Sécurité de la vieillesse (SV) et Supplément de revenu garanti (SRG)

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : TF c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 897

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : T. F.
Partie intimée :

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Représentante ou représentant : Viola Herbert

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 7 janvier 2025 (GP-24-699)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 11 août 2025
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentante de l’intimé
Date de la décision : Le 26 août 2025
Numéro de dossier : AD-25-257

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel. L’appelant n’a pas droit à d’autres versements rétroactifs de la pension de la Sécurité de la vieillesse. Il n’était pas dans l’incapacité de demander la pension avant décembre 2022.

Aperçu

[2] L’appelant est né en ex-Yougoslavie et a immigré au Canada en 1966. Il a maintenant 80 ans. En mars 2010, il a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 1. Service Canada, l’organisme public du ministre, lui a demandé de remplir un questionnaire et de fournir une preuve de résidence au Canada. L’appelant n’a pas répondu, et Service Canada a rejeté sa demande en raison du manque de documentsNote de bas de page 2.

[3] Bien des années se sont écoulées. En décembre 2022, l’appelant a présenté une deuxième demande de pension de la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 3. Cette fois-ci, Service Canada a approuvé la demande à compter de janvier 2022, ce qui, selon lui, correspondait au versement rétroactif maximal permis par la loiNote de bas de page 4.

[4] Le représentant légal de l’appelant à ce moment-là a demandé d’autres versements rétroactifs de la pension de la Sécurité de la vieillesse. Il a affirmé que l’appelant était frappé d’incapacité depuis des années et incapable de gérer ses affaires. Il a fait appel de la décision de Service Canada sur la première date de versement de la pension devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[5] La division générale du Tribunal a tenu une audience par téléconférence et a rejeté l’appel. Elle a conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que l’appelant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant décembre 2022. Entre autres, la division générale a souligné que même si le psychiatre de l’appelant l’a déclaré incapable, il a fourni des renseignements contradictoires quant au moment où la période d’incapacité aurait pu commencer.

[6] Avec l’aide d’un ami, l’appelant a ensuite demandé la permission de faire appel à la division d’appel. En avril, une de mes collègues de la division d’appel lui a accordé la permission de faire appel. Plus tôt ce mois-ci, j’ai tenu une audience pour discuter en détail de sa demande d’incapacité.

Question en litige

[7] Dans le présent appel, je devais décider si l’appelant était incapable de demander la pension de la Sécurité de la vieillesse avant décembre 2022.

Analyse

[8] J’ai appliqué la loi à la preuve disponible et j’ai conclu que l’appelant n’était pas frappé d’incapacité avant décembre 2022. Je n’ai aucun doute qu’il a des problèmes de santé importants, mais je n’ai pas trouvé assez d’éléments de preuve pour démontrer qu’il était incapable de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension de la Sécurité de la vieillesse plus tôt qu’il l’a fait.

Le critère d’incapacité est précis

[9] Les personnes qui présentent une demande d’incapacité doivent prouver qu’elles n’avaient pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations de la Sécurité de la vieillesse, comme la pension ou le Supplément de revenu garantiNote de bas de page 5. Elles doivent le prouver selon la prépondérance des probabilités. La période d’incapacité doit être continue, de la prétendue date de début de cette période jusqu’à la date à laquelle la demande a effectivement été présentéeNote de bas de page 6.

[10] La disposition relative à l’incapacité est précise et ciblée. Elle n’exige pas de prendre en compte la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations, mais seulement la capacité de former ou de communiquer sa décision à cet effetNote de bas de page 7. La capacité doit être évaluée au regard du sens ordinaire du terme et jugée selon la preuve médicale et les activités menées par la personne. Cette capacité est semblable à celle de former ou d’exprimer une intention à l’égard d’autres choix de vieNote de bas de page 8.

[11] Dans la présente affaire, l’appelant a présenté une preuve démontrant qu’il a des douleurs chroniques et une dépression. Toutefois, cette preuve ne démontre pas qu’il n’avait pas la capacité, lorsqu’on lui a présenté des options spécifiques, de faire des choix de vie éclairés pendant la période pertinente. Comme nous le verrons, l’appelant a peut-être manqué de volonté ou d’initiative pour gérer sa vie, mais ces manques diffèrent d’un manque de capacité.

Les rapports médicaux de l’appelant ne font pas état d’une incapacité

[12] L’appelant a de longs antécédents psychiatriques, mais son dossier médical contenait peu d’éléments de preuve indiquant qu’il a déjà été frappé d’incapacité selon la norme établie par la Loi sur la sécurité de la vieillesse.

[13] En 1984, l’appelant a subi des blessures en tombant sur ses genoux et ses coudes lors d’un accident de travail. Le premier rapport médical au dossier date de 1991. Le psychiatre qui l’a rédigé avait examiné l’appelant pour ses douleurs chroniques et sa dépressionNote de bas de page 9. À ce moment-là, le psychiatre a conclu qu’il s’orientait bien dans le temps, dans l’espace et par rapport aux personnes. Son jugement et sa compréhension étaient raisonnables.

[14] L’appelant a subi une opération du genou au début de 2004. À ce moment-là, son psychiatre a noté qu’il était déçu que la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario ne lui verse pas plus d’argent pour sa déficienceNote de bas de page 10. Il avait encore des douleurs chroniques et une dépression.

[15] De 2008 à 2013, le psychiatre de l’appelant a rédigé des notes cliniques de façon discontinue. Celles-ci indiquent qu’il était en possession de ses facultés cognitives et en mesure de consentir à un traitement :

  • En juin 2008, l’appelant a dit au Dr Suprapaneni qu’il allait subir une opération du dos et qu’il demandait conseil sur sa demande de prestations de la CommissionNote de bas de page 11.
  • En novembre 2008, l’appelant a dit au Dr Suprapaneni qu’il avait subi une opération au genouNote de bas de page 12.
  • En février 2009, l’appelant a dit au Dr Suprapaneni que sa compagnie d’assurance lui proposait une indemnisation pour les dommages causés par l’incendie à son domicile; cependant, il voulait aussi présenter une demande pour préjudice moral et il aurait besoin d’une lettre pour son avocatNote de bas de page 13.
  • En avril 2009, l’appelant a dit au Dr Suprapaneni que son épouse devait demander des prestations du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapéesNote de bas de page 14.
  • En août 2011, le Dr Suprapaneni a souligné que l’appelant hésitait toujours à vendre son immeubleNote de bas de page 15.
  • En novembre 2011, le Dr Suprapaneni a déclaré que l’appelant prenait ses médicaments d’une manière judicieuse et qu’il avait l’intention de visiter Cuba avec son épouseNote de bas de page 16.
  • En février 2013, l’appelant a dit au Dr Suprapaneni qu’il avait un rendez-vous pour subir une imagerie par résonance magnétique de son épaule et qu’il ne pouvait pas dormir parce que ses jambes étaient engourdiesNote de bas de page 17.
  • En mai 2013, l’appelant a dit au Dr Suprapaneni qu’il avait besoin d’une opération de la hanche, mais s’était fait dire qu’il devait attendre 17 moisNote de bas de page 18.

[16] Les rapports ci-dessus indiquent que, pendant au moins une partie de la période où il prétend avoir été frappé d’incapacité, l’appelant avait la faculté d’agir et était capable de faire des démarches pour gérer ses soins de santé et chercher à obtenir des prestations. L’appelant était âgé et prenait un bon nombre de puissants analgésiques narcotiques, mais ces facteurs ne l’ont pas empêché de discuter de ses problèmes avec son psychiatre, de consentir à une chirurgie du dos, du genou et de la hanche, de se plaindre d’une liste d’attente pour l’une de ces interventions et de demander des documents médicaux à l’appui de sa demande de prestations d’assurance-incendie.

[17] À mon avis, si l’appelant avait la capacité de consentir à gérer ses affaires de 2008 à 2013, alors il avait probablement aussi la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander des prestations de la Sécurité de la vieillesse pendant cette période.

Une déclaration d’incapacité ne permet pas de trancher l’affaire

[18] La dernière note clinique du Dr Suprapaneni au dossier remonte à octobre 2013. Il y avait alors un écart de neuf ans dans le dossier médical qui a pris fin en avril 2022, lorsque le Dr Suprapaneni a écrit une lettre pour l’appelant à l’appui de sa demande d’autres prestations rétroactives de la Sécurité de la vieillesseNote de bas de page 19. Le psychiatre a déclaré qu’il traitait l’appelant depuis 1988 et que celui-ci avait des douleurs chroniques et une dépression majeure. L’appelant était probablement à un stade précoce de démence. Il était une personne [traduction] « estropiée » qui avait subi deux opérations du dos ainsi que des arthroplasties des deux genoux et des deux hanches. Il prenait plusieurs analgésiques, dont du Dilaudid, du Percocet et de l’OxyNeo.

[19] L’année suivante, le Dr Suprapaneni a écrit une autre lettre pour l’appelant, cette fois pour appuyer sa demande d’autres prestations rétroactives du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 20. Il a expliqué qu’à [traduction] l’« âge crucial » de 65 ans, il a eu deux accidents de voiture qui lui ont causé des problèmes aux hanches et aux genoux. Il a dit que l’appelant n’a jamais eu l’idée de demander la pension du Régime parce qu’il avait été [traduction] « mis knockout » par des doses excessivement élevées de narcotiques. Sa mémoire était [traduction] « bloquée » et sa capacité de comprendre ce qui se passait relativement au Régime était [traduction] « totalement nulle ». Il a ajouté que l’appelant n’était pas au courant de l’existence des prestations du Régime, même s’il a vécu au Canada pendant de nombreuses années. Il a décrit l’appelant comme étant [traduction] « terne, apathique et impuissant ».

[20] Je remarque que le Dr Suprapaneni n’a pas soulevé explicitement la question de la capacité avant que l’appelant demande des prestations rétroactives supplémentaires de la Sécurité de la vieillesse. Jusqu’alors, il n’y avait aucune mention des capacités cognitives de l’appelant dans ses notes ou rapports précédents. Le Dr Suprapaneni semble retracer la prétendue incapacité de l’appelant à deux accidents de voiture en 2010, mais ses notes ne contiennent aucune mention précise de tels accidents au cours de cette année-là ou de l’une des années suivantes, et rien ne laisse croire que l’état mental de l’appelant s’est détérioré au cours de cette période. Je remarque aussi que le Dr Suprapaneni n’a apparemment jamais demandé si l’appelant avait donné une procuration à une personne. Il semble qu’il n’ait jamais envisagé de le diriger vers le Bureau du tuteur et curateur public non plus.

[21] En octobre 2023, le Dr Suprapaneni a rempli et signé un formulaire de déclaration d’incapacité au nom de l’appelantNote de bas de page 21. Il a répondu « oui » à la question de savoir si l’état de santé de l’appelant le rendait incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Il a dit que l’incapacité de l’appelant était causée par une arthrite grave, des douleurs chroniques et une dépression. Il a dit que la période d’incapacité de l’appelant était continue et qu’elle avait commencé le 10 décembre 2010. Il n’a pas précisé ce qui s’était passé à cette date pour déclencher l’incapacité.

[22] Je suis conscient que le Dr Suprapaneni, qui traite l’appelant depuis longtemps, connaît bien ses problèmes de santé, mais j’ai accordé une importance limitée à sa déclaration d’incapacité. Comme je l’ai mentionné, les notes du Dr Suprapaneni donnent à penser que l’appelant contrôlait de nombreux aspects de sa vie. De plus, ses récents rapports contiennent des contradictions et des omissions qui soulèvent des doutes quant à leur fiabilité. Sa déclaration d’incapacité indique que la période d’incapacité de l’appelant a commencé en décembre 2010 et qu’elle était continue, mais sa lettre la plus récente indique qu’elle a commencé en 2008 et s’est terminée en 2022. Cette lettre ne mentionne pas le fait que l’appelant a réussi d’une façon ou d’une autre à demander une pension de la Sécurité de la vieillesse en mars 2010.

[23] En fin de compte, la déclaration d’incapacité du Dr Suprapaneni et ses récentes lettres de soutien doivent être soupesées par rapport à d’autres éléments de preuve, ce qui donne à penser que l’appelant a été en mesure de faire des choix de vie éclairés après 2010Note de bas de page 22. Ce sont les témoignages qui ont fini par me convaincre que l’appelant n’était pas dans l’incapacité de présenter une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse avant 2022.

Les propos de l’appelant laissent entendre qu’il avait une capacité

[24] L’appelant a témoigné en son nom propre et il a fait venir deux témoins. Toutefois, je n’ai rien entendu dans leur témoignage qui porte à croire qu’il n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander des prestations de la Sécurité de la vieillesse avant décembre 2022.

[25] L’appelant a répondu à des questions sur sa vie depuis 2010. Il semblait s’orienter et semblait comprendre l’objet de l’audience. Il n’a peut-être pas bien saisi toutes les nuances du critère de capacité, mais il savait parfaitement que des paiements supplémentaires de la pension de la Sécurité de la vieillesse étaient en jeu et que, pour les recevoir, il devait démontrer qu’il avait déjà été mentalement inapte à présenter une demande.

[26] L’anglais est la deuxième langue de l’appelant et, bien qu’il ait pu faire appel à une interprète, il a préféré parler sans interprétation. Son témoignage était parfois difficile à suivre, et ses pensées étaient souvent éparpillées, mais il a tout de même pu me donner une idée des défis auxquels il a fait face au cours des 15 dernières années.

[27] L’appelant a déclaré que depuis des années, il a des douleurs intenses au dos, pour lesquelles il s’est vu prescrire plusieurs analgésiques puissants, dont le Dilaudid (six par jour), le Percocet (au besoin) et l’oxycodone (trois par jour). Ses problèmes se sont aggravés après un accident de la route en 2014. Il avait besoin d’une chirurgie du dos, mais ses spécialistes en chirurgie lui ont dit que son cœur était faible. Il a dit que si son cœur était plus fort, il irait de l’avant avec l’opération.

[28] Il a divorcé il y a 14 ou 15 ans. Après que sa maison a été endommagée par un incendie, il a emménagé dans un immeuble locatif. Quelques années plus tard, il a racheté la part d’une autre maison qu’il possédait conjointement avec son épouse. Celle-ci voulait retourner à Cuba et s’occuper de sa mère âgée. Avec l’aide de son avocat, l’appelant a obtenu un prêt d’un prêteur privé, garanti par la maison.

[29] J’ai demandé à l’appelant pourquoi il avait demandé la pension de la Sécurité de la vieillesse à ce moment-là. Il a répondu que son ami, P. S., le lui avait suggéré après qu’il lui avait dit avoir besoin d’argent. Il ne se souvenait pas d’avoir demandé la pension en 2010.

[30] Le témoignage de l’appelant m’a dit qu’il a vécu plus que sa part de malheur au fil des ans, mais il laissait aussi entendre qu’il a été capable de faire des démarches pour régler ses problèmes lorsque nécessaire. Il a donné suite au désir de son ex-épouse en rachetant sa part de la maison qu’ils possédaient conjointement afin qu’il [sic] puisse retourner dans son pays d’origine. Il a contracté un prêt afin de conclure cette transaction. Il a demandé une pension du gouvernement lorsque ses finances ont atteint un point critique. Il voulait subir une opération du dos et ressentait une frustration en raison de la réticence des spécialistes en chirurgie.

[31] Le fait que l’appelant ait besoin d’être poussé à l’action ne signifie pas qu’il est frappé d’incapacité. Cela signifie seulement que, comme la plupart d’entre nous, il compte parfois sur les conseils et l’aide des autres pour faire face aux défis de la vie.

[32] La prise d’analgésiques narcotiques de l’appelant m’a donné à réfléchir; je me suis demandé si les doses prescrites ont pu affaiblir ses facultés cognitives. J’ai cependant examiné la preuve démontrant qu’il prend des médicaments puissants contre la douleur depuis de nombreuses années, avant et pendant sa prétendue période d’incapacité. J’ai constaté que ceux-ci ne l’avaient pas empêché de gérer ses affaires ou de demander des prestations de la Sécurité de la vieillesse la première fois.

[33] Il y a aussi le témoignage du neveu de l’appelant, N. S., qui a dit que son oncle prenait de puissants analgésiques depuis sa blessure au travail en 1984. Cependant, il a dit que l’appelant était plus vif d’esprit lorsqu’il prenait des médicaments; il devenait [traduction] « désemparé » seulement après que leur effet s’était dissipé. Cet élément de preuve est à l’opposé de ce à quoi je m’attendais, mais il donne à penser qu’il y avait tout de même des périodes où l’appelant était relativement conscient et alerte.

[34] J’ai également entendu le témoignage de P. S., l’ami qui a aidé l’appelant à demander des prestations de la Sécurité de la vieillesse en 2022. Il a déclaré qu’il connaissait l’appelant depuis 2015 et qu’il l’avait aidé à régler divers problèmes juridiques et financiers au fil des ans.

[35] P. S., avocat à la retraite, a souligné que l’appelant est capable de faire certaines choses dans un contexte quotidien; il peut se lever, se préparer et accomplir des tâches personnelles, comme se faire couper les cheveux. Cependant, il a beaucoup de mal à gérer son argent et ses biens. Des requêtes en jugement par défaut ont été déposées contre lui à plusieurs reprises. Il a déjà pris part à une coentreprise extrêmement unilatérale qui a entraîné la perte de l’une de ses propriétés. Lorsqu’ils se sont rencontrés pour la première fois, l’appelant avait deux propriétés en vertu du pouvoir de vente et une autre en saisie. Il ne voulait pas les mettre en location ni en vente. Il ne comprenait pas que son endettement devenait de plus en plus ingérable et qu’il n’avait pas les moyens d’entretenir les trois propriétés. Un de ses avocats pensait qu’il avait besoin d’un tuteur à l’instance.

[36] P. S. a dit que le problème n’est pas que l’appelant prend de mauvaises décisions, mais qu’il ne prend aucune décision. Il a eu 10 avocats, mais il ne peut pas retenir l’information qu’ils lui donnent. Il a harcelé l’appelant pour qu’il demande une pension de la Sécurité de la vieillesse, mais il ne l’a jamais fait. Enfin, lorsque la situation financière de l’appelant est devenue grave, il l’a persuadé de signer une demande, même s’il l’a remplie en grande partie en son nom. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait eu scrupule à forcer une personne qu’il a qualifiée d’incompétente à demander des prestations gouvernementales, il a répondu que non, que c’était pour son bien.

[37] Tout le monde gagnerait à avoir un ami comme P. S., mais son témoignage ne m’a pas convaincu que l’appelant était frappé d’incapacité selon la définition prévue par la loi. De toute évidence, l’appelant a négligé ses affaires et a pris des décisions financières peu judicieuses, mais rien de cela n’atteint le seuil d’incapacité.

[38] Ce qui a initialement empêché l’appelant de demander des prestations de la Sécurité de la vieillesse, c’était le fait qu’il n’était pas au courant de leur existence. Plus tard, après que P. S. lui a parlé des prestations, il a refusé d’en demander. Au moment où il a finalement présenté une demande avec l’aide de P. S. en décembre 2022, ses capacités mentales semblaient être restées pratiquement inchangées par rapport à celles qu’il avait des années plus tôt. La différence était que les finances de l’appelant se sont énormément détériorées, ce qui l’a finalement forcé à faire une demande pour obtenir une source de revenus fort nécessaire. La preuve démontre que, lorsqu’il a fait face au risque imminent d’une faillite ou de l’itinérance, il a pu former une intention précise de demander la pension de la Sécurité de la vieillesse.

[39] Il ne faut pas oublier que « former » une intention demande seulement une activité mentale. Les problèmes de santé connus de l’appelant (la douleur chronique, une dépression et possiblement une dépendance aux médicaments) ont peut-être nui à sa volonté de faire une demande. Mais je ne vois pas en quoi ils ont affaibli les pouvoirs cognitifs essentiels à former l’intention de faire une demande. Le dossier montre que lorsqu’on a offert des options à l’appelant et conseillé d’en choisir une en particulier, il a été capable de former l’intention précise d’accomplir une action précise pour éviter des conséquences prévisiblesNote de bas de page 23.

La décision Blue a une pertinence limitée dans la présente affaire

[40] Le critère relatif à l’incapacité a été éclairé par deux affaires récentes de la Cour d’appel fédérale. Dans la décision Blue, la requérante était fonctionnelle à bien des égards (par exemple, elle élevait sa jeune fille comme mère monoparentale), mais elle a tout de même été déclarée incapable aux fins du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 24. Cependant, Mme Blue a présenté des preuves psychiatriques précises montrant que l’idée même de documenter officiellement ses problèmes de santé mentale devant une autorité gouvernementale la mettait dans un état dissociatif et paralysant. L’appelant n’a aucun élément de preuve comparable.

[41] La Cour a précisé que la décision Blue était un cas exceptionnel :

Avant de conclure, il faut noter qu’il s’agit d’un cas très inhabituel. Dans un grand nombre de cas, la capacité d’une personne d’accomplir les activités courantes de la vie pourrait bien être une indication de sa capacité à formuler ou à exprimer son intention de demander une pension d’invalidité. Toutefois, en l’espèce, l’invalidité de Mme Blue, bien que grave, est étroitement ciblée, son traumatisme et ses problèmes de santé mentale étant liés à ses rapports avec les hôpitaux, la profession médicale et les personnes en position d’autoritéNote de bas de page 25.

[42] Comme pour renforcer ce point, la Cour d’appel fédérale a rendu une décision peu de temps après confirmant une conclusion de capacité même si le requérant avait des déficiences physiques et mentales qui le mettaient dans un « état mental végétatif de type zombieNote de bas de page 26 ». Dans la décision Walls, la Cour a conclu que M. Walls, contrairement à Mme Blue, n’avait pas produit le type de preuve psychologique nécessaire pour écarter ses activités quotidiennes pendant la prétendue période d’incapacité.

[43] C’est également le cas dans la présente affaire. L’appelant a présenté des éléments de preuve médicale indiquant qu’il souffre de douleurs chroniques et de dépression. Cependant, ils ne démontrent pas qu’il n’avait pas la capacité, lorsqu’on lui présentait des options précises, de faire des choix de vie éclairés pendant la période pertinente. Comme nous l’avons vu, l’appelant a peut-être manqué d’initiative, mais ce n’est pas la même chose que la capacité.

[44] Les éléments de preuve écrits et oraux disponibles donnent à penser qu’avant décembre 2022, l’appelant a pris des décisions et des mesures qui s’apparentaient à former l’intention de faire une demande de prestations.

Conclusion

[45] J’ai essayé, mais je n’ai pas trouvé de moyen d’accorder à l’appelant des prestations rétroactives supplémentaires. En fin de compte, il n’y avait tout simplement pas assez d’éléments de preuve démontrant qu’il n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension de la Sécurité de la vieillesse avant décembre 2022. Pour cette raison, il n’est pas admissible à des paiements avant janvier 2022.

[46] L’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.