requérante était un élément essentiel à la santé et au bien-être de sa mère. La Dre Stoyanova a expliqué que c’était la raison pour laquelle la requérante vivait séparée de son époux, qui avait des obligations familiales et autres en IsraëlNote de bas de page 13.
[20] En novembre 2024, Mme Choinier (ergothérapeute) a déclaré que la mère de la requérante dépendait des aidants et de la requérante pour répondre à ses besoins dans tous les domaines de la vie quotidienne. La mère de la requérante a bénéficié d’un environnement familier, avec des personnes familières et constantes qui lui ont prodigué des soins. En raison de sa situation complexe, ses besoins en soins étaient mieux satisfaits dans son environnement familial. Elle était aussi atteinte de neuropathie et d’arthriteNote de bas de page 14.
[21] Selon Mme Choinier, les besoins de la mère de la requérante étaient encore plus complexes parce qu’elle était atteinte d’un [traduction] « syndrome du crépuscule ». Par conséquent, elle a commencé à parler seulement le hongrois (sa langue maternelle). Elle présentait aussi des symptômes comportementaux et psychologiques de démence. Enfin, son intolérance aux couches a entraîné de nombreux transferts imprévisibles vers les toilettesNote de bas de page 15.
[22] En janvier 2025, le Dr Lapierre a confirmé les problèmes de santé et les limitations décrits par la Dre Stoyanova et Mme Choinier. Le Dr Lapierre a également déclaré que la mère de la requérante était atteinte d’un trouble de stress post-traumatique en raison de ce qu’elle avait vécu pendant la guerre. La requérante était sa principale aidante depuis 2015Note de bas de page 16.
[23] Selon le Dr Lapierre, la présence constante de la requérante était un élément essentiel de la santé et du bien-être de sa mère. Il était également essentiel que sa mère reste à la maison dans un environnement familier. Le Dr Lapierre a dit qu’un établissement de soins assistés ne pourrait probablement pas assurer les transferts constants vers les toilettes requis. Pour cette raison, entre autres, il était préférable que la requérante reste à domicile avec sa mère. La requérante jouait un rôle d’[traduction] « intermédiaire essentielle », car elle communiquait au nom de celle-ci et veillait à ce que des soins soient toujours prodiguésNote de bas de page 17.
[24] Le Dr Lapierre a dit que ces circonstances exigeaient que la requérante vive séparée de son époux depuis 2015, car celui-ci avait des obligations familiales et autres en IsraëlNote de bas de page 18.
Pourquoi l’époux de la requérante vivait en Israël
[25] La requérante a dit que son époux était obligé de rester en Israël en raison de ses obligations professionnelles et familiales. Il a eu deux enfants issus d’un mariage précédent. Celui-ci a confirmé cette explicationNote de bas de page 19. La requérante a ajouté que son époux ne lui avait fourni aucun soutien financier. Ses amis et sa communauté étaient également en IsraëlNote de bas de page 20.
[26] L’époux de la requérante a dit que son fils a reçu le diagnostic de trouble bipolaire après son premier épisode maniaque en 2012. L’époux de la requérante a dit être le principal aidant et le pilier de son fils, car son ex-épouse vivait en Suisse. Il voyait et aidait son fils tous les jours quand celui-ci était dépressif. Il est devenu un aidant [traduction] « 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 » pendant les phases maniaques de son fils. Il a dit qu’il ne pouvait pas s’absenter plus d’une fin de semaine à la fois. Cela signifiait que ses visites à la requérante ne pouvaient durer que de 8 à 11 joursNote de bas de page 21.
[27] L’époux de la requérante a déclaré qu’il avait également des obligations professionnelles en Israël. Il a dit avoir l’obligation, depuis 40 ans, d’enseigner la santé publique à des étudiants universitaires. Il était également consultant indépendant en matière de santé. Cependant, même après avoir pris sa retraite, il a déclaré qu’il devrait rester en Israël pour s’occuper de son filsNote de bas de page 22.
[28] Le Dr Lichtenberg (psychiatre) a confirmé que le beau-fils de la requérante a reçu un diagnostic de trouble bipolaire (type I) à la suite d’un premier épisode maniaco-psychotique en 2012. Depuis, il a connu des épisodes maniaco-psychotiques ou maniaques majeurs à peu près une fois par an. La plupart d’entre eux ont nécessité des séjours à l’hôpital ou des traitements en établissement hospitalier de plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Il a également connu des épisodes dépressifs interépisodiques. Ceux-ci ont nui à son fonctionnement scolaire, professionnel et socialNote de bas de page 23.
[29] Le Dr Lichtenberg a déclaré que le beau-fils de la requérante avait connu un épisode psychotique maniaque récurrent en décembre 2022, accompagné d’idées messianiques. Il avait aussi eu des idées suicidaires intermittentes, sans toutefois élaborer de plans concrets. Le Dr Lichtenberg a déclaré qu’une intervention intensive était nécessaire : 2 à 3 consultations chez une ou un psychothérapeute par semaine et 1 à 2 consultations chez une ou un psychiatre par mois (4 en cas de rechute)Note de bas de page 24.
[30] Je vais maintenant examiner une décision possiblement contraignante de la Cour fédérale.
Décisions contraignantes pour le Tribunal
[31] Les décisions rendues par la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale ou la Cour suprême du Canada lient le Tribunal. En d’autres termes, si les décisions interprètent la loi d’une certaine manière, je ne peux pas m’écarter de leur interprétation à moins que le présent appel ne soit distinct.
[32] Ces cours supérieures ont rarement examiné la signification exacte de l’exception. Les parties n’ont reconnu qu’une seule affaire contraignante concernant l’exception : une décision rendue en 2005 par la Cour fédérale intitulée LeavittNote de bas de page 25.
[33] La situation factuelle de la requérante est différente de celle de la décision Leavitt. Cependant, pour décider si la décision Leavitt est distincte, je dois examiner la façon dont cette décision interprète la loi. Un contexte factuel différent n’est pertinent que s’il signifie que la loi doit être appliquée différemment.
La conclusion principale de la décision Leavitt est-elle contraignante ou est-elle distincte?
[34] Je considère que la décision Leavitt contient une déclaration de droit contraignante concernant l’exception que je dois respecter. Je vais maintenant expliquer cette déclaration contraignante.
[35] Lorsque l’exception a été adoptée, la deuxième lecture de décembre 1970 comprenait les commentaires suivants de l’honorable John Munro (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)Note de bas de page 26 :
On propose d’autres changements pour rendre la loi plus équitable [...] Quand l’un des conjoints est dans un hôpital ou une maison de repos, et que l’autre doit vivre seul et faire les mêmes dépenses qu’un célibataire, ce dernier sera considéré comme s’il était célibataire.
[36] Un Livre blanc parlementaire sur l’exception et d’autres dispositions contenait essentiellement le même libellé. Voici le passage pertinent du Livre blancNote de bas de page 27 :
Cette disposition sera utile lorsqu’un conjoint se trouve à l’hôpital, dans une maison de repos ou dans un autre établissement et que, de ce fait, l’autre personne est obligée de vivre seule et de faire les mêmes dépenses qu’un célibataire.
[37] Dans la décision Leavitt, la Cour fédérale a examiné ces citations. La Cour fédérale a conclu que l’objet de l’exception était de traiter de la situation dans laquelle « un conjoint se trouve à l’hôpital, dans une maison de repos ou dans un autre établissement de soinsNote de bas de page 28 ». Je vais appeler cela la « conclusion principale de la décision Leavitt ». À mon avis, la conclusion principale de la décision Leavitt établit clairement l’un des époux doit être la personne qui se trouve à l’hôpital, dans une maison de repos ou dans un autre établissement.
[38] Dans la décision Leavitt, la question clé était de savoir si l’épouse invalide pouvait toujours être considérée comme célibataire malgré son retour au domicile conjugal après un séjour dans une maison de repos. Ce n’est pas le cas dans le présent appel. Toutefois, la conclusion principale de la décision Leavitt ne se limite pas à cette situation factuelle. Je ne vois aucune restriction concernant la conclusion principale de la décision Leavitt. Il est clairement indiqué que l’exception s’applique lorsque l’un des époux est dans un établissement de soins.
[39] Je ne vois aucune erreur évidente dans la conclusion principale de la décision Leavitt. La Cour fédérale a dit avoir pris en considération « le libellé clair de [l’exception], le régime général établi par la Loi sur la SV et l’intention du législateur » pour parvenir à sa conclusionNote de bas de page 29. Comme le montrent les déclarations figurant dans le Livre blanc pertinent et lors de la deuxième lecture au Parlement, la Cour a bien pris en considération l’intention du législateur. Bien que la Cour fédérale n’ait pas tiré de conclusion explicite sur le régime global de la Loi sur la Sécurité de la vieillesse, elle a tout de même démontré qu’elle en avait connaissanceNote de bas de page 30.
[40] Je ne vois aucune autre décision contraignante sur ce sujet. Dans une décision de 2020 intitulée DP, la division générale du Tribunal a fait référence à la décision LeavittNote de bas de page 31. D’autres décisions du Tribunal ne sont pas contraignantes, bien qu’elles puissent avoir une valeur persuasive. Cependant, je n’ai vu aucune déclaration de droit dans la décision DP qui puisse fournir davantage d’indications pour l’application de la conclusion principale de la décision Leavitt.
[41] Dans l’affaire DP, l’épouse était atteinte de démence. Elle a dû emménager dans un établissement sécuritaire de soins prolongés. En conséquence, les époux ont été considérés comme séparés pour des raisons qui ne leur sont pas imputablesNote de bas de page 32. Il s’agissait du type d’installation auquel l’exception était censée s’appliquer, selon la décision Leavitt. Cependant, comme dans l’affaire Leavitt, la personne qui a dû déménager dans un établissement de soins était l’un des époux. Il ne s’agissait pas d’un autre membre de la famille, comme la mère de la requérante ou son beau-fils dans le cadre du présent appel.
[42] J’en déduis donc que la conclusion principale de la décision Leavitt me lie. La conclusion principale n’est pas distincte. Cela signifie que l’exception ne peut s’appliquer, car aucun des deux époux ne se trouve dans un hôpital, une maison de repos ou un autre établissement. C’est l’essence même du principe de stare decisisNote de bas de page 33.
[43] Cela marquerait normalement la fin de ma décision. Cependant, je voudrais commenter brièvement deux autres aspects de l’appel. Le premier aspect découle de la décision relative à la demande de permission de faire appel. Le deuxième aspect découle des arguments détaillés avancés au sujet de l’exception dans le cadre de cet appel. Je commenterai d’abord la décision relative à la demande de permission de faire appel.
Décision relative à la demande de permission de faire appel
[44] La décision relative à la demande de permission de faire appel a indiqué deux erreurs de droit possibles. La première erreur de droit possible était que la division générale n’a pas cité une partie spécifique de la décision Leavitt exigeant que l’exception exclue les situations extérieures aux hôpitaux, aux établissements de soins ou aux maisons de retraiteNote de bas de page 34. La deuxième erreur de droit possible était que la division générale a mal interprété la décision Leavitt et n’a pas fourni une analyse complète du texte, du contexte et de l’objet de l’exceptionNote de bas de page 35.
[45] La décision relative à la demande de permission de faire appel relève seulement les erreurs de droit possibles. Cela ne signifie pas nécessairement que la division générale ait commis des erreurs de droit.
[46] La décision relative à la demande de permission de faire appel [traduction] « ouvre la voie » à un nouvel examen sur le fond par la division d’appel. Cependant, dans ce nouvel examen sur le fond, la division d’appel ne se concentre pas sur la correction d’éventuelles erreurs de droit commises par la division générale.
[47] Dans la présente affaire, mon analyse de la conclusion principale de la décision Leavitt m’a amené à conclure que j’étais lié par cet aspect de la décision. En fin de compte, je ne me suis pas fondé sur les mêmes aspects de la décision Leavitt que la division générale. Il n’est pas nécessaire de traiter des erreurs éventuelles relevées dans la décision relative à la demande de permission de faire appel.
Les arguments au sujet de l’exception
[48] Comme il est indiqué dans la décision Leavitt, l’exception comporte deux exigences. Selon la première exigence, la situation dans laquelle se trouve la personne « découle de "circonstances indépendantes de sa volonté ou de celle de son époux" ». Selon la deuxième exigence, la personne « n’habitait pas avec [...] celui-ci dans un logement entretenu par l’un ou l’autreNote de bas de page 36 ». Les parties n’ont pas contesté la deuxième exigence. Cependant, elles avaient des opinions divergentes quant à l’interprétation de l’expression « par suite de circonstances indépendantes de sa volonté et de celle de son époux ou conjoint de fait ».
[49] Le ministre a dit que la requérante et son époux avaient pris la décision délibérée de vivre séparément. Selon le ministre, cette décision relevait de leur propre volonté et ne leur avait pas été imposée. Par conséquent, le ministre a déclaré qu’ils ne relevaient pas de l’exception.
[50] La requérante et son époux ont déclaré qu’ils vivaient séparés pour des raisons indépendantes de leur volonté : elle était la principale aidante de sa mère et lui avait une famille (son fils) et d’autres obligations. Elle a ajouté que la législation sur les prestations sociales devrait être interprétée « de la manière la plus équitable et la plus large » en sa faveurNote de bas de page 37.
[51] Comme la conclusion principale de la décision Leavitt est contraignante pour moi, je ne peux pas approfondir cette question. Cependant, je vais commenter un aspect des observations de la requérante.
[52] J’accepte que bien des personnes, si elles se trouvaient dans la situation de la requérante (ou de son mari), choisiraient de vivre là où elles pourraient s’occuper d’un membre de la famille qui en a besoin. En fait, beaucoup de gens ne considéreraient pas cela comme un choix. Ils se sentiraient obligés de prodiguer ces soins. C’est ce qu’ont fait la requérante et son époux. C’est honorable et admirable. Cela témoigne de leur préoccupation pour leur mère et leur fils, respectivement. Cependant, ce n’est pas une chose que je peux prendre en considération dans ma décision.
Conclusion
[53] L’appel est rejeté. Le revenu de l’époux de la requérante doit être pris en compte pour déterminer l’admissibilité de cette dernière au SRG. L’exception ne s’applique pas à elle.