Contenu de la décision
[TRADUCTION]
Citation : La succession de KB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 712
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu
Décision
Partie appelante : | La succession de K. B. |
Représentante ou représentant : | U. B. |
Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Décision portée en appel : | Décision de révision datée du 28 août 2024 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | James Beaton |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 3 juillet 2025 |
Personne présente à l’audience : | Représentant de l’appelante |
Date de la décision : | Le 8 juillet 2025 |
Numéro de dossier : | GP-24-2026 |
Sur cette page
- Décision
- Aperçu
- Questions que je dois examiner en premier
- Ce que l’appelante doit prouver
- Les périodes pertinentes
- Motifs de ma décision
- Conclusion
Décision
[1] L’appel est rejeté.
[2] L’appelante, la succession de K. B., n’est pas admissible à une pension de la Sécurité de la vieillesse avant mars 2017 ni au Supplément de revenu garanti avant mai 2021. Cette décision explique pourquoi je rejette l’appel.
Aperçu
[3] K. B. a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse le 20 février 2018Note de bas de page 1. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a approuvé sa demande à compter de mars 2017 (11 mois avant la présentation de sa demande). Le 12 avril 2022, elle a demandé le Supplément de revenu garantiNote de bas de page 2. Le ministre a approuvé sa demande à compter de mai 2021 (11 mois avant la présentation de sa demande).
[4] Le 28 novembre 2024, K. B. a porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale parce qu’elle voulait que ses versements commencent plus tôt. Le 7 février 2025, K. B. est décédée. Son fils, U. B., représente la succession de K. B. dans le présent appel. Lorsque je parlerai de l’« appelante » dans cette décision, il s’agira de K. B., même si la partie appelante est en fait sa succession.
[5] Le ministre affirme que la loi ne permet pas aux versements de l’appelante de commencer plus tôt que 11 mois avant la présentation de sa demande. Il existe une exception – soit « la règle de l’incapacité ». Toutefois, le ministre affirme que la règle ne s’applique pas au cas de l’appelanteNote de bas de page 3.
[6] L’appelante affirme que la règle s’applique dans son cas. U. B. affirme que l’appelante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de demander des prestations de 2006 jusqu’à son décès. Il a choisi ces dates parce qu’il affirme que les problèmes de santé de l’appelante l’ont empêchée de s’occuper de ses propres finances de 2006 jusqu’à son décès.
Questions que je dois examiner en premier
Je refuse les documents déposés en retard
[7] Le ministre a déposé des documents après la date limite (voir le document GD10). Je n’ai pas accepté ces documents. J’ai donné mes motifs dans une lettre datée du 22 mai 2025.
Ce que l’appelante doit prouver
[8] En général, une personne n’est pas admissible au versement des prestations plus de 11 mois avant la présentation de sa demandeNote de bas de page 4.
[9] Il y a une exception en cas d’incapacité. Si la règle de l’incapacité s’applique, la demande peut être réputée avoir été présentée plus tôt. Dans ce cas, les versements de prestations peuvent commencer plus tôt.
[10] Pour gagner son appel, l’appelante doit prouver que la règle de l’incapacité s’applique dans son cas. Elle doit donc prouver qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande plus tôtNote de bas de page 5. La période d’incapacité doit être continueNote de bas de page 6.
[11] L’appelante doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable que la règle d’incapacité s’appliqueNote de bas de page 7.
[12] Le critère juridique relatif à l’incapacité est strict. Selon ce critère, il importe peu de savoir si l’appelante :
- connaissait l’existence de la pension de la Sécurité de la vieillesse ou du Supplément de revenu garanti;
- savait qu’elle devait demander ces prestations;
- a songé à demander ces prestations;
- avait la capacité de préparer, de traiter ou de remplir elle-même une demandeNote de bas de page 8.
[13] Le critère est axé sur la capacité de l’appelante à former ou à exprimer l’intention de présenter une demande. Cette capacité ne diffère généralement pas de la capacité à former ou à exprimer l’intention de prendre d’autres décisions dans la vieNote de bas de page 9.
Les périodes pertinentes
[14] Avant d’examiner la preuve, il importe de cerner les périodes qui sont pertinentes pour le présent appel et les raisons pour lesquelles elles le sont.
La partie demanderesse doit présenter sa demande de prestations dans un certain délai
[15] Pour se prévaloir de la règle de l’incapacité, la partie demanderesse doit présenter une demande de prestations dans un certain délai après avoir retrouvé sa capacitéNote de bas de page 10.
- Si la partie demanderesse est atteinte d’une incapacité de moins de 30 jours, elle doit présenter sa demande au plus tard le mois suivant le rétablissement de sa capacité.
- Si la partie demanderesse est atteinte d’incapacité pendant une durée de 30 jours à un an, elle dispose pour présenter sa demande d’un délai qui correspond à sa période d’incapacité. Par exemple, une personne qui est atteinte d’incapacité pendant 100 jours doit présenter une demande dans les 100 jours suivant la date à laquelle elle s’est rétablie.
- Si la partie demanderesse est atteinte d’une incapacité pendant plus d’un an, elle doit présenter sa demande dans l’année suivant la date à laquelle elle s’est rétablie. Autrement dit, si une personne est atteinte d’incapacité pendant un an ou davantage, elle a un maximum d’un an pour présenter une demande après s’est rétablie.
Les périodes pertinentes correspondent aux deux années précédant chaque demande
[16] Il suffit d’examiner la période de deux ans qui précède immédiatement les demandes de la pension de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti. En effet, l’appelante aurait un an pour demander chaque prestation après avoir été atteinte d’incapacité pendant un an ou plus.
[17] L’appelante a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse le 20 février 2018. Pour voir si la règle de l’incapacité peut l’aider à remplir les conditions requises pour que ses versements commencent plus tôt, je dois examiner la période de deux ans qui précède le 20 février 2018 : du 19 février 2016 au 19 février 2018. J’appellerai cela la « première période ».
[18] L’appelante a demandé le Supplément de revenu garanti le 12 avril 2022. Pour voir si la règle de l’incapacité peut l’aider à remplir les conditions requises pour que ses versements commencent plus tôt, je dois examiner la période de deux ans qui précède le 12 avril 2022 : du 11 avril 2020 au 11 avril 2022. J’appellerai cela la « deuxième période ».
Motifs de ma décision
[19] Je conclus que la règle de l’incapacité ne s’applique pas au cas de l’appelante.
[20] Pour rendre cette décision, je dois tenir compte des éléments suivantsNote de bas de page 11 :
- la preuve de l’appelante sur la nature et l’étendue de ses limitations;
- les éléments de preuve médicale ou autres à l’appui de l’incapacité;
- la preuve de ses activités pendant la prétendue période d’incapacité;
- la mesure dans laquelle ces activités mettent en lumière sa capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander des prestations.
[21] J’examinerai ces éléments dans les rubriques suivantes :
- les limitations et les activités de l’appelante;
- les raisons pour lesquelles l’appelante n’a pas présenté sa demande plus tôt;
- l’importance des formulaires de déclaration d’incapacité.
Les limitations et les activités de l’appelante
[22] L’appelante n’était pas atteinte d’incapacité durant la première période. Ses limitations et ses activités ne montrent pas qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de demander des prestations.
[23] L’appelante vivait avec son fils et dépendait de lui et de soins infirmiers à domicile pour se laver, changer ses couches et se préparer à se coucher. Elle portait des appareils auditifs et elle utilisait une marchette ou une canne pour se déplacer. Elle avait parfois des étourdissements (elle se sentait [traduction] « un peu étourdie et mêlée »). Elle a peut-être eu quelques crises épileptiques. Elle est tombée au moins une fois, mais rien ne prouve qu’elle avait une commotion cérébrale. Elle était atteinte [traduction] « d’une légère démence qui se manifestait par un trouble de la mémoire à long terme » et d’une légère déficience cognitive. Ses troubles cognitifs se sont temporairement aggravés en février 2018 lorsqu’elle a eu la grippeNote de bas de page 12.
[24] Les limitations de l’appelante au cours de la première période étaient principalement d’ordre physique et n’ont pas nui à sa capacité de communiquer. Ses limitations cognitives étaient légères; elle pouvait tout de même former et exprimer l’intention de demander des prestations.
[25] L’appelante n’était pas atteinte d’incapacité pendant la deuxième période. Ses limitations et ses activités ne montrent pas qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de demander des prestations.
[26] L’appelante a continué à avoir des étourdissements liés à des moments de confusion qui duraient quelques minutes. Elle était capable de reconnaître les gens et de converserNote de bas de page 13.
[27] Une infirmière autorisée a effectué une évaluation fonctionnelle en avril 2021. L’infirmière n’a trouvé aucune preuve de déficience cognitive chez l’appelante, en dépit du fait qu’elle avait tendance à oublier les choses. Il n’y avait aucun problème au niveau comportemental. L’appelante pouvait parler et comprendre l’anglais, même si l’infirmière a noté que sa langue principale était le pendjabiNote de bas de page 14.
[28] Le 6 mai 2021, l’appelante a emménagé dans un établissement de soins de longue duréeNote de bas de page 15. Elle a effectué le MoCA Test ([traduction] l’évaluation cognitive de Montréal) et a obtenu une note de 13 sur 30. Toutefois, l’évaluatrice a précisé que le fait que l’appelante était malentendante avait peut-être eu une incidence sur sa noteNote de bas de page 16. J’estime donc que cette évaluation ne représente pas justement sa capacité mentale.
[29] Le jour où l’appelante a demandé le Supplément de revenu garanti (le 12 avril 2022), elle a aussi été soignée pour une enflure à la cheville. Il n’y a aucune note médicale au sujet de ses capacités cognitives qui date de cette époqueNote de bas de page 17.
[30] Au cours de ces périodes, son fils ou sa fille l’accompagnait souvent lorsqu’elle devait se présenter à ses rendez-vous médicaux, mais ce n’était pas en raison d’une incapacité. U. B. a expliqué que l’appelante n’était pas physiquement capable de se rendre seule à ses rendez-vous. Lors des rendez-vous téléphoniques, son fils ou sa fille se joignait à l’appel afin de traduire ce qui se disait (de l’anglais au pendjabi ou l’inverse) et de répéter les choses que l’appelante n’avait pas entendues en raison de sa perte auditive. Ses enfants pouvaient aussi lui faire des rappels (p. ex. quand a eu lieu sa dernière crise épileptique).
[31] Je signale que l’appelante n’avait pas de procuration qui permettrait à ses enfants de prendre des décisions en son nom.
Les raisons pour lesquelles l’appelante n’a pas présenté sa demande plus tôt
[32] Même si U. B. a aidé l’appelante à présenter sa demande de prestations, je conclus que ce n’est pas parce qu’elle était atteinte d’une incapacité. L’appelante n’a jamais été responsable de la gestion de ses propres affaires financières, même avant 2006 (date du début de l’incapacité de l’appelante, selon U. B.). Son époux gérait leurs affaires financières jusqu’à son décès, puis son fils a pris la relèveNote de bas de page 18.
[33] U. B. a déclaré que s’il a tardé à considérer la pension de la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti c’est parce qu’il se concentrait sur les besoins physiques de l’appelante.
[34] Je conclus que l’appelante n’a pas présenté sa demande plus tôt parce qu’elle a toujours compté sur les autres pour gérer ses affaires financières, et non parce qu’elle était atteinte d’incapacité. Lorsqu’elle a finalement présenté sa demande, c’est parce que U. B. s’est rendu compte qu’il devrait l’aider à le faire. Ce n’est donc pas en raison d’un changement lié à sa capacité.
L’importance des formulaires de déclaration d’incapacité
[35] L’appelante a présenté un [traduction] « certificat d’incapacité » et deux « déclarations d’incapacité ».
[36] Le premier formulaire a été rempli par le Dr Egier et reçu par le ministre le 23 janvier 2023. Selon le Dr Egier, l’appelante était incapable de gérer ses propres affaires en raison d’une démence depuis juillet 2006Note de bas de page 19.
[37] Le deuxième formulaire a été signé par le Dr Egier le 12 mars 2024. Toutefois, celui-ci a signalé que le [traduction] « médecin traitant » de l’appelante était le Dr Chen. Le formulaire indiquait que l’appelante était atteinte d’incapacité depuis juillet 2006 en raison d’une démenceNote de bas de page 20.
[38] Le Dr Chen a rempli le troisième formulaire le 22 février 2025 (l’appelante est décédée durant la première semaine de ce même mois). Il y indique que l’appelante était atteinte d’incapacité depuis juillet 2006 en raison d’une démence et de problèmes liés à l’épilepsieNote de bas de page 21.
[39] Ces formulaires ne sont pas concluants. Ils s’inscrivent dans un ensemble d’éléments que je devais analyserNote de bas de page 22. Dans la présente affaire, je ne leur accorde pas beaucoup d’importance. Selon les notes cliniques du Dr Egier, il a commencé à traiter l’appelante lorsqu’elle a emménagé dans un établissement de soins de longue durée (bien après 2006). Il a d’abord fait état de préoccupations concernant ses troubles cognitifs en mai 2022, après qu’elle ait présenté sa demande de prestationsNote de bas de page 23. L’ensemble de la preuve médicale examinée ci-dessus n’appuie pas l’opinion du Dr Chen selon laquelle l’appelante était atteinte d’incapacité au sens de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Elle avait peut-être des problèmes de santé, mais elle pouvait quand même former et exprimer l’intention de demander des prestations.
Conclusion
[40] Je conclus que, dans le cas de l’appelante, ses versements de prestations de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti ne peuvent pas commencer plus tôt. En effet, elle n’était pas incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande.
[41] Par conséquent, l’appel est rejeté.